« Pour construire des logements sociaux, il faut une volonté politique »

Par Luc Renaud

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Une politique métropolitaine du logement qui associe les habitants à ses choix ? C’est l’ambition de Nicolas Beron Perez, vice-président communiste chargé du logement à Grenoble Alpes métropole. Et ce n’est pas gagné, face à la politique de l’État et à des choix locaux qui ne vont pas toujours en ce sens. Entretien.

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Nicolas Beron Perez, conseiller délégué de la ville de Grenoble et vice-président de Grenoble Alpes métropole.

Douze mille. C’est le nombre par lequel le débat est arri­vé. Douze mille, c’est le seuil fixé par la loi Elan (évo­lu­tion du loge­ment, de l’aménagement et du numé­rique) de novembre 2018 : les orga­nismes HLM qui n’atteignent pas ce nombre de loge­ments doivent se regrou­per avant le 1er jan­vier 2022. La métro­pole gre­no­bloise est direc­te­ment concer­née : Actis gère 11 000 loge­ments et Gre­noble habi­tat 5 000. « Avec cette loi, le gou­ver­ne­ment a évi­dem­ment la volon­té de favo­ri­ser la pri­va­ti­sa­tion de la ges­tion du loge­ment social, mais aus­si de pri­ver l’échelon local de la maî­trise d’un outil essen­tiel pour une poli­tique du loge­ment », com­mente Nico­las Beron Per­ez, élu gre­no­blois et vice-pré­sident com­mu­niste de la métro­pole char­gé du loge­ment.

En 2019, l’affaire était enga­gée, tant à la métro­pole qu’à la ville de Gre­noble : Actis et GH fusion­ne­raient en une socié­té d’économie mixte (sta­tut de GH). Les com­mu­nistes et d’autres avaient dénon­cé un pro­jet qu’ils assi­mi­laient à un début de pri­va­ti­sa­tion. Qui dit SEM dit pos­si­bi­li­té de divi­dendes ver­sés à des inves­tis­seurs pri­vés.

Les élec­tions muni­ci­pales de 2020 ont chan­gé la donne. « Nous avons repris le dos­sier, explique Nico­las Beron Per­erz, et nous avons mis à l’étude la créa­tion d’une coopé­ra­tive HLM comme il en existe dans de nom­breuses villes et celle d’une socié­té ano­nyme de coor­di­na­tion (SAC), pos­si­bi­li­té créée par la loi Elan ». C’est cette der­nière solu­tion qui devrait voir le jour – même si l’idée de la coopé­ra­tive reste dans les tuyaux – afin de per­mettre à Actis de conser­ver son sta­tut d’organisme HLM public tout en se met­tant en confor­mi­té avec l’obligation légale d’un rap­pro­che­ment avec un autre orga­nisme, en l’occurrence Gre­noble habi­tat.

Pour­quoi la SEM GH ? « Je sou­haite que la métro­pole gre­no­bloise puisse agir sur le loge­ment, sa qua­li­té, les prix de ses loyers, la construc­tion…, explique le vice-pré­sident, si l’outil nous échappe, ce ne sera pas pos­sible ». De fait, les autres options sont celles d’un rap­pro­che­ment avec Alpes Isère habi­tat – où le conseil dépar­te­men­tal est majo­ri­taire – ou avec un orga­nisme natio­nal. Et puis il y a une cohé­rence his­to­rique et géo­gra­phique. Actis et Gre­noble habi­tat sont deux enti­tés créées par des géné­ra­tions d’efforts publics en faveur du loge­ment des Gre­no­blois et des com­munes de son agglo­mé­ra­tion.

Nous avons besoin d’un outil public pour mener une politique publique

La solu­tion de la SAC per­met de conser­ver un outil public et d’ouvrir un débat à l’échelon métro­po­li­tain sur la consti­tu­tion d’un outil métro­po­li­tain – que le Loge­ment du pays vizillois pour­rait éga­le­ment rejoindre – apte à mettre en œuvre une poli­tique du loge­ment effi­cace et cohé­rente. Un outil qui a un coût.
« Si l’on veut conser­ver Actis en l’état, il faut faire l’acquisition de 1 000 loge­ments : cela repré­sente 60 à 80 mil­lions d’euros », relève Nico­las. L’autre solu­tion pour construire une enti­té métro­po­li­taine, c’est le rachat par la Métro de la majo­ri­té des actions de Gre­noble habi­tat, actions aujourd’hui déte­nues par la ville de Gre­noble – la loi sur le trans­fert des com­pé­tences a confié Actis à la métro­pole sans contre­par­tie finan­cière pour Gre­noble. Ce rachat est éva­lué à 45 mil­lions d’euros. La SAC consti­tuée par Actis et GH serait alors plei­ne­ment métro­po­li­taine. Et ce rap­pro­che­ment avec Actis empê­che­rait Gre­noble habi­tat de choi­sir l’autre option – un choix auquel GH serait léga­le­ment contraint compte tenu de sa taille –, celle d’un regrou­pe­ment avec un orga­nisme HLM éloi­gné de la métro­pole. Ce qui serait autant de per­du pour l’efficacité d’un outil métro­po­li­tain du loge­ment.

Quoiqu’il en soit, « c’est une volon­té poli­tique de la métro­pole, un choix d’investissement qui doivent s’exprimer aujourd’hui, sou­ligne Nico­las Beron Per­ez, le loge­ment est une ques­tion suf­fi­sam­ment impor­tante pour que la métro puisse s’appuyer sur une struc­ture publique, contrô­lée par les élus du ter­ri­toire ».

Car der­rière ces ques­tions légales et finan­cières, il y a des loca­taires et tous ceux qui recherchent un loge­ment. « Je pro­pose une autre poli­tique de la construc­tion et de la réno­va­tion, avance Nico­las Beron Per­ez, une poli­tique de pla­ni­fi­ca­tion de l’ensemble des pro­grammes et des réser­va­tions fon­cières pour assu­rer un équi­libre au niveau glo­bal et non pas pro­gramme par pro­gramme comme aujourd’hui ; ce qui réduit les pos­si­bi­li­tés de construc­tion dans plu­sieurs sec­teurs et empêche d’atteindre les objec­tifs de pro­duc­tion de loge­ments sociaux ».

Ques­tion urgente : le nombre de loge­ments sociaux dans la métro­pole n’atteint pas les 25 % de la loi SRU et les demandes d’attribution d’un pre­mier loge­ment dans l’agglomération s’élèvent à 12 000.

236000

loge­ments

sur le ter­ri­toire de la métro­pole gre­no­bloise qui compte 450 000 habi­tants. Par­mi ceux-ci, on comp­ta­bi­lise 54 000 loge­ments sociaux, soit 23 % du total. C’est-à-dire sous le seuil de 25 % que pré­voit la loi SRU (soli­da­ri­té et renou­vel­le­ment urbains), loi adop­tée en décembre 2000 à l’initiative du ministre com­mu­niste du loge­ment de l’époque, Jean-Claude Gays­sot. Le taux de loge­ments sociaux est de 42,14 % à Saint-Martin‑d’Hères, 41,35 à Échi­rolles, 23,42 à Gre­noble, 12,03 à Corenc et 11,41 % à Sas­se­nage (chiffres 2019). Cinq des 49 com­munes de la métro­pole (Saint-Martin‑d’Hères, Échi­rolles, Pont-de-Claix, Fon­taine et Saint-Mar­tin-le-Vinoux) sont au-des­sus du seuil légal de 25 % de loge­ments sociaux.

17000 demandes

pour un loge­ment social sont en attente dans la métro­pole. Ce chiffre intègre les demandes de muta­tion (5 000) comme celles d’attribution d’un pre­mier loge­ment.

1300

c’est l’aug­men­ta­tion annuelle

du nombre de loge­ments sociaux que pré­voit le plan local de l’habitat de Gre­noble Alpes métro­pole par­mi les­quels 1 100 loge­ments fami­liaux. Cet accrois­se­ment du nombre de loge­ments fami­liaux est pré­vu par la construc­tion de 900 loge­ments et de 200 acqui­si­tions dans le parc pri­vé.

1100 logements sociaux

ont été pro­duits en 2018 dans la métro­pole gre­no­bloise. Ce chiffre est depuis en baisse, et les dif­fi­cul­tés finan­cières créées par l’État aux orga­nismes HLM ne vont pas amé­lio­rer les choses. L’objectif du plan local de l’habitat métro­po­li­tain semble dif­fi­cile à atteindre.

Zohra/
Zoh­ra Chor­fa-Kumpf, élue Confé­dé­ra­tion géné­rale du loge­ment au conseil d’administration d’Actis.

Des loyers pour payer des dividendes ?

Une crainte. Que le processus de rapprochement d’Actis et de Grenoble habitat se transforme en création d’une société d’économie mixte.

« Nous n’avons pas envie de cas­ser pour cas­ser, mais nous vou­lons que tout soit mis sur la table. » Zoh­ra Chor­fa-Kumpf repré­sente la Confé­dé­ra­tion géné­rale du loge­ment au sein du col­lec­tif contre la pri­va­ti­sa­tion d’Actis. Un col­lec­tif qui regroupe les fédé­ra­tions de loca­taires, le syn­di­cat CGT d’Actis ain­si que des per­son­na­li­tés et des sala­riés de l’office HLM.

Un col­lec­tif qui a déci­dé de sai­sir un avo­cat pour envi­sa­ger de contes­ter la pro­cé­dure en cours de rap­pro­che­ment entre Actis et Gre­noble habi­tat. Sur la base du défaut de concer­ta­tion avec les orga­ni­sa­tions de loca­taires. « En mai der­nier, la pré­si­dente d’Actis, Eli­sa Mar­tin, nous avait pro­mis de nous remettre tous les élé­ments du dos­sier pour que nous puis­sions for­mu­ler des avis et pro­po­si­tions, explique Zho­ra, nous atten­dons tou­jours, il paraît que les cir­cons­tances ne s’y prêtent pas. »

Une proposition, le rachat de logements

Sur le fond de l’affaire – la consti­tu­tion d’une socié­té ano­nyme de coor­di­na­tion (SAC) pour regrou­per Actis et Gre­noble habi­tat et pas­ser ain­si au des­sus du seuil de 12 000 loge­ments impo­sé par la loi – la repré­sen­tante de la CGL exprime une crainte. « Ce qui risque de se pas­ser, c’est que la SAC débouche ensuite sur la consti­tu­tion d’une socié­té d’économie mixte pure et simple, avec des action­naires pri­vés aux­quels il fau­dra payer des divi­dendes. »

Com­ment, dès lors, ne pas se mettre hors la loi Elan et son plan­cher de 12 000 loge­ments ? « Actis a pro­ba­ble­ment les moyens d’acheter mille loge­ments, plu­tôt que d’en vendre comme cela se fai­sait lorsque je suis arri­vée au conseil d’administration en 2018. »

HLM/
Se loger dans la métro­pole gre­no­bloise, une pré­oc­cu­pa­tion pour nombre de nos conci­toyens.

Les communistes jouent la transparence

Dans les mois à venir, les communistes iront à la rencontre des habitants de la métro. Objectif, débattre du logement et avancer leurs propositions.

Le droit de se loger digne­ment a tou­jours été et reste un com­bat cen­tral pour les com­mu­nistes. Ce sont d’ailleurs les com­munes qui ont ou avaient une muni­ci­pa­li­té diri­gée par un maire com­mu­niste qui cara­colent en tête des taux de loge­ments sociaux. Aujourd’hui, la res­pon­sa­bi­li­té de vice-pré­sident au loge­ment qu’exerce le com­mu­niste gre­no­blois Nico­las Beron Per­ez est un impor­tant point d’appui pour faire du loge­ment une prio­ri­té de la col­lec­ti­vi­té.

Mais tout n’arrive pas par en haut. L’ambition des com­mu­nistes est de don­ner au citoyens toute l’information sur ce qui se joue aujourd’hui : la pos­si­bi­li­té pour la col­lec­ti­vi­té qui les repré­sente, Gre­noble Alpes métro­pole, de dis­po­ser d’un outil qui lui per­mette de conduire une poli­tique du loge­ment qui réponde aux besoins.

Quoi de mieux, pour se faire, d’aller les ren­con­trer pour répondre à leurs ques­tions, leur pro­po­ser de rem­plir un cahier de doléances et de signer une péti­tion ? Ce sera l’un des chan­tiers des com­mu­nistes de la métro­pole de Gre­noble au cours des mois qui viennent.

Les citoyens invités à peser sur les choix politiques

L’objectif est de sen­si­bi­li­ser et mobi­li­ser sur le deve­nir du loge­ment social sur l’agglomération Gre­no­bloise, le dépar­te­ment et en France et de par­ti­ci­per à faire émer­ger un rap­port de force au pro­fit du droit au loge­ment. La ques­tion des bailleurs sociaux, ACTIS et GH en tête, et de la néces­si­té d’un outil public, qui per­mette de répondre aux besoins sera bien évi­dem­ment sur la table, mais pas que.

Le loge­ment social est atta­qué depuis des années et la spé­cu­la­tion immo­bi­lière rend le coût du loge­ment pri­vé tou­jours plus pro­hi­bi­tif. Dans le même temps, les orga­nismes HLM doivent faire face à des ponc­tions finan­cières impo­sées par l’État : ges­tion des APL, aug­men­ta­tion de la TVA sur cer­tains tra­vaux et construc­tions… Autant de dif­fi­cul­tés sup­plé­men­taires pour entre­te­nir et réno­ver les loge­ments, pour effec­tuer les tra­vaux néces­saires à la réno­va­tion éner­gé­tique, pour construire… Et la porte ouverte aux mar­chands de som­meil qui sévissent dans le parc pri­vé.

Les com­mu­nistes vont aller à la ren­contre des habi­tants pour échan­ger sur toutes ces ques­tions. Cela per­met­tra, aux côtés des asso­cia­tions et des fédé­ra­tions de loca­taires, de peser sur la poli­tique menée par les bailleurs, les col­lec­ti­vi­tés locales, et bien sûr l’État, qui tourne le dos au loge­ment social.

A la rencontre des métropolitains

Pour aller au contact des habi­tants, la cam­pagne du PCF sera basée sur le porte-à-porte avec deux maté­riels. Le pre­mier est une péti­tion pour faire valoir le main­tien et le déve­lop­pe­ment d’un outil du loge­ment public, capable de répondre à la forte demande, maî­tri­sé par la col­lec­ti­vi­té et les loca­taires. Le deuxième maté­riel est un cahier de doléance où les habi­tants pour­rons faire part de leurs pro­blèmes de loge­ment : adap­ta­tion du loge­ment, loyer, insa­lu­bri­té… Cela per­met­tra aux com­mu­nistes de mieux connaître les pro­blèmes du quo­ti­dien et le PCF par­ta­ge­ra le fruit de ces échanges avec les fédé­ra­tions de loca­taires et fera remon­ter, avec ses élus, aux bailleurs, aux col­lec­ti­vi­tés locales et à l’État.

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