Comité sénatorial. La ligne Lyon-Turin en débat

Par Luc Renaud

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Lyon Turin, la traversée ferroviaire des Alpes à grande vitesse, nécessité ou dépense inutile ? C’était le thème de la réunion du comité sénatorial organisée par Guillaume Gontard, sénateur de l’Isère, le 4 juin dernier.

L’investissement est de ceux qui impres­sionnent. Près de 20 mil­liards d’eu­ros (*). Tout comme est majeur l’en­jeu de cet axe fer­ro­viaire : l’in­ter­con­nexion fer­ro­viaire de l’es­sen­tiel des grands axes euro­péens des trans­ports de mar­chan­dises. Ce ne sont pas moins de 40 mil­lions de tonnes de mar­chan­dises qui, chaque année, fran­chissent la fron­tière entre la France et l’I­ta­lie.

Daniel Iba­nez, oppo­sant au pro­jet de créa­tion d’une ligne nou­velle.

A par­tir de ce constat, les opi­nions divergent. Elles se sont expri­mées lors de ce comi­té séna­to­rial. Pour Daniel Iba­nez, des Amis de la terre, l’in­ves­tis­se­ment est inutile : la voie fer­rée exis­tante est sous uti­li­sée. Ce que ne contestent pas Alain Ruiz et Antoine Fati­ga, repré­sen­tants la CGT trans­ports. Le trans­port des mar­chan­dises sur cet axe par voie fer­rée s’est effon­dré depuis les années 2000, de 10 mil­lions à 3,5 mil­lions de tonnes aujourd’­hui. 3,5 mil­lions sur un total de 40 mil­lions de tonnes qui passent la fron­tière.

Des chiffres qui disent l’ur­gence du report modal de la route sur le fer. Les val­lées alpines étouffent, c’est aujourd’­hui un pro­blème de san­té publique recon­nu. Et l’ac­cord est sur ce point una­nime, ça ne peut plus durer. Le tun­nel Saint-Jean-de-Mau­rienne Val de Suze ne sera pas mis en ser­vice avant des années. Tout comme les voies d’ac­cès à ce tun­nel et prin­ci­pa­le­ment la ligne Lyon Saint-Jean-de-Mau­rienne, par des tun­nels sous la Char­treuse, Bel­le­donne et le Glan­don.

80% des camions contrôlés étaient en infraction

Pour la CGT comme pour les oppo­sants à la créa­tion de la ligne nou­velle, il importe donc de prendre des mesures immé­diates. Antoine Fati­ga en pro­pose une, à moindre coût : les contrôles rou­tiers. « Lorsque la pré­fec­ture de Savoie finit par répondre à nos demandes d’or­ga­ni­sa­tion de contrôle au péage de Saint-Michel-de-Mau­rienne, le taux d’in­frac­tion est de 80%. »  Non res­pect des temps de repos, état défec­tueux des véhi­cules, sur­charges à l’es­sieu… Si le trans­port rou­tier est aujourd’­hui avan­ta­geux pour les char­geurs, c’est aus­si parce qu’il ne res­pecte pas la légis­la­tion en vigueur. Ce qui n’est évi­dem­ment pas le cas du train. Autre pro­po­si­tion, avan­cée par Daniel Iba­nez : l’u­ti­li­sa­tion au béné­fice des équi­pe­ments fer­ro­viaires des cré­dits du Fonds pour le déve­lop­pe­ment d’une poli­tique inter­mo­dale des trans­ports dans le mas­sif alpin (FDPTITMA). Cette struc­ture a été créée jus­te­ment pour favo­ri­ser le report modal. Aujourd’­hui, les cré­dits déga­gés par les excé­dents d’ex­ploi­ta­tion du tun­nel du mont Blanc sont uti­li­sés pour ren­flouer la tré­so­re­rie de celui du Fré­jus. Détour­ne­ment de fonds, en somme.

Alain Ruiz et Antoine Fati­ga, syn­di­ca­listes CGT.

Agir tout de suite, réflé­chir à plus long terme, éga­le­ment. Pour Daniel Iba­nez ou Pierre Mériaux, conseiller muni­ci­pal de la ville de Gre­noble en charge de ce dos­sier, à chaque jour suf­fit sa peine : en ces temps de disette bud­gé­taire, uti­li­sons la voie fer­rée his­to­rique à sa pleine capa­ci­té et il sera temps ensuite d’en­vi­sa­ger une voie nou­velle. Point de vue que ne par­tagent pas les che­mi­nots CGT.

La satu­ra­tion de la ligne se situe (les experts en débattent) autour de dix mil­lions de tonnes de mar­chan­dises. Notam­ment parce que les quelques kilo­mètres de voies fer­rées entre Cham­bé­ry et Mont­mé­lian doivent absor­ber tout à la fois le tra­fic entre la France et l’I­ta­lie, celui de l’axe Per­pi­gnan Genève et la des­serte de la Taren­taise. Daniel Iba­nez, à par­tir de l’exa­men des fiches horaires des trains voya­geurs qui uti­lisent cette por­tion de voie, montre qu’une cen­taine de cré­neaux demeurent dis­po­nibles pour faire pas­ser des trains de mar­chan­dises en direc­tion de l’I­ta­lie. Alain Ruiz était jus­qu’à ces der­nières années méca­no sur les trains mar­chan­dises qui partent du triage de Dijon Per­ri­gny pour ral­lier Modane et l’I­ta­lie. « Il y a la pla­ni­fi­ca­tion des trains et puis la réa­li­té des cir­cu­la­tions, avec ses aléas. La régu­la­tion s’exerce en ralen­tis­sant, en garant, voire en sup­pri­mant les trains de mar­chan­dises pour assu­rer le pas­sage des voya­geurs », explique-t-il.

L’ex­pé­rience des quatre années de fer­me­ture du tun­nel rou­tier du mont Blanc témoigne de ces dif­fi­cul­tés. Le ton­nage trans­por­té par fer est alors mon­té à dix mil­lions de tonnes. La voie était satu­rée : au cours de l’an­née 2000, 20 266 trains de toute nature ont été sup­pri­més sur cet axe, chiffre rame­né à 7 853 en 2003 avec la ré-ouver­ture du tun­nel. « A plus de dix mil­lions de tonnes, ça ne passe pas », constate le conduc­teur de trains.

La possibilité de 25 ou  de 100% de report de la route sur le fer

Ce qu’An­toine Fati­ga reprend à sa manière. « S’en tenir à une meilleure uti­li­sa­tion de la ligne his­to­rique — il la faut, elle est néces­saire et indis­pen­sable — , mais se limi­ter à cela, c’est se condam­ner à une ambi­tion réduite à un quart du volume trans­por­té et c’est pour que les mar­chan­dises, toutes les mar­chan­dises, aient la pos­si­bi­li­té de prendre le train que nous sommes favo­rables au Lyon Turin ; c’est une ques­tion d’am­bi­tion pour l’a­ve­nir et les géné­ra­tions futures. »

Ce qui n’en­lève d’ailleurs rien à l’in­té­rêt du débat sur la relo­ca­li­sa­tion des pro­duc­tions et ce monde insen­sé où les besoins de trans­ports croissent de façon expo­nen­tielle au prix du réchauf­fe­ment cli­ma­tique et d’un gas­pillage géné­ra­li­sé. Limi­ter le trans­port à ce qui est socia­le­ment jus­ti­fié est un objec­tif que font leur les syn­di­ca­listes de la CGT.

La réunion du comi­té séna­to­rial de ce 4 juin s’est conclue par un enga­ge­ment du séna­teur, celui de l’exa­men de la pos­si­bi­li­té de dili­gen­ter une étude qui per­met­trait d’ap­pré­cier la réa­li­té actuelle de la capa­ci­té en pas­sage de trains et ton­nage de mar­chan­dises trans­por­tées de la voie fer­rée his­to­rique.

Mais lais­sons le mot de la fin à l’un des par­ti­ci­pants à cette réunion. « Dans un monde idéal, la CGT aurait rai­son », disait-il en apar­té. Cin­quante ans après Mai 68, plus encore que le rêve, le simple énon­cé de ce qui serait utile pour la pla­nète et les hommes serait-il à relé­guer au rang des uto­pies for­closes ?

 

 

 

(*)
Coût de la Transalpine Lyon-Turin
GLOBAL
Participation France
Tunnel de base + partie internationale
8,6 Md€
25 %
2,15 Md€
Corridor fret nord Chartreuse — Maurienne + LGV Est lyonnais Chambéry
7,7 Md€
70 %
5,39 Md€
Part connexion corridor fret Ambérieu contournement ferroviaire de l’agglomération lyonnaise
  1,5 Md€
70 %
1,05 Md€
Voies d’accès côté italien
2,0 Md€
0 %
0,00 Md€
TOTAL
19,8 Md€
8,59 Md€

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