Un quartier populaire de Saint-Martin-d’Hères. Mais aussi un travail qui s’inscrit dans un courant architectural du XXe siècle, celui du respect du logement social et de ceux qui y vivent.

Anne Pernet

L’histoire commence en 1970 à Ivry-sur-Seine. La ville veut rénover son centre. Jean Renaudie et Renée Gailhoustet créent un concept de « cités en étoiles » et lancent trois opérations sur cinq ans. Ils cassent l’angle droit et dynamisent l’espace en introduisant la diagonale et la tangente, contre l’effet « cage à lapins ». En 1974, Saint-Martin-d’Hères et son maire, Jo Blanchon, se lancent dans l’aventure. La ville travaille avec l’architecte Jean Renaudie. Le projet est celui d’un quartier central. La cité Renaudie est la première réalisation de ce programme qui n’a pu complètement aboutir, faute de financements. Aujourd’hui, ce sont 472 logements, dont une majorité de logements sociaux et l’avenue du 8 Mai 45, avec ses angles pointus, ses terrasses et ses plantes qui semblent pousser sur du béton armé.

D’abord ceux qui habitent. Puis les pièces, l’appartement, et la cité, construits pour eux

Jean Renaudie, c’est d’abord l’exigence de la plus haute qualité architecturale pour le logement social. Aucun appartement ne se ressemble, rien n’est standard dans la cité. Ce n’était pas la seule ambition de l’architecte précurseur. L’innovation vient aussi de l’idée de toits terrasses végétalisées. A l’origine, trente centimètres de terre étaient à la disposition des habitants pour cultiver leurs potagers, planter des fleurs ou des arbustes. Pour une raison pratique : la terre participe à l’isolation thermique, protège l’étanchéité des chocs thermiques… Pour une raison esthétique et idéologique : les architectes pensaient que chaque résident pouvait personnaliser la construction, qui serait aboutie lorsque ses habitants se la seraient appropriée. Un éco-quartier avant l’heure en somme, même si l’Opac 38 a décidé au début des années 2 000 de retirer la terre des terrasses locatives, compte tenu d’usages qui avaient parfois cours, comme la plantation de trop grands arbres : tout n’est pas toujours complètement prévu, quand on innove…

   

On retrouve cette architecture dans plusieurs projets de Jean Renaudie et de Renée Gailhoustet, menés séparément. Deux d’entre eux, le quartier de La Maladrerie à Aubervilliers, en région parisienne, et la cité des étoiles de Givors, dans le Rhône, ont obtenu le label « Patrimoine du XXe siècle ». A Saint-Martin-d’Hères, la demande est en cours. Ce label du ministère de la Culture désigne depuis 1999 les édifices « dont l’intérêt architectural et urbain justifie des les transmettre aux générations futures comme des éléments à part entière du patrimoine du XXe siècle ». A Givors, les étoiles sont intégrées dans un réseau d’« utopies réalisées » comprenant cinq sites patrimoniaux du XXe siècle dans la région lyonnaise. Plan, audioguide et livre sont à disposition des visiteurs. La Maladrerie accueille une cinquantaine d’ateliers d’artistes au milieu de ses neuf cents logements. Ils n’hésitent pas à valoriser leur lieu de vie. Parmi eux, Hocine Ben organise des visites poétiques et slamées de son quartier.

Comme un hommage aux possibilités du ciment, inventé à Grenoble

Serge Renaudie, lui-même architecte, a terminé le chantier de Saint-Martin-d’Hères après la mort de son père. Il travaille à diffuser son héritage. Sur une idée de Serge Renaudie, en mars 2016, un festival d’architecture est lancé à Ivry-sur-Seine. Le conseil de l’architecture, de l’urbanisme et de l’environnement du Val-de-Marne, la municipalité et des partenaires portent « La tête dans les étoiles » en hommage au travail de Jean Renaudie et de Renée Gailhoustet.
Ces cités en étoiles racontent quelque chose de l’histoire de l’architecture. A l’école des Beaux-arts, Jean Renaudie a étudié dans l’atelier d’Auguste Perret, l’architecte de la reconstruction du Havre. Puis de Marcel Lods, qui co-réalisa la Cité de la Muette à Drancy, premier grand ensemble en France. L’Atelier Montrouge – première agence collective de Jean Renaudie – dans son ensemble est inspiré par les travaux de Le Corbusier. L’unité d’habitation, principe qui régit la construction de la Cité radieuse à Marseille entre 1945 et 1952, est bâtie sur la morphologie humaine grâce au Modulor, une silhouette humaine théorique. L’humain d’abord.
Et tout ce béton ? Louis Vicat a inventé le ciment artificiel à Grenoble, en 1818. Par souci d’utilité publique, il ne déposa pas de brevet. Les Anglais le firent à sa place en 1824, sous la marque Portland. François Hennebique mit au point le béton armé – le Système Hennebique – en 1892. Sa Villa-témoin de Bourg-la-Reine, en Ile-de-France, est classée depuis 2012, grâce à la mobilisation de ses habitants, rénovée avec le concours d’un architecte des bâtiments de France.
L’architecture du XXe siècle est dans l’air du temps. Et la cité Renaudie de Saint-Martin-d’Hères en constitue une belle page.

Jean Renaudie, un architecte du logement social

Jean Renaudie a consacré l’essentiel de son œuvre à l’espace public et au logement social. Né en Haute-Vienne en 1925, il entre aux Beaux-arts de Paris à vingt ans. En 1958, Jean Renaudie fonde avec trois camarades, l’Atelier de Montrouge, puis sa propre agence dix ans aprè

s. Il est co-architecte de la rénovation du centre ville d’Ivry-sur-seine avec Nina Schuch et Renée Gailhoustet. Cette dernière importera « la cité en étoiles » à Aubervilliers, à Saint-Denis et à La Réunion. Jean Renaudie les conçoit à Givors, Villetaneuse et Saint-Martin-d’Hères. Il reçoit le Grand Prix national d’architecture du ministère de la Culture en 1978 pour l’ensemble de son œuvre. L’architecte s’éteint à Ivry-sur-Seine en 1981.

Renaudie. Quartier populaire, quartier d’architecte

Un quartier populaire de Saint-Martin-d’Hères. Une architecture qui en fait une page du patrimoine national. Un quartier politique de la ville. Une réputation controversée. Des programmes de rénovation achevés, d’autres en cours. Kerian Boukaala, président du conseil citoyen, nous parle de la cité dans laquelle il a grandi.

Luc Renaud

Kerian Boukaala, président du conseil citoyen de Renaudie Chamberton La Plaine.

Renaudie. Dans l’agglomération grenobloise, la cité a mauvaise réputation. Celle d’un des quartiers où le trafic de drogue a élu domicile. Kerian Boukaala y a grandi. Etudiant, âgé de 19 ans, il est président du conseil citoyen du quartier Renaudie/Chamberton/la Plaine, « quartier politique de la ville », où les interventions publiques sont coordonnées. « Renaudie est un quartier qui a énormément d’atouts », dit-il de prime abord.
Ces atouts, il les voit d’abord dans l’architecture. « Les volumes, la conception des appartements, la verdure… c’est un cadre de vie qu’on n’a pas ailleurs ». Kerian Boukaala cite encore la densité des réseaux de transport – le tram, plusieurs lignes de bus –, la poste, un collège, un lycée, des commerces « où l’on peut se rendre à pied », l’université à dix minutes de bus… Et puis surtout, « c’est un quartier où on ne sait pas qui on va rencontrer, c’est très divers, j’adore ». Un quartier très vivant, aussi, avec une vingtaine d’associations.
Pas d’angélisme non plus. Ce serait difficile, ici, un lieu qui défraie trop souvent la chronique judiciaire. L’un des secteurs de l’agglo où des meurtres ont été commis. « Trop souvent, la police ne vient pas quand on l’appelle », constate Kerian. Le président du conseil citoyen a pourtant le sentiment que « les choses se redressent ». Le meurtre de Luc Pouvin, le 20 juin 2015, a sans doute marqué un tournant. Une association a été créée, One Luc. Elle agit contre la violence. La police a marqué des points contre le trafic. « Les associations réinvestissent l’espace public », estime Kerian Boukaala.
L’autre volet des difficultés du quartier est plus courant. « Ici, beaucoup de gens ont de la peine à joindre les deux bouts, des revenus très bas, des loyers trop chers, des appartements qui attendent une rénovation ». Côté réhabilitation, des programmes ont été conduits, à Chamberton, dans une partie de Renaudie ; d’autres sont en cours, une convention sera signée avec l’Agence nationale de rénovation urbaine début 2018. De quoi permettre de faire évoluer l’image du quartier, réinvestir les logements aujourd’hui vacants. Reste, ici comme ailleurs, la question d’un pouvoir d’achat qui permette de vivre.

Un projet avec Serge Renaudie, un autre avec l’école d’archi…

Mais tout n’est pas affaire de décisions institutionnelles. « Des associations comme One Luc, Baz’art ou Mozaïk jouent un rôle très important », témoigne Kerian Boukaala. Aux côtés des associations et du service municipal de la gestion urbaine et sociale de proximité, le conseil citoyen est l’une des passerelles entre les collectivités locales et les habitants. « Nous sommes en relation étroite avec la ville, souligne Kerian, nous rencontrons le maire trois ou quatre fois par an et nous avons déjà trouvé ensemble des solutions concrètes à des problèmes qui nous sont posés par des habitants, celui d’un relogement, par exemple ». C’est aussi le fonds de participation des habitants. Des crédits liés à la « politique de la ville », enveloppe en baisse compte tenu des choix de l’Etat en la matière, mais enveloppe qui permet au conseil citoyen de financer certains projets : celui d’un transport à la piscine municipale, l’été dernier.

Ce sont aussi des projets. On est à Renaudie, on parle d’architecture. « Nous souhaitons travailler avec Serge Renaudie (architecte, fils du concepteur de la cité, ndlr) pour étudier un projet sur la liaison entre le parc du Pré Ruffier et la cité ». Perspective également d’une collaboration entre l’école d’architecture de Grenoble et l’association Baz’art : vingt étudiants travailleront avec les habitants des projets urbains et architecturaux qui seront présentés aux journées du patrimoine 2018. Des initiatives qui viennent s’ajouter au travail de la municipalité, des associations : l’avenue du 8 mai 45 vient d’être embellie de mosaïques réalisées par les habitants.
Représenté au conseil local de prévention de la délinquance, le conseil citoyen est aussi amené à débattre de la mise en œuvre de la police de proximité avec le possible classement en zone prioritaire de sécurité. Kerian Boukaala est partagé. « C’est bien, mais il ne faut pas que ce soit stigmatisant », dit-il.
Débats, échanges. Une conviction, aussi. Quand on demande à Kerian où il habitera après ses études de droit s’il advenait qu’il devienne un conseiller juridique aisé, la réponse fuse : « si je trouve du travail à Grenoble, j’habiterai ici, on y est bien ! »

Rénovation, réhabilitation : agir par tous les bouts

Un quartier urbain, ce sont des immeubles. Mais aussi des écoles, des espaces extérieurs, de la voirie… et surtout des habitants.
A Saint-Martin-d’Hères, on prend les choses dans leur ensemble. Le quartier Renaudie/Chamberton/la Plaine a ainsi bénéficié de la rénovation de l’école Barbusse : investissement municipal de 6 millions d’euros. Rénovations cité Chamberton, gymnase Voltaire… programmes qui associent la ville avec tantôt la région, la métro, les organismes HLM, l’Etat…
Ces programmes n’auraient pas de sens sans les habitants. Là encore, les initiatives foisonnent, notamment sous l’égide du service municipal qu’est la gestion urbaine et sociale de proximité, qui travaille sur place. Séances de cinéma en plein air, opération « En bas de chez vous »… ce qui fait la vie au quotidien.
L’engagement de la ville, c’est aussi un contact régulier avec la police nationale pour une présence concertée et efficace contre les trafics. Là aussi, une partie d’un tout dont l’objectif est de préserver et de développer le bien vivre.

Renaudie : dans les copros, c’est parti

A Renaudie, la dernière opération de rénovation d’ envergure remonte aux années 2 000. Elle avait concerné le logement social. Aujourd’hui, les dix-huit copropriétés vont bénéficier d’un programme de 288 000 euros, financé par l’Agence nationale de l’habitat, la Caisse des dépôt et la métropole.
La convention ANRU devrait être signée début 2018 : elle se développera sur l’ensemble Renaudie/Chamberton/la Plaine (espaces extérieurs, logements…). Un dispositif qui s’ajoutera aux opérations déjà financées par la ville, la métropole ou les bailleurs sociaux.

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