L’austérité ne rend pas la santé
Par Luc Renaud
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Avoir les moyens de travailler correctement. C’est ce que demandent les personnels et les médecins de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. Une demande qui se heurte de plein fouet aux politiques austéritaires de suppressions de lits et fermetures de services. Grèves, manifestations… un printemps agité. Explications.
Une infirmière en pleurs, épuisée, dans les bras d’une collègue… L’image est devenue presque banale. Conditions de travail, stress… de quoi comprendre la mobilisation des hospitaliers. A l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève, la coupe est pleine. Assemblées générales, rassemblements et manifestations se succèdent ce printemps. Le coup de trop, c’est le projet de réorganisation annoncé par la direction, dénoncé par les syndicats hospitaliers comme par les médecins du Syndicat des psychiatres d’exercice public et de l’Union syndicale de la psychiatrie.
Ambulatoire. Dans tous les hôpitaux, c’est l’obsession. Soigner le malade chez lui. Le garder à l’hôpital le moins longtemps possible. L’hôpital n’est pas un hôtel. Et puis, quand on est à l’hosto, sa première envie n’est-elle pas d’en sortir ? « Bien sûr, note Michel Soulié, du syndicat CGT des hospitaliers, mais le patient souhaite d’abord être guéri, rentrer chez lui en bonne santé ». Ce qui pose déjà problème en médecine générale. En psychiatrie, la question prend une toute autre dimension. « La maladie mentale, ce n’est pas une jambe cassée, explique Michel Soulié, il faut réfléchir à ce qui sera adapté à chaque patient, il n’y a pas de schéma strictement applicable à l’identique ». La question de la guérison. Pour certaines pathologies, on n’emploie pas le mot. Le terme utilisé est celui de « stabilisation ». Suffisamment « stable » pour retrouver sa famille. Or c’est cette nécessaire réflexion que met en cause l’évolution de la psychiatrie, à Saint-Egrève comme ailleurs.
« Leur projet, c’est de supprimer 35 postes de travail à l’intérieur de l’établissement », indique Catherine Orjollet, du bureau du syndicat – dans le même temps que des lits sont ouverts dans le privé, à Claix. Pour y parvenir, la réorganisation joue sur les RTT – certains personnels soignants perdraient treize jours de congés par an –, modifie l’organisation du travail, ferme des lits d’hospitalisation – une centaine depuis trois ans, de 350 à 250. Le résultat, outre l’impact sur les personnels, c’est une difficulté accrue à pouvoir échanger. « Pour que les équipes puissent élaborer des protocoles de soin au plus près des besoins de chaque patient, il faut pouvoir se retrouver ensemble pour en discuter, souligne Isabelle Guiga, secrétaire du syndicat, la suppression de postes par la réorganisation du temps de travail réduit ces temps collectifs, ces moments où les équipes postées se transmettent les informations, débattent de l’évolution de chaque patient ». Conséquence, les personnels prennent sur leur énergie, sur leur temps pour faire leur travail correctement : il s’agit de la souffrance des patients. Ce qui n’empêche pas les conséquences de la diminution du nombre de lits quand il faut « faire de la place » pour hospitaliser quelqu’un qui en a immédiatement besoin.
Les centres médicaux psychologiques dans la ligne de mire
Ambulatoire. L’hôpital intra muros n’est pourtant pas seul touché. Un tiers de son activité se déroule hors les murs, dans les centres médicaux psychologiques, par exemple. Là où on est plus proche, où l’on peut prévenir la souffrance psychique. Le CMP de Domène fermé depuis le 1er juin, ses patients sont affectés à Pontcharra et Saint-Martin-d’Hères. Le maire de Crolles s’inquiète pour le devenir de celui de sa commune, désormais dépourvu de psychiatre : « je suis persuadé que l’éloignement géographique des patients n’est en rien une bonne solution à la prise en charge pertinente des soins psychiatriques », écrit Philippe Lorimier.
Mais revenons dans l’enceinte de l’hôpital. Réduire le nombre de lits, le nombre de postes, fermer des services comme l’unité Troubles du spectre autistique récemment, c’est aussi réduire… les financements. Car ils sont liés à l’activité : l’hôpital répond à des appels d’offres, pour aller chercher de la subvention. Un peu comme on fonctionne dans la recherche universitaire. Ce qui implique la mobilisation des équipes pour faire de la prise en charge à l’extérieur de toxicomanes, de populations ciblées… bref, missions supplémentaires à effectifs en baisse.
Reste l’essentiel, le patient. « La contraction des moyens, ça veut dire aussi l’impossibilité d’hospitaliser en urgence si ce n’est dans des conditions indignes, rappelle Michel Soulié, les patients en souffrent bien sûr, mais c’est aussi très difficile pour les personnels ». Le choix entre ce type de solution « d’urgence » ou celui de laisser les familles face à une situation qui peut être extrême. Moderne, vraiment ?
Luc Renaud
1700
personnes travaillent à l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. Le tiers d’entre elles travaillent à l’extérieur de l’hôpital. Chaque année, 20 000 personnes sont suivies par les personnels de l’établissement.
300
hospitaliers mobilisés le 23 mars ont accueillis les trois sénateurs communistes qui venaient entendre leurs aspirations dans le cadre du tour de France de la santé qu’ils ont organisé de mars à mai.
La CGT au tribunal
Le syndicat comptable et responsable des actes individuels d’agents hospitaliers, c’est l’objet juridique non identifié que la direction de l’hôpital de Saint-Egrève veut présenter devant les juges grenoblois. Le week-end des 10 et 11 mars, des draps ont été utilisés pour servir de calicots accrochés aux fenêtres des bâtiments, des graffitis ont fleuri sur les murs. La direction a reniflé un filon potentiel de 15 000 euros qu’elle demande à la CGT (et à elle seule) de lui verser. Au cas où le syndicat ne serait pas assez riche – bien vu –, elle assigne également l’union départementale. L’audience aura lieu le 28 juin.
40%
des médecins psychiatres de l’hôpital de Saint-Egrève n’ont pas fait leurs études en France. Pour beaucoup, ils viennent de l’Europe de l’Est. Indispensables à la vie de l’hôpital, ils exercent dans les conditions difficiles du décalage culturel, s’agissant d’une spécialité médicale où la parole est essentielle. La pénurie de médecins hospitaliers ne frappe pas que la psychiatrie. Elle est la conséquence du numerus clausus instauré dès la fin des années 70 et dénoncée alors par l’Union des étudiants communistes pour les conséquences qui allaient être les siennes.