A Fontaine, sortir de l’oubli l’autre 8 Mai 45

Par Edouard Schoene

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Une cen­taine de per­sonnes ont par­ti­ci­pé le 8 mai en soi­rée, à une com­mé­mo­ra­tion pleine d’enseignements his­to­riques et ancrée sur l’actualité fran­co algé­rienne : la com­mé­mo­ra­tion du 8 mai, libé­ra­tion du joug nazi ; l’hommage aux vic­times de « l’autre 8 mai », les mas­sacres de Setif, Guel­ma, Kher­ra­ta en Algé­rie ; l’actualité révo­lu­tion­naire en Algé­rie.

La pluie bat­tante était au ren­dez vous. Les res­pon­sables de la cité ont ouvert en hâte le hall de la mai­rie.

Il reve­nait à Mari­no Bona, pour le col­lec­tif « 17 octobre 1961 – 8 mai 1945 » de pré­sen­ter cette ren­contre à l’initiative de neuf asso­cia­tions, avec le sou­tien de 31 asso­cia­tions, syn­di­cats, par­tis. (*).

A la tri­bune les repré­sen­tants des orga­ni­sa­tions, M.Mohamed Ben­chikh, vice consul d’Algérie à Gre­noble, plu­sieurs adjoints, élus muni­ci­paux de Fon­taine (Laurent Jadeau, Clau­dine Didier, Syl­vie Bal­dac­chi­no, Sophie Rome­ra, Nizar Bara­ket, Muriel Chaf­fard ), M. Ber­nard Macret, adjoint de M. Piolle (Gre­noble), Mme Jac­que­line Madrennes, adjointe d’Echirolles, Mme Kha­dra Gaillard, conseillère dépar­te­men­tale, Mme Emi­lie Marche, conseillère régio­nale, Mme Claire Kir­kiya­cha­rian, vice-pré­si­dente de la Métro, Fran­çois Ger­bier, maire de Venon.

M. Laurent Jadeau accueillait les par­ti­ci­pants :
« Je suis très heu­reux de vous rece­voir si nom­breux pour cette com­mé­mo­ra­tion. C’est la troi­sième année que, à l’initiative du col­lec­tif de « l’autre 8 mai », nous com­mé­mo­rons ces évé­ne­ments tra­giques.
Cette année voit même une sorte de péren­ni­sa­tion, puisque nous dévoi­le­rons tout à l’heure ensemble une plaque.

Cer­tains trouvent étrange que le jour de la vic­toire des peuples euro­péens, et par­ti­cu­liè­re­ment fran­çais, sur la bar­ba­rie Nazie, on se per­mette de mettre à jour cette tra­gé­die dans laquelle, hélas, la France se trouve du côté des « bour­reaux ».
Je dirais sim­ple­ment que ces deux évé­ne­ments ont une signi­fi­ca­tion com­mune : on ne peut jamais main­te­nir indé­fi­ni­ment et impu­né­ment un peuple, quel qu’il soit, sous une domi­na­tion et contre sa volon­té.
C’est d’ailleurs le sens que vou­laient don­ner, ce 8 mais 1945 les Algé­riens, qui tout en vou­lant célé­brer eux aus­si la chute du nazisme, y voyaient un espoir pour leur propre éman­ci­pa­tion. Cet espoir à mal­heu­reu­se­ment été répri­mé dans le sang avec une sau­va­ge­rie inhu­maine.
Ce 8 mai, on peut le dire, repré­sente le départ du grand mou­ve­ment de libé­ra­tions des peuples colo­ni­sés, qui sera un des grands évé­ne­ments des deux décen­nies d’a­près guerre.

Com­mé­mo­rer cet évé­ne­ment, c’est aus­si tout faire pour entre­te­nir la com­pré­hen­sion et l’amitié mutuelle. Beau­coup de femmes et d’hommes d’Al­gé­rie, et bien plus géné­ra­le­ment de ce pour­tour médi­ter­ra­néen sont venus et ont construit avec nous la pros­pé­ri­té de notre pays. A Fon­taine, ce par­tage et cette com­mu­nau­té de vie à tou­jours été une de nos grandes valeurs.
Les libé­ra­teurs de 1945 en France, on construit une grande ambi­tion, avec le pro­gramme du CNR, d’une socié­té juste, soli­daire et fra­ter­nelle. Ces deux com­mé­mo­ra­tions sont là pour nous mon­trer l’universalité qu’au­rait dû repré­sen­ter immé­dia­te­ment ce pro­jet.

M.Mohamed Ben­chikh a pris la parole :
« Cette céré­mo­nie est his­to­rique. Je pré­sente les excuses de Mon­sieur le consul. Aujourd’hui est un jour impor­tant. Cette date a deux visages. Je suis diplo­mate et à la fois citoyen.
Je suis de la région de Sétif. Mes parents et grands parents m’ont racon­té.
Sétif a connu deux secousses socio­po­li­tique : 1945 et 2019.
La pre­mière mani­fes­ta­tion cette année s’est tenue à Sétif. »

Puis M. Hous­sam Dje­ba­lia , jeune algé­ro-fran­çais de 17 ans, lycéen, a lu l’appel, dans un silence émou­vant (*).

Maria­no Bona évo­quait ensuite la ques­tion rela­tive au ras­sem­ble­ment du jour et à l’histoire :
« L’histoire c’est du pas­sé qui sert à éclai­rer le pré­sent. Comme le dit l’appel, les jeunes algé­riens ne sont pas oublieux de leur his­toire pas­sée au moment où s’écrit une nou­velle page de l’histoire .
…Bien sûr per­sonne ne doit tenir la plume des his­to­riens. Il est impor­tant de le rap­pe­ler. Mais l’histoire c’est aus­si le résul­tat d’une exi­gence citoyenne. Le 17 octobre ne serait pas sor­ti de l’oubli en France sans la mobi­li­sa­tion des mili­tants et asso­cia­tions. »

Étaient invi­tés à prendre la parole, ceux qui le sou­hai­taient.

Lucie Mar­tin, au nom du PCF Isère est inter­ve­nue :
« …8 mai 45, ce jour là les cloches de Sétif sonnent pour annon­cer la fin offi­cielle de la seconde guerre mon­diale et la vic­toire sur le nazisme. La popu­la­tion d’Algérie a contri­bué à l’effort de guerre avec plus de 300 000 hommes enrô­lés dans l’armée fran­çaise.
Alors que les auto­ri­tés d’Alger auto­risent les mani­fes­ta­tions à condi­tion que per­sonne n’agite de ban­nière anti-impé­ria­liste, un jeune Kabyle bran­dit la ban­nière inter­dite, tan­dis qu’on entend mon­ter au des­sus de la foule « Min Dji­ba­li­na » (de nos mon­tagnes), un chant kabyle natio­na­liste ; le jeune homme est froi­de­ment assas­si­né d’une balle dans la tête. Abat­tu pour un dra­peau …
Entre 30 000 et 45 000 Algé­riens et Algé­riennes seront assas­si­nés par l’armée fran­çaise et les colons à Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta.
…Hier comme aujourd’hui, les com­mu­nistes seront du côté des forces popu­laires et de l’émancipation, qui se battent de l’autre côté de la rive pour une Répu­blique réel­le­ment démo­cra­tique.
…Sou­ve­nons-nous des com­bats pas­sés pour mener ceux d’aujourd’hui, car non le colo­nia­lisme n’est pas mort et l’impérialisme est un fléau tou­jours bien vivace. »


Puis Jac­que­line Madrennes, adjointe (Echi­rolles) a pris la parole.
Elle s’est féli­ci­tée que Ren­zo Sul­li, maire d’Echirolles ait inclus dans son inter­ven­tion du matin (com­mé­mo­ra­tion de la libé­ra­tion), des extraits de l’appel pour le ras­sem­ble­ment d’hommage aux Algé­riens morts le 8 mai 45 et les jours sui­vants.

«… Rien de plus facile que d’entretenir la guerre des mémoires.
Quand le récit est ins­tru­men­ta­li­sé pour entre­te­nir des idéaux de supé­rio­ri­té de civi­li­sa­tion qui étaient ceux de la colo­ni­sa­tion et qui ren­voient au racisme ambiant
L’Algérie colo­niale reste un socle idéo­lo­gique sur lequel s’enracinent les extrêmes qui s’en nour­rissent pour jus­ti­fier le rejet des étran­gers. (même si leur fond de com­merce ori­gi­nel était l’antisémitisme). Trop sou­vent déçue par les pro­messes d’égalité non tenues, notre jeu­nesse doit trou­ver toute sa place dans l’espace de la cité, dans le monde du tra­vail, l’accès aux loi­sirs et à la culture. La relé­ga­tion d’une grande par­tie d’entre eux, parce que plus pré­caires, dans les quar­tiers popu­laires, dans nos villes, rejoue le pro­ces­sus de ségré­ga­tion sociale et eth­nique du temps des colo­nies.
… La soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien pour faire abou­tir ses légi­times exi­gences inter­roge la place que nous aurons à prendre dans le mou­ve­ment et la dyna­mique démo­cra­tique en France et en Europe. »

La cho­rale « les bar­ri­cades a enton­né, accom­pa­gnée par des par­ti­ci­pants du jour  « Min Dji­ba­li­na ».

Puis les par­ti­ci­pants à l’hommage se sont ren­dus, sous la pluie, devant la plaque qui a été dévoi­lée et fleu­rie :

« L’autre 8 mai 1945, en Algé­rie.
A la mémoire des mil­liers de vic­times du colo­nia­lisme qui mani­fes­taient le 8 mai 1945 à Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta.
Pas­sant, sou­viens toi. »


* Appel pour la com­mé­mo­ra­tion le 8 mai 2019

Mas­sacres de Setif, Guel­ma, Kher­ra­ta en Algé­rie ; sor­tir de l’ou­bli l’autre 8 mai 1945

La chute du régime nazi a été un évé­ne­ment consi­dé­rable dans le monde entier, sou­le­vant l’es­poir d’un monde plus juste, res­pec­tueux des droits et des peuples. Cent trente mille sol­dats algé­riens et des dizaines de mil­liers d’autres sol­dats et de civils de pays colo­ni­sés ont par­ti­ci­pé à la lutte contre le nazisme au sein de l’ar­mée fran­çaise, les fameux « indi­gènes de l’ar­mée fran­çaise ».

Alors que l’Al­gé­rie est consti­tuée de trois dépar­te­ments fran­çais, la célé­bra­tion de la vic­toire des Alliés contre le Nazisme le 8 mai 1945 est l’oc­ca­sion pour les Algé­riennes et les Algé­riens de faire entendre les reven­di­ca­tions d’é­ga­li­té des droits et d’in­dé­pen­dance. A Sétif, des mil­liers d’Al­gé­riens mani­festent et bran­dissent des pan­cartes « Libé­rez Mes­sa­li » (Mes­sa­li Hadj, lea­der natio­na­liste empri­son­né), « Nous vou­lons être vos égaux », « À bas le

colo­nia­lisme », « Vive l’Al­gé­rie libre et indé­pen­dante », et un dra­peau qui devien­dra le dra­peau algé­rien. La répres­sion contre les Algé­riens dure­ra des mois et sera féroce : 10 000 à 40 000 vic­times selon les his­to­riens, à Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta.

C’est un véri­table mas­sacre et un crime d’État : il s’a­gis­sait pour le pou­voir fran­çais de l’é­poque de main­te­nir à tout prix l’Al­gé­rie sous domi­na­tion colo­niale. Cet évé­ne­ment tra­gique a été occul­té par tous ceux qui veulent mas­quer la réa­li­té du colo­nia­lisme, faite de vio­lence, d’inégalités et d’op­pres­sion.

L’oc­cul­ta­tion ou la néga­tion des crimes colo­niaux d’hier expliquent lar­ge­ment la per­ma­nence des dis­cri­mi­na­tions d’aujourd’hui. Alors que la xéno­pho­bie et la haine de l’autre sont prô­nées par des nos­tal­giques de l’ordre colo­nial et de la col­la­bo­ra­tion nazie, il est urgent de com­prendre que notre ave­nir est com­mun et qu’il est essen­tiel de construire des ponts plu­tôt que des murs.

Les mas­sacres de Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta font par­tie de l’Histoire de la France et de l’His­toire de l’Al­gé­rie. Cette his­toire com­mune doit être mise à dis­po­si­tion des nou­velles géné­ra­tions en France, en Algé­rie, en Europe et en Afrique.

Les jeunes Algé­riens ne sont pas oublieux de leur his­toire

Dja­mi­la Bou­hi­red, figure de la lutte pour l’indépendance de l’Algérie, est pré­sente à 84 ans dans les mani­fes­ta­tions, où elle est accla­mée et fêtée avec cha­leur par la jeu­nesse algé­rienne. Le mou­ve­ment fait le lien entre la période de lutte pour l’indépendance et la construc­tion de la démo­cra­tie en Algé­rie. C’est la conti­nui­té d’un pro­jet de liber­té.

1962 : indé­pen­dance de l’Al­gé­rie

Mou­ve­ment en Algé­rie : une révo­lu­tion pour l’émancipation et la digni­té

Depuis le 22 février 2019, sur l’ensemble du ter­ri­toire algé­rien, le peuple s’est levé en masse et paci­fi­que­ment, pour en finir avec la cor­rup­tion et obte­nir des chan­ge­ments poli­tiques et sociaux. Un soleil nou­veau brille et irra­die le pays d’un désir de démo­cra­tie, d’une volon­té d’é­tat de droit, d’une soif de jus­tice sociale et de liber­té.

Jeunes, femmes, étu­diants.… pro­gres­sistes et démo­crates, aspirent à une nou­velle socié­té plus libre, plus démo­cra­tique et plus juste. Ces mani­fes­ta­tions de grande ampleur, paci­fiques, citoyennes, fra­ter­nelles et civiques, menées par les algé­riennes et les algé­riens forcent le res­pect et l’ad­mi­ra­tion par­tout dans le Monde.

Nous appe­lons à être soli­daires du peuple algé­rien dans son com­bat démo­cra­tique.

pour deman­der

 la recon­nais­sance par l’E­tat Fran­çais des crimes com­mis lors du 8 mai 1945 dans la

région de Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta

 l’ins­crip­tion dans les livres d’His­toire des crimes colo­niaux com­mis contre les

peuples (Algé­rie, Mada­gas­car, Indo­chine, …)

 une écri­ture par­ta­gée entre la France et l’Al­gé­rie de leur his­toire com­mune ouvrant

sur de nou­velles coopé­ra­tions citoyennes

à l’ap­pel de :

Algé­rie au Cœur, Amal, ANPNPA (Asso­cia­tion Natio­nale des Pieds Noirs Pro­gres­sistes et leurs

Amis ), ASALI (Asso­cia­tion de Soli­da­ri­té des Algé­riens de l’I­sère), ATLLAS (Asso­cia­tion Tis­ser Les Liens d’A­mi­tié Soli­daires), CIIP (Centre d’In­for­ma­tion Inter-Peuples), Coup de Soleil Rhône-Alpes, CSRA (Comi­té de Sou­tien aux Réfu­giés algé­riens), Mou­ve­ment de la Paix Isère, Ras L’Front.

avec le sou­tien de :

ACIP-ASADO, Asso­cia­tion dau­phi­noise pour l’a­mi­tié fran­co-liba­naise (ADAFL), Asso­cia­tion isé­roise des amis des kurdes (AIAK), Asso­cia­tion des Tuni­siens de l’I­sère-Citoyens des deux rives (ATI-CDR), Asso­cia­tion France Pales­tine Soli­da­ri­té (AFPS), ATTAC 38, Cercle Ber­nard Lazare, Cercle Laïque, Comi­té Traite Negrière Escla­vage (CTNE), Fédé­ra­tion de l’I­sère de la Ligue des droits de l’Homme, Ligue Inter­na­tio­nale des femmes pour la Paix et les Liber­tés, Mou­ve­ment contre le racisme et pour l’a­mi­tié entre les peuples (MRAP), Nil Isère, Nues­tra Ame­ri­ca, Réseau Edu­ca­tion Sans Fron­tières (RESF 38), Réseau Uni­ver­si­tés Sans Fron­tières (RUSF 38), Sur­vie-Isère, UD-CGT, Soli­daires, ADES, Ensemble !, France Insou­mise (Jeunes Insou­mis, La Tronche Mey­lan Sap­pey , Lan­ceurs de Tuiles), GO Citoyen­ne­té, MRC, NPA, PCF 38, PG 38, PRCF&JRCF, PS 38, Réseau Citoyen de Gre­noble.

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