Temps de l’enfant et rythmes scolaires : et si la question était mal posée ?

Par Laurent Jadeau

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Le chercheur et universitaire Stéphane Bonnery (à droite, aux côtés du militant PCF Serge Benito), spécialiste des questions d’inégalités scolaires, de politiques éducatives, des contenus et des méthodes d’enseignement, était invité pour mener le débat.
Stéphane Bonnery, chercheur en sciences de l’éducation et directeur de la revue "La Pensée", animait, vendredi 21 novembre au soir, un débat public à Grenoble, à la veille de la remise du rapport de la convention citoyenne sur les "temps de l’enfant". Dans une perspective historique, il a débusqué dans son dernier livre les enjeux politiques et la vision de l’école publique qui, selon lui, se cachent derrière ces questions.

Devant une assem­blée de mili­tants, de pro­fes­sion­nels de l’Éducation natio­nale et des col­lec­ti­vi­tés locales, Sté­phane Bon­ne­ry, invi­té à Gre­noble par la fédé­ra­tion de l’I­sère du PCF, a décryp­té les enjeux qui se cachent der­rière ce ser­pent de mer des « rythmes sco­laires » qui agite régu­liè­re­ment la socié­té depuis des décen­nies. Il en a fait un livre, Temps de l’enfant, rythmes sco­laires : vraies ques­tions et faux débats (Édi­tions de la fon­da­tion Gabriel Péri, 2025, 246 pages), qui a le mérite de secouer un peu le sujet.

De fait, l’histoire même de ce livre consti­tue un recen­trage du débat. En effet, Sté­phane Bon­ne­ry tra­vaillait sur un ouvrage consa­cré aux inéga­li­tés sco­laires et aux dégâts des renon­ce­ments poli­tiques suc­ces­sifs qui ont fini par faire accep­ter la notion « d’enfants inen­sei­gnables ».

Quand il a enten­du le pré­sident Macron lan­cer sa conven­tion citoyenne, il a immé­dia­te­ment com­pris que cette ques­tion de l’école de la réus­site pour tous allait encore être l’oubliée des tra­vaux. Si cette conven­tion citoyenne est, selon lui, plu­tôt bien faite et avec une métho­do­lo­gie incon­tes­table, les pro­blèmes posés sont justes, mais pris à l’envers.

Une année scolaire entière « volée » aux élèves

Sté­phane Bon­ne­ry a donc fait un rapide tour d’horizon des évo­lu­tions de l’organisation de l’école depuis plus de cin­quante ans et de leurs consé­quences. Il note que tous les chan­ge­ments, en dehors des débats sur l’organisation de la jour­née, la semaine ou l’année, n’ont eu de cesse de dimi­nuer glo­ba­le­ment le temps que l’école consacre à chaque enfant, pour les confier aux mai­ries, au pri­vé, aux familles qui le peuvent ou à la rue et aux écrans.

Sté­phane Bon­ne­ry a échan­gé avec des mili­tants et des pro­fes­sion­nels de l’é­du­ca­tion.

Ain­si, pour ne par­ler que du pre­mier degré, avant 1969, les élèves avaient 30 heures d’école par semaine. On est ensuite pas­sé à 27 heures (à l’époque avec le same­di matin), puis la réforme Jos­pin, en 1989, a réduit ce temps à 26 heures avant que l’instauration de la semaine de quatre jours ne porte le total heb­do­ma­daire à 24 heures. C’est l’équivalent, en heures, d’une année sco­laire entière qui a été « volée » aux élèves. Et dans le même temps, on a vu les écarts de « per­for­mances sco­laires » explo­ser entre les élèves des caté­go­ries sociales les plus éle­vées et ceux des plus défa­vo­ri­sées. C’est tout sauf une coïn­ci­dence.

Et tous les dis­cours qui affirment qu’il faut allé­ger les attentes et les pro­grammes pour des enfants qui ne seraient « pas faits pour l’école » et fati­gables ne sont que la défense de l’idéologie des dons. Par­ler des rythmes propres de l’enfant à res­pec­ter par­ti­cipe éga­le­ment de cette vision fata­liste dont tout pro­gres­siste ne peut se satis­faire.

Pour­quoi les enfants des classes favo­ri­sées ne sont pas « fati­gables », eux ? En effet, bien sou­vent, en plus de leur jour­née d’école, il ont de nom­breuses acti­vi­tés spor­tives, cultu­relles, musi­cales. Et sur­tout, ils béné­fi­cient d’un envi­ron­ne­ment qui intègre les codes cultu­rels de l’école, de sa façon d’interroger et appré­hen­der le monde.

« Plus de maîtres que de classes »

Pour Sté­phane Bon­ne­ry, la recon­quête de ces heures per­dues doit être la pre­mière ques­tion à trai­ter. On le doit aux enfants qui n’ont que l’école pour acqué­rir cette « culture savante ». Nous avons une oppor­tu­ni­té impor­tante avec la chute de la démo­gra­phie sco­laire. Plu­tôt que d’y voir une fois de plus l’occasion de réduire le nombre d’enseignants, on pour­rait en pro­fi­ter pour remettre au goût du jour une vielle reven­di­ca­tion du corps ensei­gnant : décon­nec­ter le temps de tra­vail des ensei­gnants du temps d’école des élèves. Le fameux « plus de maîtres que de classes ».

Sté­phane Bon­ne­ry alerte aus­si sur le dan­ger, sous cou­vert de rythmes et de temps « allé­gés » l’après-midi, de voir une nou­velle ten­ta­tive d’éjecter de l’école publique des ensei­gne­ments tels que l’éducation phy­sique et spor­tive, les arts, voire les sciences et l’histoire-géographie !

Dans son livre par­se­mé de textes emblé­ma­tiques de cher­cheurs, édu­ca­teurs, phi­lo­sophes, de 1969 à nos jours, on voit se des­si­ner une réflexion glo­bale autour d’une concep­tion de l’éducation qui va à l’encontre des dis­cours et des réformes libé­rales de ces soixante der­nières années. Les­quelles portent toutes ce qu’il faut bien appe­ler une vision de classe de l’éducation.

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