Chauffage urbain. La poule aux œufs d’or ?

Par Luc Renaud

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Le chauffage urbain, à Grenoble, c’est une affaire qui marche. Second réseau en France, utilisation chaque année accrue d’énergies renouvelables... et bénéfices records. Ces bons résultats sont-ils une bonne nouvelle pour les actionnaires ou pour les usagers ? Enjeu d’importance, au moment où de très importants investissements sont programmés.

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Dans l'agglomération grenobloise, le chauffage urbain utilise comme combustible les ordures ménagères (36 %), le bois (21 %), le charbon (17 %), le gaz (11 %), le fioul (6 %) et le reste en farines animales.


Les chiffres sont magni­fiques. Sur la sai­son 2016–2017, la Com­pa­gnie de chauffe inter­com­mu­nale de l’agglomération gre­no­bloise a enre­gis­tré un béné­fice net après impôt de 3,6 mil­lions d’euros, en hausse de 50 % sur l’exercice pré­cé­dent. La CCIAG vend du chauf­fage, mais aus­si de l’électricité, du froid, des téléa­larmes… Les résul­tats du seul chauf­fage urbain (61 % de son acti­vi­té) sont eux aus­si cou­leur de grand beau temps. Le résul­tat cou­rant avant impôt s’établit à 1,9 mil­lion d’euros, en hausse de 43 % sur l’hiver 2015–2016. Encore faut-il pré­ci­ser que 5,5 mil­lions d’euros ont été pré­le­vés sur le résul­tat (7,4 mil­lions d’euros avant ce trans­fert) pour être affec­tés au pré-finan­ce­ment de la construc­tion de la cen­trale Bio­max, sur la Presqu’île.

Com­ment en est-on arri­vé là, bien au delà des pré­vi­sions bud­gé­taires ? Un peu par hasard. L’hiver der­nier a été plus froid que celui qui l’a pré­cé­dé. Hausse méca­nique de la consom­ma­tion… et du chiffre d’affaire. Mais la tem­pé­ra­ture est très loin d’expliquer à elle seule l’explosion des béné­fices. L’essentiel, c’est la manière dont le cal­cul de la fac­tu­ra­tion aux usa­gers a été réa­li­sé. Pour faire simple, la note est com­po­sée d’une par­tie fixe et d’une par­tie mobile liée au prix des com­bus­tibles. Ces com­bus­tibles, ce sont les ordures ména­gères (36 % sur l’exercice), le bois (21 %), le char­bon (17 %), le gaz (11 %), le fioul (6 %), le reste en farines ani­males. Leur prix évo­lue : plus 21 % pour le fioul par rap­port à la sai­son pré­cé­dente, plus 17 % pour le char­bon, 1 % pour le bois, 0 % pour l’incinération.


Chauf­fage urbain. Qui va payer quoi ? « Un vrai chan­tier démo­cra­tique à ouvrir », estime Patrick Durand

Dans le panier de la chau­dière gre­no­bloise – le « mix éner­gé­tique » –, la part des éner­gies renou­ve­lables aug­mente : elle atteint 60 %, en hausse constante – la moyenne natio­nale est de 40 %. Or la clé de répar­ti­tion uti­li­sée pour la fac­tu­ra­tion de l’hiver der­nier pré­sup­po­sait un poids rela­tif plus impor­tant des éner­gies dont le prix a le plus aug­men­té. D’où un résul­tat finan­cier très béné­fi­ciaire pour la CCIAG… et ses action­naires.

Car la com­pa­gnie de chauffe gre­no­bloise est une socié­té d’économie mixte. La métro­pole et plu­sieurs com­munes de l’agglo y sont majo­ri­taires. Dal­kia est le plus impor­tant de ses action­naires pri­vés. Véo­lia figure éga­le­ment au capi­tal.

Les repré­sen­tants des usa­gers dans les ins­tances de concer­ta­tion de la CCIAG ne manquent d’ailleurs pas une occa­sion de deman­der une trans­pa­rence accrue dans la pré­sen­ta­tion des comptes. Qui paie quoi pour qui ? Quel sera le coût du chauf­fage dans les années à venir ?

Pour les représentants des usagers, pas toujours facile de s’informer

Un sou­ci que par­tage Patrick Durand, élu com­mu­niste à la métro et membre de la com­mis­sion char­gée de ce dos­sier. « La CCIAG n’a pas voca­tion à régler des divi­dendes », dit-il en pré­am­bule. Pas ques­tion de lais­ser la situa­tion en l’état. « Nous sommes inter­ve­nus pour que soient adap­tés les sys­tèmes de fac­tu­ra­tion à l’heureuse évo­lu­tion du mix éner­gé­tique », pré­cise-t-il. Adap­ta­tion en cours, même si le règne de la tech­no­cra­tie per­met dif­fi­ci­le­ment au citoyen de contrô­ler cette évo­lu­tion. Le R1uve, le R1b… des for­mules à trois fac­teurs avec déno­mi­na­teurs…

Les enjeux à venir sont pour­tant consi­dé­rables. « Les élus com­mu­nistes pour­suivent un double objec­tif, com­mente Patrick Durand, la pour­suite de la réduc­tion des com­bus­tibles émet­teurs de gaz à effet de serre et une tari­fi­ca­tion main­te­nue au plus bas pour assu­rer le déve­lop­pe­ment du chauf­fage urbain, la meilleure solu­tion éco­lo­gique. »

Tout va bou­ger dans les années qui viennent. Des inves­tis­se­ments consi­dé­rables : la pro­duc­tion de gaz par métha­ni­sa­tion des déchets ali­men­taires, l’entrée en ser­vice de Bio­max, la recons­truc­tion de l’usine d’incinération… Tout cela en liai­son avec l’urbanisation, l’organisation des trans­ports – « il n’est pas ration­nel de brû­ler à Gre­noble des ordures ména­gères de Valence et d’envoyer trai­ter à Valence les déchets hos­pi­ta­liers gre­no­blois, par exemple ».

« Il faut mettre tout cela sur la place publique, en débattre avec les sala­riés de la CCIAG comme de GEG, avec les usa­gers du ser­vice public, les infor­mer effec­ti­ve­ment, les asso­cier aux déci­sions, veiller à ce que l’argent public n’aille pas gon­fler les pro­fits pri­vés… » Pour Patrick Durand, c’est aujourd’hui un grand chan­tier démo­cra­tique qu’il faut ouvrir dans la métro­pole gre­no­bloise.

Sources : Rapport du délégataire 2016/2017 Analyse du contrat de concession CCIAG relatif au chauffage urbain ; Rapport développement durable 2016/2017 CCIAG.
Sébas­tien Cavaillé, délé­gué syn­di­cal CGT à Sol­vay.

La plateforme va chauffer l’agglomération

Les calories excédentaires produites dans la plateforme chimique du Pont-de-Claix vont être utilisées par le réseau de chauffage urbain de l’agglomération grenobloise.

Côté sala­riés, c’est la satis­fac­tion. « Ce sera une acti­vi­té sup­plé­men­taire pour l’entreprise et ça contri­bue à sa péren­ni­té », com­mente Sébas­tien Cavaillé, délé­gué syn­di­cal CGT. Qui n’est par ailleurs pas fâché de ce que « la pla­te­forme chi­mique fasse la démons­tra­tion qu’elle peut agir contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ».

Le sys­tème est simple. Sur la pla­te­forme du Pont-de-Claix, Sol­vay est char­gée des « uti­li­tées ». L’entreprise four­nit aux uni­tés de pro­duc­tion chi­miques du site chauf­fage, élec­tri­ci­té, eau démi­né­ra­li­sée, vapeur… des fluides indis­pen­sables à la pro­duc­tion et au fonc­tion­ne­ment. En fonc­tion des ten­sions sur le réseau élec­trique, Sol­vay four­nit de l’énergie lors des pics de consom­ma­tion. En ce qui concerne la pro­duc­tion de vapeur, la ges­tion des flux est tech­ni­que­ment com­plexe. La consé­quence, c’est qu’il arrive que des calo­ries soient reje­tées dans l’atmosphère. Gas­pillage et réchauf­fe­ment.

L’industrie contre le réchauffement, c’est possible

D’où l’idée de bon sens de rac­cor­der l’unité de pro­duc­tion de Sol­vay au réseau urbain. Une conven­tion a été signée en ce sens entre Sol­vay et la métro­pole, ges­tion­naire du réseau par l’intermédiaire de la Com­pa­gnie de chauf­fage inter­com­mu­nale de l’agglomération gre­no­bloise (CCIAG). Ce qui per­met­tra d’utiliser sur le réseau de chauf­fage en hiver les excé­dents issus de la pla­te­forme et en été les calo­ries pro­duites par l’incinération des ordures ména­gères… dont on ne sait pas trop que faire.

Une opé­ra­tion qui va de pair avec la mise aux normes de l’unité de pro­duc­tion de cha­leur de Sol­vay qui uti­lise désor­mais des com­bus­tibles moins pol­luants.

272

méga­watts

c’est la puis­sance moyenne jour­na­lière la plus éle­vée qui a été déli­vrée par le réseau de chauffe l’hiver der­nier (242 MW en 2015–2016), avec un pic ins­tan­ta­né à 350 MW. Le record his­to­rique a été de 406 MW en février 2012). Le bois et les ordures ména­gères sont sus­cep­tibles de pro­duire 150 MW d’énergie. Lorsque la demande fran­chit ce seuil, il faut faire appel au gaz, au char­bon et au fioul. Cette demande dépasse 300 MW lors des pointes de froid. Le recours aux éner­gies fos­siles a été néces­saire pen­dant la moi­tié des jours de l’hiver der­nier. La mise en ser­vice de Bio­max devrait per­mettre de limi­ter ce recours à un tiers des jours d’hiver. Six chau­dières sont en ser­vice, les trois plus impor­tantes étant Atha­nor (ordures ména­gères), Poterne et Vil­le­neuve.

 

Extension du réseau

La connexion au réseau urbain de la cen­trale de chauffe de la pla­te­forme chi­mique offre des pos­si­bi­li­tés nou­velles pour l’utilisation du réseau au Pont-de-Claix, dans le quar­tier des pape­te­ries. De même que l’ancien col­lège des Iles de Mars, aujourd’hui bâti­ment com­mu­nal, pour­rait être rac­cor­dé au réseau de chauffe.

Sociétés d’économie mixte

La Com­pa­gnie de chauf­fage inter­com­mu­nale de l’agglomération gre­no­bloise et Gre­noble élec­tri­ci­té gaz sont deux socié­tés d’économie mixtes majo­ri­tai­re­ment déte­nues par Gre­noble Alpes métro­pole. Les élus dési­gnés par la métro­pole pour sié­ger dans leurs conseils d’administration sont majo­ri­tai­re­ment gre­no­blois. La CCIAG est pré­si­dé par Hakim Sabri, adjoint aux finances de la ville de Gre­noble, et GEG par Vincent Fris­tot, adjoint à l’urbanisme de la ville de Gre­noble.

À la Presqu’île, la cen­trale au fioul du CEA sera rem­pla­cée par Bio­max, au bois.

Biomax. On n’a pas de pétrole, mais on a du bois

C’est le plus gros investissement réalisé depuis 1992. 60 millions d’euros investis pour chauffer plus de 15 000 logements.

Le grand pro­jet en cours, c’est la cen­trale au bois Bio­max. Elle est en cours de construc­tion sur la presqu’île, en bor­dure de l’autoroute A 480.

Cette uni­té de pro­duc­tion de cha­leur rem­pla­ce­ra la cen­trale du CEA, encore en ser­vice et qui fonc­tionne au fioul lourd. La nou­velle cen­trale brû­le­ra des pla­quettes de bois et pro­dui­ra tout à la fois de la cha­leur et de l’électricité à par­tir d’un géné­ra­teur de vapeur. L’intégralité des capa­ci­tés de pro­duc­tion sera mobi­li­sée sur le réseau de cha­leur dans les périodes de froid.

Mise en service dans deux ans

La cen­trale consom­me­ra envi­ron 85 000 tonnes de bois par an qui s’ajouteront aux quelque 100 000 tonnes annuelles brû­lées dans les chauf­fe­ries de l’agglomération. La Com­pa­gnie de chauffe estime que ses appro­vi­sion­ne­ments sont réa­li­sés à moins de cent kilo­mètres de Gre­noble, notam­ment avec le pôle de sto­ckage du bois ouvert à Gon­ce­lin en octobre 2015. L’utilisation du bois ren­for­ce­ra la part des éner­gies renou­ve­lables uti­li­sées par le chauf­fage gre­no­blois pour la por­ter à 70 %.

Le coût total de l’opération est esti­mé à 60 mil­lions d’euros. La mise en ser­vice de Bio­max devrait inter­ve­nir au cours du pre­mier tri­mestre 2020. La cen­trale Bio­max chauf­fe­ra entre quinze et vingt mille loge­ments, selon leur taille, et ali­men­te­ra 10 000 loge­ments en élec­tri­ci­té.

Pour la participation citoyenne, la nécessité d’un statut de l’élu

« Ce sont des sujets com­plexes qui demandent d’y consa­crer du temps. » Patrick Durand, élu com­mu­niste au Pont-de-Claix, est membre de la com­mis­sion qui traite notam­ment des éner­gies, à la métro­pole. Qui se réunit tous les ven­dre­dis. « Les enjeux poli­tiques et finan­ciers sont consi­dé­rables. » Rai­son de plus pour deman­der un véri­table sta­tut de l’élu qui donne la pos­si­bi­li­té de se consa­crer aux dos­siers « et sur­tout de maî­tri­ser suf­fi­sam­ment les sujets pour pou­voir en infor­mer les citoyens et débattre avec eux des choix qui doivent être ceux de la col­lec­ti­vi­té ». Car si les élus locaux ne peuvent conci­lier vie pro­fes­sion­nelle et tra­vail au ser­vice de la col­lec­ti­vi­té, ce sont les tech­ni­ciens qui font avan­cer des solu­tions. Solu­tions qui, faute de temps pour en débattre, ne sont pas tou­jours conformes aux choix poli­tiques des citoyens.

170

kilo­mètres de tuyaux

consti­tuent le réseau de l’agglomération, dont 94 à Gre­noble et 25 à Echi­rolles. Avec La Tronche, Saint-Martin‑d’Hères, Eybens et Pont-de-Claix, six com­munes sont des­ser­vies. Gières et Fon­taine dis­posent de réseaux auto­nomes. Le réseau gre­no­blois est le deuxième en impor­tance après celui de Paris. 100 000 équi­valent-loge­ments sont rac­cor­dés, un tiers du total.

Prime au bois

Depuis le 28 sep­tembre, la prime air bois a été dou­blée. Elle passe de 800 à 1 600 euros (et de 1 200 à 2 000 euros pour les habi­tants ayant de moindres res­sources). C’est que le chauf­fage au bois est l’un des grands émet­teurs de par­ti­cules fines, l’un des cou­pables, avec les trans­ports, des pics de pol­lu­tion. En cause, l’ancienneté des équi­pe­ments : les poêles de fabri­ca­tion récente (pos­té­rieurs à 2002 en tout cas) sont très net­te­ment moins pol­luants. D’où l’incitation – qui ne fai­sait pas recette jusqu’alors – au renou­vel­le­ment du maté­riel. Le dos­sier est télé­char­geable sur alec-grenoble.org ou
lametro.fr/primeairbois

Géo­ther­mie

La géo­ther­mie fait par­tie des pistes pro­met­teuses pour le chauf­fage urbain. Au niveau de la Presqu’île, les condi­tions sont favo­rables pour pui­ser dans le sous-sol des calo­ries exploi­tables par le réseau de cha­leur.

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