Crolles. Laurence et François Ruffin à Teisseire : « Quand l’État veut, il peut »

Par Manuel Pavard

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François et Laurence Ruffin entourés des salariés de Teisseire et des représentants de l'UL CGT, jeudi 20 novembre, sur le piquet de grève, devant l'usine de Crolles.
Le député de la Somme François Ruffin et sa sœur Laurence, candidate de la liste d'union de la gauche et des écologistes à Grenoble, se sont rendus ce jeudi 20 novembre, à Crolles, sur le piquet de grève des salariés de Teisseire, mobilisés depuis la mi-octobre contre la fermeture de leur usine au printemps 2026. Une visite programmée dans le cadre d'un rassemblement organisé par la CGT contre la désindustrialisation, les restructurations et les suppressions d'emplois.

Salah Man­sou­ri, coor­di­na­teur logis­tique à Teis­seire depuis 2009, résume un sen­ti­ment lar­ge­ment par­ta­gé par ses cama­rades : « Au niveau local, on a réus­si à se faire entendre mais au niveau natio­nal, TF1 a fait un repor­tage en disant que l’aug­men­ta­tion du sucre nous avait mis dans la m… (sic), etc, alors que c’é­tait l’in­verse. On veut donc réta­blir la véri­té : notre site est tota­le­ment viable et si on ramène la sous-trai­tance, on peut très bien redé­mar­rer la pro­duc­tion en étant béné­fi­ciaire. » Pour cela, tous misent beau­coup sur la venue à Crolles de Fran­çois Ruf­fin, espé­rant que celle-ci appor­te­ra un « éclai­rage natio­nal » à leur lutte.

Fran­çois Ruf­fin s’a­dres­sant aux sala­riés de Teis­seire, ras­sem­blés sur le piquet de grève.

De fait, en six semaines de grève contre la fer­me­ture de l’u­sine, pré­vue en avril 2026 (avec 205 emplois sup­pri­més à la clé), les sala­riés de Teis­seire ont vu défi­ler sur le piquet de grève plu­sieurs élus et poli­tiques isé­rois ain­si que la plu­part des médias locaux. Mais le dépu­té de la Somme — ex-LFI sié­geant désor­mais dans le groupe éco­lo­giste — est la pre­mière per­son­na­li­té média­tique de dimen­sion réel­le­ment hexa­go­nale à se rendre sur place. Il est venu sou­te­nir les gré­vistes, ce jeu­di 20 novembre, au côté de sa sœur Lau­rence Ruf­fin, tête de liste de l’u­nion de la gauche éco­lo­giste et citoyenne pour les muni­ci­pales à Gre­noble, à l’in­vi­ta­tion de la CGT.

« Mille emplois en train de disparaître dans la vallée »

L’UL CGT du Gré­si­vau­dan et l’UD CGT Isère orga­ni­saient en effet un grand ras­sem­ble­ment devant l’u­sine de Crolles, avec les syn­di­cats CGT de Teis­seire mais éga­le­ment des voi­sines STMi­croe­lec­tro­nics et Soi­tec. Des entre­prises toutes concer­nées par la dés­in­dus­tria­li­sa­tion pro­gres­sive, les sup­pres­sions d’emplois et les « réor­ga­ni­sa­tions qui brisent des vies », comme le rap­pellent les élus syn­di­caux se suc­cé­dant au micro. « Chez Soi­tec, on entre en chô­mage par­tiel », confie ain­si Hela Sah­li, délé­guée syn­di­cale CGT de la socié­té basée à Ber­nin, qui fait du com­bat des Teis­seire celui de tous les autres sala­riés.

Hela Sah­li, délé­guée syn­di­cale CGT à Soi­tec.

« On paye les déci­sions de nos diri­geants », déplore-t-elle, insis­tant sur le rôle cru­cial des sala­riés : « Quand on nous demande de tra­vailler, on est là ; quand on nous demande de faire des heures sup­plé­men­taires, on est là… Et du jour au len­de­main, ils nous demandent de ne plus être là. Ça, c’est inac­cep­table ! » Son homo­logue chez STMi­cro, Alice Pel­le­tier, est tout aus­si remon­tée : « Si on met bout à bout ST, Soi­tec, Teis­seire, Atral­tec à Crolles, Stry­ker à Mont­bon­not, en réa­li­té ce sont près de mille emplois qui sont en train de dis­pa­raître dans la val­lée. Et mille emplois, ça va se voir, dans les familles, ça va être ter­rible ! »

Alice Pel­le­tier, délé­guée syn­di­cale CGT à STMi­croe­lec­tro­nics.

La syn­di­ca­liste fus­tige en outre les pro­messes faites en grande pompe par Emma­nuel Macron en 2022 et ces 2,9 mil­liards d’eu­ros accor­dés à STMi­croe­lec­tro­nics « sans aucune contre­par­tie. Ils avaient dit qu’ils crée­raient peut-être mille emplois et en fait que font-ils ? À ST, ils en sup­priment mille en France. Cet argent, c’est le nôtre mais il va direc­te­ment dans la poche des patrons et des action­naires », s’in­digne Alice Pel­le­tier.

« Les fauves, ce sont les pilleurs en costume »

Un véri­table « pillage » que subit éga­le­ment Teis­seire, indique Fran­çois Ruf­fin aux sala­riés, ciblant Carls­berg, qui a rache­té le fabri­cant de sirops en 2024. Un groupe qui a détrous­sé inté­gra­le­ment sa vic­time et tout vidé, tout pillé : « les savoir-faire », « les volumes pour les envoyer ailleurs » et même « la tré­so­re­rie », pas­sée de « 120 mil­lions d’eu­ros l’an­née der­nière à moins 24 mil­lions d’eu­ros aujourd’­hui ». Le dépu­té de la Somme com­pare le géant danois de la bras­se­rie à « des fauves ». Mais « les fauves, il faut les mettre dans des cages, s’in­surge-t-il. Les fauves, ce sont les pilleurs en cos­tume. »

Fran­çois Ruf­fin s’en est pris vive­ment aux « pilleurs » Carls­berg ain­si qu’à l’É­tat et à Emma­nuel Macron, ciblés pour leur inac­tion.

Mal­heu­reu­se­ment, mal­gré ce bra­quage orga­ni­sé, on — sous-enten­du l’É­tat — « se laisse faire », accuse le fon­da­teur de Fakir. « Main­te­nant, on demande un État qui pro­tège et un pré­sident qui pro­tège l’in­dus­trie, qui pro­tège l’é­co­no­mie, ajoute-t-il. Pour la pre­mière fois dans notre his­toire, la part de l’industrie dans notre PIB vient de pas­ser sous la barre des 10 %. Du jamais vu ! Pour­quoi ? Parce que l’É­tat fait le choix de ne pas pro­té­ger. »

Fathi Ghi­lou­fi, délé­gué syn­di­cal CGT à Teis­seire, aux côtés de son cama­rade Florent Duc.

Pour Fran­çois Ruf­fin, cette inac­tion est tota­le­ment déli­bé­rée. « Quand l’É­tat veut, il peut », affirme-t-il, rap­pe­lant que le motif éco­no­mique est inexis­tant. Et donc que les ser­vices de l’É­tat, que ce soit la pré­fec­ture, le minis­tère du Tra­vail ou la DDETS, ont des cartes en main pour « s’in­ter­po­ser » au pro­fit des sala­riés. Ces cartes, c’est notam­ment « la pos­si­bi­li­té de non-homo­lo­guer un plan social », expli­quer le par­le­men­taire.

« Il faut se battre pour maintenir notre savoir-faire »

Ce n’est pas sa sœur qui le contre­di­ra sur ce point. Appe­lant à « se battre pour main­te­nir notre savoir-faire » et « pour cette entre­prise qui allait bien avant le rachat », Lau­rence Ruf­fin estime que « l’É­tat devrait aus­si le faire au nom de la réin­dus­tria­li­sa­tion ». La can­di­date à la mai­rie de Gre­noble sou­ligne l’im­por­tance du sym­bole Teis­seire : une entre­prise vieille de trois siècles, une marque et des sirops connus de tous, un quar­tier gre­no­blois por­tant son nom… « Teis­seire, c’est Gre­noble », assène-t-elle. « C’est notre fier­té. »

Lau­rence Ruf­fin, déjà venue à plu­sieurs reprises sou­te­nir les sala­riés de Teis­seire, était de retour avec son frère.

Lau­rence Ruf­fin s’ap­puie sur son propre par­cours pour main­te­nir la flamme de l’es­poir. Diri­geante pen­dant quinze ans de la Scop Alma, « une entre­prise coopé­ra­tive qui a tra­vaillé pour l’in­dus­trie », elle a pu expé­ri­men­ter un sys­tème où « tous les sala­riés étaient asso­ciés. Ce qu’on gagnait, soit on le réin­ves­tis­sait dans l’ou­til de tra­vail, soit on le redis­tri­buait aux sala­riés. C’est ça le modèle d’en­tre­prise qu’on doit défendre. »

Laurence Ruffin, « la meilleure pour Grenoble » selon son frère

La tête de liste de l’u­nion de la gauche cite éga­le­ment deux entre­prises. Deux cas emblé­ma­tiques qu’elle a sui­vis de près — en tant que vice-pré­si­dente de la Confé­dé­ra­tion géné­rale des Scop et des Scic. D’a­bord la coopé­ra­tive Scop Ti 1336 (qui pro­duit du thé et des infu­sions bio), héri­tière de Fra­lib, rache­tée pour un euro sym­bo­lique par ses sala­riés en 2014. « Ils ont réus­si à refaire vivre leur struc­ture, et dix ans après, ils sont là, ils sont fiers, ils se battent », se féli­cite Lau­rence Ruf­fin.

Devant l’u­sine de Crolles où les sala­riés de Teis­seire sont en grève depuis le 9 octobre.

« La deuxième struc­ture qu’on a accom­pa­gnée, dans le mou­ve­ment coopé­ra­tif, c’est Dura­lex, pour­suit-elle. Dura­lex, per­sonne n’y pen­sait. Per­sonne ne croyait pos­sible que ces verres — dans les­quels vos sirops iraient si bien — pou­vaient être repris par les sala­riés. Or, on y est par­ve­nus sans aide de l’État, on a levé près de 19 mil­lions d’euros auprès de 20 000 per­sonnes en trois jours ! » Un exemple à suivre pour Teis­seire, selon Lau­rence Ruf­fin, convain­cue qu’on peut « conti­nuer à fabri­quer un sirop local », grâce au savoir-faire et à l’eau des Alpes.

Fran­çois et Lau­rence Ruf­fin ont échan­gé avec les sala­riés de Teis­seire et d’autres entre­prises voi­sines, comme ST et Soi­tec.

Des pro­pos que son frère a salués, fai­sant l’é­loge de cette sœur qui « parle d’ex­pé­rience » lors­qu’elle aborde le sujet de l’in­dus­trie. Quel regard porte d’ailleurs Fran­çois Ruf­fin sur sa can­di­da­ture aux muni­ci­pales ? « C’est la meilleure », sou­rit-il. La meilleure de la famille mais aus­si « pour Gre­noble ». Et de conclure en se tour­nant vers elle : « Si ce pays était fait cor­rec­te­ment, elle serait déjà ministre de l’In­dus­trie. »

Chaude ambiance sur le piquet de grève, mal­gré le froid gla­cial.

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