Le vaccin pour tous… on veut y croire

Par Travailleur Alpin

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La vaccination a commencé à l’Ehpad du Bon Pasteur, à Saint-Martin-d’Hères. Fin janvier, elle se préparait au foyer du Poète, à Grenoble. Une préparation minutieuse et une attente parfois inquiète de l’arrivée des doses. Reportage dans deux structures accueillant, l’une des personnes âgées, l’autre des adultes en situation de handicap.

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À Saint-Martin-d'Hères, Le directeur et la docteur de l'Éhpad du Bon Pasteur croisent les doigts. Objectif, tous les résidents vaccinés mi-février.

« La vac­ci­na­tion elle-même a été pré­cé­dée d’un gros tra­vail de com­mu­ni­ca­tion auprès des per­son­nels, des rési­dents et de leurs familles pour qu’ils puissent don­ner un avis éclai­ré », sou­ligne M. Demo­lis, direc­teur de l’Ehpad du Bon Pas­teur, à Saint-Martin‑d’Hères. La doc­teur Jothy ren­ché­rit : « une réunion préa­lable d’information a été orga­ni­sée avec le ser­vice du CHU et des docu­ments d’information ont été mis à la dis­po­si­tion des per­son­nels pour leur per­mettre de répondre aux inter­ro­ga­tions des rési­dents. » La vac­ci­na­tion a eu lieu le 19 jan­vier. Avec le ren­fort appor­té par deux infir­mières sta­giaires et par un méde­cin géné­ra­liste volon­taire, ce sont qua­rante-deux vac­ci­na­tions (trente-neuf rési­dents et trois per­son­nels) que la doc­teur Jothy et l’infirmière de l’Ehpad ont assu­rées dans la jour­née.

L’agence régio­nale de san­té ne pou­vant livrer les vac­cins plus tôt, c’est le 9 février que se tien­dra la deuxième jour­née de vac­ci­na­tion. « Elle coïn­ci­de­ra avec l’injection du rap­pel pour les pre­miers vac­ci­nés. Encore une grosse jour­née en pers­pec­tive, relève la doc­teur Jothy, mais cela devrait bien se pas­ser, nous com­men­çons à être rodés », espère-t-elle en croi­sant les doigts eu égard aux reports de livrai­son par les labo­ra­toires. L’objectif serait que la tren­taine de rési­dents non encore vac­ci­née puisse l’être au terme de cette seconde séance.

Ce ne sera pas le cas dans tous les éta­blis­se­ments. Au foyer des Poètes, foyer de vie de l’association APF France han­di­cap situé à proxi­mi­té du Vil­lage olym­pique à Gre­noble, on en était fin jan­vier au recen­se­ment des rési­dents et des per­son­nels can­di­dats à la vac­ci­na­tion. La petite ving­taine d’adultes han­di­ca­pés héber­gés dans ce foyer était ain­si dans l’attente de l’arrivée des doses de vac­cin et de l’organisation d’une ses­sion de vac­ci­na­tion, soit dans l’établissement, soit dans un centre qui lui soit consa­crée.

À l’Ehpad du Bon Pas­teur, la jour­née de vac­ci­na­tion avait d’ailleurs été pré­cé­dée d’une pointe d’appréhension. « Jusqu’au der­nier moment nous étions un peu inquiets sur les délais de livrai­son des fla­cons, nous raconte la doc­teur Jothy, mais fina­le­ment tout s’est bien pas­sé et les vac­cins sont arri­vés en temps vou­lu via la phar­ma­cie locale ».

Des préparatifs sous la menace de la rupture d’approvisionnement

L’heure est aux pre­miers bilans. « Aucun pro­blème suite aux vac­ci­na­tions, dont cer­taines se sont même dérou­lées dans les chambres des rési­dents », note la doc­teur Jothy. Les rési­dents sou­hai­tant être vac­ci­nés ont dû préa­la­ble­ment consul­ter leur méde­cin trai­tant et la doc­teur Jothy pré­cise « qu’il n’y a eu que très peu d’avis médi­caux néga­tifs et dans les rares cas où les familles étaient ini­tia­le­ment réti­centes, elles se sont fina­le­ment ran­gées à l’avis favo­rable des rési­dents ». « Nous béné­fi­cions aus­si des expé­riences des uns et des autres, ajoute M. Demo­lis : une cel­lule de crise regrou­pant les dif­fé­rents par­te­naires (Ehpad, CHU, ARS, ordre des méde­cins…) se réunit tous les jeu­dis et ces temps d’échanges et d’informations sont vrai­ment bien­ve­nus. »

Les per­son­nels de plus de cin­quante ans ou à risques qui tra­vaillent dans ces éta­blis­se­ments ont eu droit à la pre­mière vague de vac­cins. « La méde­cine du tra­vail a été infor­mée de ce que nous orga­ni­sons, indique Mon­sieur Demo­lis, les per­son­nels (une soixan­taine), eux, peuvent tout à fait pas­ser par une autre pro­cé­dure de vac­ci­na­tion que via l’Ehpad  mais aucun d’entre eux n’est tenu de nous faire savoir s’il est vac­ci­né ou pas. »

Au foyer des Poètes, de France han­di­cap, les per­son­nels qui le sou­haitent seront vac­ci­nés dans l’enceinte de l’établissement et pen­dant le temps de tra­vail. Nadège, aide médi­co-psy­cho­lo­gique, note qu’« avec la menace des variants, les réti­cences à la vac­ci­na­tion dimi­nuent et on espère que cela per­met­tra, comme l’application de pro­to­coles sani­taires très stricts depuis le début de la crise, d’éviter aux per­son­nels et aux rési­dents du foyer d’être conta­mi­nés. »

C’est que dans ces éta­blis­se­ments, on sait ce que Covid veut dire. L’Ehpad Bon Pas­teur n’a pas échap­pé à la pan­dé­mie. « Aucun cas au prin­temps mais en revanche, en octobre-novembre, dix-huit rési­dents et qua­torze sala­riés, majo­ri­tai­re­ment asymp­to­ma­tiques, ont été tes­tés posi­tifs via un dépis­tage sys­té­ma­tique. » Une « aile Covid » avait été mise en place pour iso­ler les rési­dents malades et le per­son­nel de l’Ehpad a reçu le ren­fort d’infirmières libé­rales. A la satis­fac­tion géné­rale, aucun cas grave n’avait été déplo­ré, bien que l’établissement compte plu­sieurs cen­te­naires.

La déter­mi­na­tion à réus­sir la vac­ci­na­tion au plus vite n’en est que plus vive.

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Michèle Munoz, méde­cin géné­ra­liste à Fon­taine.

Une seule solution, la vaccination

On a les slogans que mérite son époque. Aujourd’hui, c’est la vaccination qui est à l’ordre du jour. Quand on y arrive. Les médecins l’encouragent, en tout cas. Entretien avec Michèle Munoz, généraliste.

« Les per­sonnes qui n’ont pas été confron­tées à la COVID avec des proches, ne se rendent pas compte. Il faut le vivre. » Michèle Munoz est méde­cin géné­ra­liste à Fon­taine depuis 27 ans. Elle ajoute : « Les plus gros pro­blèmes, ce sont les per­sonnes de san­té fra­gile, les opé­ra­tions déca­lées (can­cer…), l’engorgement de l’hôpital et l’augmentation des troubles anxio-dépres­sifs ». Car la Covid ne concerne pas uni­que­ment les per­sonnes affec­tées par le virus pro­pre­ment dit.

« C’est un enfer de tra­vailler nor­ma­le­ment, par exemple pour obte­nir un ren­dez-vous de radio­lo­gie. Les lignes télé­pho­niques sonnent dans le vide, les mails ne reçoivent pas de réponse. De même pour contac­ter les spé­cia­listes dont les patients ont besoin. Habi­tuel­le­ment, les délais dits nor­maux étaient déjà longs et avec la Covid, c’est pire ».

Obtenir une radio, c’est l’enfer

Alors elle informe, conseille. Pas une consul­ta­tion ou presque sans inter­ro­ga­tion sur le vac­cin. Elle-même s’est déjà fait vac­ci­ner. Sans hési­ta­tion.
« Aujourd’hui, on ne peut s’en sor­tir que par la vac­ci­na­tion et les gestes bar­rières. Il n’y a pas de médi­ca­ments dis­po­nibles pour soi­gner la mala­die », insiste Michèle Munoz.

Les méde­cins géné­ra­listes ont en outre en charge les consul­ta­tions pré­vac­ci­nales, les visites en EHPAD. « Cela a été lourd, notam­ment la pre­mière semaine de jan­vier. Un docu­ment signé du méde­cin indi­quant que la per­sonne ne pré­sen­tait pas de contre indi­ca­tion était remis à l’intéressé ».

Une des charges de tra­vail sup­plé­men­taires dues à la pan­dé­mie

Information

Jusqu’au 4 jan­vier 2021, les méde­cins géné­ra­listes dis­po­saient de peu d’informations. Désor­mais, les syn­di­cats des méde­cins, le conseil de l’ordre des méde­cins, l’agence régio­nale de san­té, la CPAM, informent les géné­ra­listes quo­ti­dien­ne­ment. Mais cela ajoute du tra­vail aux méde­cins, déjà débor­dés, au vu de l’évolution de cette pan­dé­mie.

Rému­né­ra­tion

Les méde­cins géné­ra­listes sont invi­tés sur la base du volon­ta­riat à déga­ger du temps pour se rendre dans les centres de vac­ci­na­tion. Pour cela, ils sont rému­né­rés au for­fait par demi-jour­née ou à l’acte. Un méde­cin per­çoit 5,40 euros par vac­cin sous réserve qu’il l’indique sur le compte Amé­lie de la CPAM.

L’accès à la vaccination

Des vac­cins faciles à conser­ver per­met­traient aux méde­cins géné­ra­listes d’effectuer la vac­ci­na­tion lors de leurs consul­ta­tions médi­cales. Mais dans les faits, le nombre de doses dis­po­nibles était insuf­fi­sant fin jan­vier, d’où l’idée, fina­le­ment aban­don­née, de ral­lon­ger l’intervalle entre les deux injec­tions.

L’impossible rendez-vous

Le gou­ver­ne­ment a mon­tré du doigt les Fran­çais sup­po­sés réti­cents à la vac­ci­na­tion. En jan­vier, et c’était par­ti pour durer, toutes les demandes de vac­ci­na­tion n’étaient pas assu­rées. Impos­sible d’obtenir des ren­dez-vous dans les centres de vac­ci­na­tion.

Le coût

Contrai­re­ment aux annonces gou­ver­ne­men­tales, le vac­cin n’est pas gra­tuit. C’est notre Sécu­ri­té sociale qui finance, en grande par­tie, le coût de cette pan­dé­mie, grâce aux coti­sa­tions des sala­riés et des entre­prises. Et n’oublions pas l’impact pré­vi­sible, à venir, sur les mutuelles.

Hôpital
Le CHU, seul site équi­pé des « super fri­gos » capables de sto­cker le vac­cin.

Au CHU, l’état d’urgence

La pharmacie de l’hôpital de Grenoble reçoit les livraisons de vaccin et les répartit dans les centres de vaccination. Entretien avec des syndicalistes du CHU, qui ont souhaité rester anonymes.

« Pfi­zer n’annonce les chiffres des livrai­sons que quinze jours à l’avance, donc on tra­vaille constam­ment à flux ten­du. » Et le plan­ning n’est pas tou­jours res­pec­té. À la phar­ma­cie du CHU, pas facile dans ces condi­tions de gérer la logis­tique. D’autant qu’il y a « trop de centres de vac­ci­na­tion : l’hôpital et la pré­fec­ture avaient pro­po­sé de limi­ter leur nombre, pour faci­li­ter l’acheminement et opti­mi­ser le sto­ckage du vac­cin. Mais tout le monde veut son petit centre, ce qui mobi­lise méca­ni­que­ment beau­coup plus de per­son­nel. Per­son­nels sup­plé­men­taires que nous n’avons pas. »

Tenir en réduisant les admissions grâce au couvre-feu

Lorsque les stocks sont si mani­fes­te­ment insuf­fi­sants, se pose aus­si la ques­tion des prio­ri­tés. « La direc­tion nous annonce mille malades de la Covid sur neuf mille sala­riés. Dans le ser­vice d’hématologie, seule­ment trois per­sonnes sur cin­quante ne l’ont pas eue. Un sur neuf, c’est sans doute sous-esti­mé. Pour le vac­cin, il aurait fal­lu prio­ri­ser les soi­gnants, sans qui le sys­tème de soins ne tourne pas, et les per­sonnes qui ont des patho­lo­gies et pour qui la Covid pren­dra des formes graves. »

Ils saluent la volon­té de ne pas gas­piller de doses, mais la ges­tion du « sur­plus » (chaque dose de cinq vac­cins en contrient en fait six, par sécu­ri­té) est lais­sée à l’appréciation des centres de vac­ci­na­tion. « Au CHU, après les dérives de copi­nages des pre­miers jours, on a obte­nu la mise en place d’une liste d’attente trans­pa­rente pour les non prio­ri­taires, c’est à dire ceux qui ne tra­vaillent pas direc­te­ment dans un ser­vice Covid. »

C’est aus­si à cause du manque de per­son­nels que sont prises les mesures de confi­ne­ment et de couvre-feu : « Ça limite le nombre d’admissions pour autre chose que la Covid. Comme on est à flux ten­du par­tout, c’est parce qu’on n’a plus les autres acci­dents qu’on arrive à gérer les patients Covid. Ça fait des années que nous aler­tons sur la situa­tion ten­due, mais on n’est pas plus écou­tés aujourd’hui qu’avant. C’est déses­pé­rant. »

Un cri d’alerte qui témoigne d’un fait : si nous n’investissons pas des mil­liards dans le sys­tème de soins, tout fini­ra par cas­ser.

Six vaccins avec cinq doses

Par mesure de pré­cau­tion, il y a plus de vac­cins dans une dose que néces­saire. Les chiffres avan­cés par l’agence régio­nale de san­té sont de 5,78 doses dans cinq fla­cons, le CHU a refait les tests et arrive à 5,6 doses. Pas tout à fait six, mais de quoi vac­ci­ner quelques per­sonnes sup­plé­men­taires. Au 19 jan­vier, en Isère, 15 949 per­sonnes ont reçu la pre­mière dose, dont 1 750 per­son­nels du CHU.

Vous avez la Covid ? C’est 200 euros

Lors de la pre­mière vague, le jour de carence avait été sup­pri­mé. Mais l’état de grâce est pas­sé : depuis l’été, si un soi­gnant attrape la Covid, il perd un jour de salaire et la prime de ser­vice, soit 200 euros de moins à la fin du mois. Et si vous n’êtes pas soi­gné au bout de sept jours, rebe­lote. Une logique qui conduit des soi­gnants encore conta­gieux à reve­nir au tra­vail, pro­pa­geant un peu plus l’épidémie. La recon­nais­sance en tant que mala­die pro­fes­sion­nelle, elle, est réser­vée aux agents admis en réani­ma­tion.

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