L’austérité ne rend pas la santé

Par Luc Renaud

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Avoir les moyens de travailler correctement. C’est ce que demandent les personnels et les médecins de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève. Une demande qui se heurte de plein fouet aux politiques austéritaires de suppressions de lits et fermetures de services. Grèves, manifestations... un printemps agité. Explications.

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Une assemblée générale, réunie dans le bâtiment administratif de l'hôpital de Saint-Egrève, le 13 mars dernier.

Une infir­mière en pleurs, épui­sée, dans les bras d’une col­lègue… L’image est deve­nue presque banale. Condi­tions de tra­vail, stress… de quoi com­prendre la mobi­li­sa­tion des hos­pi­ta­liers. A l’hôpital psy­chia­trique de Saint-Egrève, la coupe est pleine. Assem­blées géné­rales, ras­sem­ble­ments et mani­fes­ta­tions se suc­cèdent ce prin­temps. Le coup de trop, c’est le pro­jet de réor­ga­ni­sa­tion annon­cé par la direc­tion, dénon­cé par les syn­di­cats hos­pi­ta­liers comme par les méde­cins du Syn­di­cat des psy­chiatres d’exercice public et de l’Union syn­di­cale de la psy­chia­trie.

Ambu­la­toire. Dans tous les hôpi­taux, c’est l’obsession. Soi­gner le malade chez lui. Le gar­der à l’hôpital le moins long­temps pos­sible. L’hôpital n’est pas un hôtel. Et puis, quand on est à l’hosto, sa pre­mière envie n’est-elle pas d’en sor­tir ? « Bien sûr, note Michel Sou­lié, du syn­di­cat CGT des hos­pi­ta­liers, mais le patient sou­haite d’abord être gué­ri, ren­trer chez lui en bonne san­té ». Ce qui pose déjà pro­blème en méde­cine géné­rale. En psy­chia­trie, la ques­tion prend une toute autre dimen­sion. « La mala­die men­tale, ce n’est pas une jambe cas­sée, explique Michel Sou­lié, il faut réflé­chir à ce qui sera adap­té à chaque patient, il n’y a pas de sché­ma stric­te­ment appli­cable à l’identique ». La ques­tion de la gué­ri­son. Pour cer­taines patho­lo­gies, on n’emploie pas le mot. Le terme uti­li­sé est celui de « sta­bi­li­sa­tion ». Suf­fi­sam­ment « stable » pour retrou­ver sa famille. Or c’est cette néces­saire réflexion que met en cause l’évolution de la psy­chia­trie, à Saint-Egrève comme ailleurs.

Le 13 mars 2017, ras­sem­ble­ment devant les locaux de la direc­tion, lors d’une des jour­nées de grève obser­vées ce prin­temps à l’hô­pi­tal de Saint-Egrève.


« Leur pro­jet, c’est de sup­pri­mer 35 postes de tra­vail à l’intérieur de l’établissement », indique Cathe­rine Orjol­let, du bureau du syn­di­cat – dans le même temps que des lits sont ouverts dans le pri­vé, à Claix. Pour y par­ve­nir, la réor­ga­ni­sa­tion joue sur les RTT – cer­tains per­son­nels soi­gnants per­draient treize jours de congés par an –, modi­fie l’organisation du tra­vail, ferme des lits d’hospitalisation – une cen­taine depuis trois ans, de 350 à 250. Le résul­tat, outre l’impact sur les per­son­nels, c’est une dif­fi­cul­té accrue à pou­voir échan­ger. « Pour que les équipes puissent éla­bo­rer des pro­to­coles de soin au plus près des besoins de chaque patient, il faut pou­voir se retrou­ver ensemble pour en dis­cu­ter, sou­ligne Isa­belle Gui­ga, secré­taire du syn­di­cat, la sup­pres­sion de postes par la réor­ga­ni­sa­tion du temps de tra­vail réduit ces temps col­lec­tifs, ces moments où les équipes pos­tées se trans­mettent les infor­ma­tions, débattent de l’évolution de chaque patient ». Consé­quence, les per­son­nels prennent sur leur éner­gie, sur leur temps pour faire leur tra­vail cor­rec­te­ment : il s’agit de la souf­france des patients. Ce qui n’empêche pas les consé­quences de la dimi­nu­tion du nombre de lits quand il faut « faire de la place » pour hos­pi­ta­li­ser quelqu’un qui en a immé­dia­te­ment besoin.

Les centres médicaux psychologiques dans la ligne de mire

Ambu­la­toire. L’hôpital intra muros n’est pour­tant pas seul tou­ché. Un tiers de son acti­vi­té se déroule hors les murs, dans les centres médi­caux psy­cho­lo­giques, par exemple. Là où on est plus proche, où l’on peut pré­ve­nir la souf­france psy­chique. Le CMP de Domène fer­mé depuis le 1er juin, ses patients sont affec­tés à Pont­char­ra et Saint-Martin‑d’Hères. Le maire de Crolles s’inquiète pour le deve­nir de celui de sa com­mune, désor­mais dépour­vu de psy­chiatre : « je suis per­sua­dé que l’éloignement géo­gra­phique des patients n’est en rien une bonne solu­tion à la prise en charge per­ti­nente des soins psy­chia­triques », écrit Phi­lippe Lori­mier.

Mais reve­nons dans l’enceinte de l’hôpital. Réduire  le nombre de lits, le nombre de postes, fer­mer des ser­vices comme l’unité Troubles du spectre autis­tique récem­ment, c’est aus­si réduire… les finan­ce­ments. Car ils sont liés à l’activité : l’hôpital répond à des appels d’offres, pour aller cher­cher de la sub­ven­tion. Un peu comme on fonc­tionne dans la recherche uni­ver­si­taire. Ce qui implique la mobi­li­sa­tion des équipes pour faire de la prise en charge à l’extérieur de toxi­co­manes, de popu­la­tions ciblées… bref, mis­sions sup­plé­men­taires à effec­tifs en baisse.

Reste l’essentiel, le patient. « La contrac­tion des moyens, ça veut dire aus­si l’impossibilité d’hospitaliser en urgence si ce n’est dans des condi­tions indignes, rap­pelle Michel Sou­lié, les patients en souffrent bien sûr, mais c’est aus­si très dif­fi­cile pour les per­son­nels ». Le choix entre ce type de solu­tion « d’urgence » ou celui de lais­ser les familles face à une situa­tion qui peut être extrême. Moderne, vrai­ment ?

A Vienne, les séna­teurs ont débat­tu avec les sala­riés d’un sec­teur psy­chia­trique désor­mais diri­gé par le pri­vé.

La psychiatrie s’éloigne de ceux qui souffrent

Concentrer l’offre de soins, affaiblir les structures de proximité… c’était la volonté des lois Bachelot et Touraine. Une délégation de sénateurs a pu en mesurer les effets sur le terrain.

Un mou­ve­ment de grève pour pou­voir dis­cu­ter avec des séna­teurs. Peu banal. C’est ce qui s’est pas­sé le 23 mars der­nier à l’hôpital de Saint-Egrève.n300 hos­pi­ta­liers se sont ras­sem­blés pour accueillir Annie David, Lau­rence Cohen et Domi­nique Watrin, séna­teurs com­mu­nistes res­pec­ti­ve­ment de l’Isère, du Val-de-Marne et du Nord.

L’objet de la ren­contre, c’était la situa­tion de la psy­chia­trie. Tout comme à l’hôpital de Vienne, où les par­le­men­taires ont ren­con­tré les per­son­nels et la direc­tion de l’établissement. Le constat, c’est celui d’une dégra­da­tion consé­cu­tive aux lois Bache­lot de 2009 et Tou­raine de 2016 : le prin­cipe est de réduire l’offre de soins de proxi­mi­té en cen­tra­li­sant pla­teaux tech­niques et struc­tures de direc­tion. Le sec­teur psy­chia­trique de l’hôpital de Ville est ain­si désor­mais diri­gé par… la cli­nique psy­chia­trique pri­vée Georges Bois­sel de Bour­goin.

Des rencontres qui débouchent sur une proposition de loi

Dans la même logique, les sec­teurs psy­chia­triques sont regrou­pés – le Gré­si­vau­dan est rat­ta­ché à Saint-Egrève et non plus à Micha­lon, les sec­teurs couvrent plu­sieurs cen­taines de mil­liers d’habitants contre 70 000 aupa­ra­vant – et l’activité des centres médi­co-psy­cho­lo­giques et des ins­ti­tuts médi­co- édu­ca­tifs remise en cause : le nombre de ces struc­tures de proxi­mi­té doit être divi­sé par deux.

Des ren­contres qui vont débou­cher sur une pro­po­si­tion légis­la­tive visant à ôter la pos­si­bi­li­té aux direc­teurs d’établissement de mettre des bâtons dans les roues des comi­tés d’hygiène et sécu­ri­té. Per­mettre aux sala­riés de s’exprimer pour le bien de la san­té publique, en somme.

Cathe­rine Orjol­let, Michel Sou­lié et Isa­belle Gui­ga, res­pon­sables du syn­di­cat CGT de l’hô­pi­tal de Saint-Egrève.

1700

per­sonnes

tra­vaillent à l’hôpital psy­chia­trique de Saint-Egrève. Le tiers d’entre elles tra­vaillent à l’extérieur de l’hôpital. Chaque année, 20 000 per­sonnes sont sui­vies par les per­son­nels de l’établissement.

40%

des méde­cins psy­chiatres de l’hôpital de Saint-Egrève

n’ont pas fait leurs études en France. Pour beau­coup, ils viennent de l’Europe de l’Est. Indis­pen­sables à la vie de l’hôpital, ils exercent dans les condi­tions dif­fi­ciles du déca­lage cultu­rel, s’agissant d’une spé­cia­li­té médi­cale où la parole est essen­tielle. La pénu­rie de méde­cins hos­pi­ta­liers ne frappe pas que la psy­chia­trie. Elle est la consé­quence du nume­rus clau­sus ins­tau­ré dès la fin des années 70 et dénon­cée alors par l’Union des étu­diants com­mu­nistes pour les consé­quences qui allaient être les siennes.

La CGT au tribunal

Le syn­di­cat comp­table et res­pon­sable des actes indi­vi­duels d’agents hos­pi­ta­liers, c’est l’objet juri­dique non iden­ti­fié que la direc­tion de l’hôpital de Saint-Egrève veut pré­sen­ter devant les juges gre­no­blois. Le week-end des 10 et 11 mars, des draps ont été uti­li­sés pour ser­vir de cali­cots accro­chés aux fenêtres des bâti­ments, des graf­fi­tis ont fleu­ri sur les murs. La direc­tion a reni­flé un filon poten­tiel de 15 000 euros qu’elle demande à la CGT (et à elle seule) de lui ver­ser. Au cas où le syn­di­cat ne serait pas assez riche – bien vu –, elle assigne éga­le­ment l’union dépar­te­men­tale. L’audience aura lieu le 28 juin.

300

hos­pi­ta­liers

hos­pi­ta­liers mobi­li­sés le 23 mars ont accueillis les trois séna­teurs com­mu­nistes qui venaient entendre leurs aspi­ra­tions dans le cadre du tour de France de la san­té qu’ils ont orga­ni­sé de mars à mai.

Antoi­nette Tran­chi­da, infir­mière libé­rale.

Vouloir bien travailler et ne pas pouvoir

Infirmière libérale, c’est un métier de l’humain. Que l’assurance maladie veut enfermer dans un chronomètre et sous-traiter aux auxiliaires de vie. Témoignage.

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