Petites entreprises. Une épidémie peut cacher une élection

Par Luc Renaud

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Reportées en janvier, puis une nouvelle fois en mars, les élections professionnelles dans les entreprises de moins de onze salariés disparaissent sous les radars. Leur enjeu n’en reste pas moins crucial. Pour les salariés concernés d’abord, pour l’ensemble du monde du travail ensuite, puisque s’y joue la représentativité syndicale nationale.

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Abderahim Rehioui, militant de la CGT, travaille rue Chenoise, dans une pâtisserie salon de thé. Et son problème, comme celui de tous les commerçants et de tous les salariés de ce quartier plutôt piéton du centre de Grenoble, c’est évidemment l’épidémie et les mesures prises pour y faire face.

« Fran­che­ment, ce n’est pas leur pro­blème ». Abde­ra­him Rehioui, mili­tant de la CGT, ne sait pas trop par quel bout prendre ces élec­tions dans les très petites entre­prises (TPE). Elle auront lieu fina­le­ment fin mars par cor­res­pon­dance et vote élec­tro­nique. C’est loin… sur­tout quand on ne sait pas ce qu’il en sera de son emploi dans les semaines qui viennent.

Abde­ra­him Rehioui tra­vaille rue Che­noise, dans une pâtis­se­rie salon de thé. Et son pro­blème, comme celui de tous les com­mer­çants et de tous les sala­riés qui tra­vaillent dans ce quar­tier plu­tôt pié­ton du centre de Gre­noble, c’est évi­dem­ment l’épidémie et les mesures prises pour y faire face. « Les gens ont peur », constate-t-il. Ce qui se tra­duit par une perte de chiffre d’affaires qu’Abderahim estime en moyenne à 50 %. « Ça ne va pas pou­voir durer comme ça. » Les pertes ont été sèches pen­dant le confi­ne­ment du prin­temps, la reprise a été dif­fi­cile et les der­nières mesures inter­ve­nues depuis octobre sont venues encore aggra­ver la situa­tion. Avec le couvre-feu, les res­tau­rants ont per­du le ser­vice du soir et cer­tains ont déci­dé de fer­mer pure­ment et sim­ple­ment. D’autant que le mou­ve­ment de contrac­tion de la clien­tèle est plus ancien, « je dirais à par­tir de 2008 », pré­cise Abde­ra­him. « Le Covid est venu accroître des dif­fi­cul­tés qui ont com­men­cé à se mani­fes­ter il y a déjà plu­sieurs années ».

En atten­dant des jours qu’ils espèrent meilleurs, com­mer­çants et sala­riés uti­lisent les dif­fé­rentes for­mules d’aides aux­quelles ils ont accès. Pour les sala­riés, c’est le recours mas­sif au chô­mage par­tiel. Les entre­prises, pour cer­taines d’entre elles, se tournent vers leurs assu­rances pour deman­der l’indemnisation de leurs pertes d’exploitation.

Nous connaissons tous quelqu’un de concerné

Dans ce contexte d’incertitudes majeures, la pers­pec­tive des élec­tions pro­fes­sion­nelles passe tout natu­rel­le­ment au second plan. Avec le risque d’une abs­ten­tion encore plus mas­sive qu’en 2016 – elle avait déjà dépas­sé les 92 % dans la région Auvergne-Rhône-Alpes. D’où la prio­ri­té des prio­ri­tés : infor­mer de l’existence de ce scru­tin. C’est ce qu’Abderahim Rehioui se pro­pose de faire… dès qu’il sera pos­sible dans la rue de par­ler d’autre chose que de la crise sani­taire et de ses consé­quences. Car nombre de sala­riés – plus encore qu’à l’accoutumée même si ce n’est pas à sou­hai­ter – auront sans doute besoin de la CGT pour faire valoir leurs droits. Et le syn­di­cat sera d’autant plus effi­cace pour le faire que le nombre de suf­frages qui se por­te­ront sur le bul­le­tin CGT sera impor­tant.

Les axes de cam­pagne ? Celui-ci, d’abord. Don­ner plus de force au syn­di­cat dont on a besoin. L’ensemble des sala­riés – et donc les 441000 qui tra­vaillent dans une TPE de la région – sont concer­nés par les salaires, le temps de tra­vail, les congés payés… autant de négo­cia­tions aux­quelles la CGT par­ti­cipe avec le poids élec­to­ral qui est le sien.

Et puis il y a ce qui concerne direc­te­ment les sala­riés de ces entre­prises de moins de onze sala­riés. Ces élec­tions per­mettent de dési­gner des repré­sen­tants dans cinq com­mis­sions pari­taires – arti­sa­nat, pro­fes­sions libé­rales, éco­no­mie sociale et soli­daire, emploi à domi­cile et assis­tantes mater­nelles et une cin­quième consa­crée aux autres sec­teurs d’activité. Ces com­mis­sions jouent le rôle des comi­tés sociaux et éco­no­miques. Les élus CGT y ont par exemple obte­nu que les employeurs arti­sans financent en tota­li­té l’adhésion à la carte loi­sirs de l’Ancav qui donne accès à des réduc­tions pou­vant atteindre 40 % pour les loi­sirs, les vacances, le ski, les sites tou­ris­tiques…

Ces com­mis­sions consti­tuent éga­le­ment un pre­mier recours pour un sala­rié qui vou­drait faire valoir ses droits : un sys­tème de média­tion peut être acti­vé. Elles orga­nisent aus­si l’information des sala­riés et des employeurs sur les dis­po­si­tions légales ou conven­tion­nelles.

Mais reve­nons à la cam­pagne élec­to­rale. « Ce qui est sûr, nous dit Abde­ra­him Rehioui, c’est qu’il est dif­fi­cile de contac­ter tous les sala­riés dans leurs entre­prises ; il faut jouer à plein des réseaux fami­liaux, en par­ler à ses amis ». Car nous connais­sons tous quelqu’un qui tra­vaille dans une TPE. L’informer de la tenue de ces élec­tions, le convaincre de voter CGT, sera déci­sif pour l’issue du scru­tin. Eu égard à la fai­blesse de la par­ti­ci­pa­tion, chaque voix fera pen­cher la balance. Et comme ce scru­tin dans les TPE est comp­ta­bi­li­sé pour éta­blir la repré­sen­ta­ti­vi­té natio­nale de chaque orga­ni­sa­tion, ce résul­tat concerne direc­te­ment tous les sala­riés.


Natha­lie Geld­hof, membre de la com­mis­sion exé­cu­tive de l’union dépar­te­men­tale CGT.

Des élus aux côtés des apprentis

Accompagner les apprentis dès leur entrée dans le monde du travail, l’un des enjeux de ces élections.

La dif­fi­cul­té, évi­dem­ment, c’est de ren­con­trer les sala­riés concer­nés. » Natha­lie Geld­hof, membre de la com­mis­sion exé­cu­tive de l’UD CGT de l’Isère, y est char­gée de la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle. Ce qui l’amène à coor­don­ner la cam­pagne de contact avec les appren­tis : ils votent aux élec­tions pro­fes­sion­nelles dans les entre­prises de moins de onze sala­riés.

Les appren­tis, la CGT pré­voit de les ren­con­trer lors de leurs périodes de for­ma­tion dans les CFA. Pour leur dire qu’ils « ont tout inté­rêt à ne pas res­ter iso­lés et que le syn­di­cat est là pour les infor­mer, les accom­pa­gner, les aider à faire valoir leurs droits ».

Ne pas rester isolé

Ren­for­cer la CGT per­met­tra d’accroître son effi­ca­ci­té à défendre les sala­riés des TPE, mais aus­si, très direc­te­ment pour les appren­tis, à leur don­ner des élus qui pour­ront les assis­ter dans chaque entre­prise : les élus dans les com­mis­sions pari­taires ont notam­ment pour mis­sion d’intervenir auprès des employeurs.

« Voter CGT, c’est réduire l’isolement dans lequel trop d’apprentis se retrouvent. » Et puis, ajoute Natha­lie, « un contrat d’apprentissage, c’est sou­vent la pre­mière expé­rience dans un métier et il est impor­tant pour les jeunes qu’elle se déroule au mieux ».

Le pre­mier contact

Les appren­tis sont des sala­riés en for­ma­tion. Leur vie pro­fes­sion­nelle débute. D’où l’importance d’un pre­mier contact avec le syn­di­cat : ils auront besoin de se faire entendre tout au long de leur car­rière. Une pre­mière ren­contre à l’occasion des élec­tions pro­fes­sion­nelles dans la TPE, c’est aus­si pré­pa­rer l’avenir.

Une formation professionnelle dans le cadre d’un contrat de travail

Un appren­ti est un sala­rié qui a signé un contrat de tra­vail par­ti­cu­lier, un contrat d’apprentissage. Ce qui com­porte une rému­né­ra­tion de 27 % du Smic en pre­mière année de contrat pour un appren­ti âgé de 16 à 17 ans ; 78 % du Smic entre 21 et 26 ans en troi­sième année de contrat et jusqu’à 100 % pour les plus de 26 ans. Ce tra­vail en entre­prise s’accompagne d’une for­ma­tion en CFA. En moyenne, un quart du temps de tra­vail y est consa­cré. L’apprentissage per­met de pré­pa­rer en alter­nance des CAP, BEP, BTS… dans les métiers de l’artisanat, mais les pos­si­bi­li­tés de l’apprentissage ont été éten­dues : un contrat peut être signé jusqu’à 29 ans et l’on peut obte­nir un diplôme d’ingénieur en alter­nance. Les CAP et BEP repré­sentent 39 % des appren­tis, 27 % pour les bac pro, 19 % pour les BTS et DUT, 6 % pour les licences pro et 8 % pour les ingé­nieurs.

Deux voies de formation

Une for­ma­tion pro­fes­sion­nelle s’acquière soit par la voix de l’apprentissage, soit par celle de l’enseignement pro­fes­sion­nel. « Dans un lycée, on fait plu­sieurs stages qui per­mettent de voir dif­fé­rentes facettes d’un même métier ; l’inconvénient de l’apprentissage, c’est que si ça se passe mal dans une entre­prise, on peut être ‘‘dégoû­té’’ d’un métier que l’on aime ». L’avantage d’un appren­tis­sage, c’est la — petite — rému­né­ra­tion dont on a besoin. Et un avan­tage cer­tain pour le pou­voir : s’éviter l’embauche d’enseignants dans les lycées pro­fes­sion­nels.

18

ans

c’est l’âge de la majo­ri­té qui per­met de voter. Pour les élec­tions poli­tiques ou pro­fes­sion­nelles. Les appren­tis, dès l’âge de 18 ans, sont élec­teurs. Comme ils tra­vaillent sou­vent dans de très petites entre­prises (55% d’entre eux), ils sont concer­nés par ces élec­tions.


L’occasion pour les sala­riés des TPE de don­ner de la voix.

Donner du poids aux revendications de la CGT

Des élus pour défendre les salariés et un bulletin pour le progrès social.

Un cin­quième des contrats d’apprentissage s’achèvent par une rup­ture avant terme. D’où l’intérêt de pou­voir recou­rir à des délé­gués syn­di­caux.

Prendre part au vote et choi­sir le bul­le­tin CGT, c’est aus­si, pour tous les sala­riés des TPE, se pro­non­cer en faveur des reven­di­ca­tions for­mu­lées par le syn­di­cat. Par exemple pour la réin­dus­tria­li­sa­tion et la relo­ca­li­sa­tion de filières d’activités inté­grant la recon­nais­sance de la res­pon­sa­bi­li­té des grands groupes vis-à-vis des sala­riés de leurs sous-trai­tants. De même que, pour assu­rer la péren­ni­té des TPE, une éga­li­té de trai­te­ment des grandes et petites entre­prises pour l’accès aux aides publiques et au cré­dit ban­caires.

Les sala­riés des TPE sont éga­le­ment direc­te­ment concer­nés par des reven­di­ca­tions comme la mise en place d’une sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle afin qu’aucun sala­rié ne subisse de rup­ture dans ses droits sociaux. Sans oublier l’égalité femmes hommes ou la prise en compte de la péni­bi­li­té.


Fran­cis Cues­ta, can­di­dat CGT Isère.

Cinq commissions régionales paritaires

Les élec­tions dans les TPE per­mettent de dési­gner des repré­sen­tants des sala­riés au sein de cinq com­mis­sions pari­taires régio­nales. La CPRIA est char­gée de l’artisanat. La CPRPL planche sur les pro­fes­sions libé­rales (cabi­net d’avocats, méde­cins…). La CPTEAM inté­resse les emplois à domi­cile. La CPRI regroupe tous les autres sec­teurs de TPE. Enfin, un Espace régio­nal de dia­logue social est consa­cré à l’économie sociale et soli­daire (asso­cia­tions…).

Ces com­mis­sions sont des outils équi­va­lents aux comi­tés d’entreprise pour les sala­riés des TPE.

Dans l’artisanat, un numé­ro, le 04 72 85 06 69, est par exemple à la dis­po­si­tion des sala­riés en conflit avec leur employeur.

Com­ment les sala­riés pour­ront voter

Du 25 jan­vier au 7 février de l’année pro­chaine, le vote s’effectuera vrai­sem­bla­ble­ment exclu­si­ve­ment par voie élec­tro­nique. C’est dire que la bataille de la par­ti­ci­pa­tion est loin d’être gagnée. L’UD-CGT de l’Isère se pro­pose de deman­der la mise à dis­po­si­tion dans les com­munes de salles équi­pées d’ordinateurs pour faci­li­ter les opé­ra­tions de vote.

Les élec­teurs devraient rece­voir en jan­vier un cour­rier com­pre­nant les infor­ma­tions per­met­tant de voter par voie élec­tro­nique sur le site election-tpe.travail.gouv.fr .

De pre­mières infor­ma­tions qui demandent à être pré­ci­sées et confir­mées, notam­ment au fil des mesures qui seront prises dans le contexte de la crise sani­taire.

Les élec­teurs devraient rece­voir en jan­vier un cour­rier com­pre­nant les infor­ma­tions per­met­tant de voter par voie élec­tro­nique sur le site election-tpe.travail.gouv.fr .

De pre­mières infor­ma­tions qui demandent à être pré­ci­sées et confir­mées, notam­ment au fil des mesures qui seront prises dans le contexte de la crise sani­taire.

La CGT plus de dix points devant la CFDT

Les der­nières élec­tions dans les TPE remontent à 2016. Lors de ce scru­tin, la par­ti­ci­pa­tion s’était limi­tée à 7,21% dans la région Auvergne-Rhône-Alpes.

La CGT avait obte­nu 26,47 % de l’ensemble des suf­frages expri­més (28,33 % dans le col­lège non cadres), la CFDT 14,98 % (14,31 % chez les non cadres), l’UNSA 12,45 % (13 % chez les non cadres), FO 11,78 % (12,32 %) et la CFTC 7,14 % (6,93 % chez les non cadres).

L’affaire de toute la CGT

Le résul­tat des élec­tions dans les très petites entre­prises est d’abord impor­tant pour les sala­riés concer­nés. Il l’est aus­si pour toute la CGT : il est comp­ta­bi­li­sé pour éta­blir la repré­sen­ta­ti­vi­té de chaque orga­ni­sa­tion, avec toutes ses consé­quences le poids de la CGT et sa capa­ci­té à faire bou­ger les choses. Rai­sons pour les­quelles toutes les unions locales et tous les syn­di­cats sont enga­gés dans la cam­pagne élec­to­rale.

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