Crolles. Laurence et François Ruffin à Teisseire : « Quand l’État veut, il peut »
Par Manuel Pavard
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Salah Mansouri, coordinateur logistique à Teisseire depuis 2009, résume un sentiment largement partagé par ses camarades : « Au niveau local, on a réussi à se faire entendre mais au niveau national, TF1 a fait un reportage en disant que l’augmentation du sucre nous avait mis dans la m… (sic), etc, alors que c’était l’inverse. On veut donc rétablir la vérité : notre site est totalement viable et si on ramène la sous-traitance, on peut très bien redémarrer la production en étant bénéficiaire. » Pour cela, tous misent beaucoup sur la venue à Crolles de François Ruffin, espérant que celle-ci apportera un « éclairage national » à leur lutte.

De fait, en six semaines de grève contre la fermeture de l’usine, prévue en avril 2026 (avec 205 emplois supprimés à la clé), les salariés de Teisseire ont vu défiler sur le piquet de grève plusieurs élus et politiques isérois ainsi que la plupart des médias locaux. Mais le député de la Somme — ex-LFI siégeant désormais dans le groupe écologiste — est la première personnalité médiatique de dimension réellement hexagonale à se rendre sur place. Il est venu soutenir les grévistes, ce jeudi 20 novembre, au côté de sa sœur Laurence Ruffin, tête de liste de l’union de la gauche écologiste et citoyenne pour les municipales à Grenoble, à l’invitation de la CGT.
« Mille emplois en train de disparaître dans la vallée »
L’UL CGT du Grésivaudan et l’UD CGT Isère organisaient en effet un grand rassemblement devant l’usine de Crolles, avec les syndicats CGT de Teisseire mais également des voisines STMicroelectronics et Soitec. Des entreprises toutes concernées par la désindustrialisation progressive, les suppressions d’emplois et les « réorganisations qui brisent des vies », comme le rappellent les élus syndicaux se succédant au micro. « Chez Soitec, on entre en chômage partiel », confie ainsi Hela Sahli, déléguée syndicale CGT de la société basée à Bernin, qui fait du combat des Teisseire celui de tous les autres salariés.

« On paye les décisions de nos dirigeants », déplore-t-elle, insistant sur le rôle crucial des salariés : « Quand on nous demande de travailler, on est là ; quand on nous demande de faire des heures supplémentaires, on est là… Et du jour au lendemain, ils nous demandent de ne plus être là. Ça, c’est inacceptable ! » Son homologue chez STMicro, Alice Pelletier, est tout aussi remontée : « Si on met bout à bout ST, Soitec, Teisseire, Atraltec à Crolles, Stryker à Montbonnot, en réalité ce sont près de mille emplois qui sont en train de disparaître dans la vallée. Et mille emplois, ça va se voir, dans les familles, ça va être terrible ! »

La syndicaliste fustige en outre les promesses faites en grande pompe par Emmanuel Macron en 2022 et ces 2,9 milliards d’euros accordés à STMicroelectronics « sans aucune contrepartie. Ils avaient dit qu’ils créeraient peut-être mille emplois et en fait que font-ils ? À ST, ils en suppriment mille en France. Cet argent, c’est le nôtre mais il va directement dans la poche des patrons et des actionnaires », s’indigne Alice Pelletier.
« Les fauves, ce sont les pilleurs en costume »
Un véritable « pillage » que subit également Teisseire, indique François Ruffin aux salariés, ciblant Carlsberg, qui a racheté le fabricant de sirops en 2024. Un groupe qui a détroussé intégralement sa victime et tout vidé, tout pillé : « les savoir-faire », « les volumes pour les envoyer ailleurs » et même « la trésorerie », passée de « 120 millions d’euros l’année dernière à moins 24 millions d’euros aujourd’hui ». Le député de la Somme compare le géant danois de la brasserie à « des fauves ». Mais « les fauves, il faut les mettre dans des cages, s’insurge-t-il. Les fauves, ce sont les pilleurs en costume. »

Malheureusement, malgré ce braquage organisé, on — sous-entendu l’État — « se laisse faire », accuse le fondateur de Fakir. « Maintenant, on demande un État qui protège et un président qui protège l’industrie, qui protège l’économie, ajoute-t-il. Pour la première fois dans notre histoire, la part de l’industrie dans notre PIB vient de passer sous la barre des 10 %. Du jamais vu ! Pourquoi ? Parce que l’État fait le choix de ne pas protéger. »

Pour François Ruffin, cette inaction est totalement délibérée. « Quand l’État veut, il peut », affirme-t-il, rappelant que le motif économique est inexistant. Et donc que les services de l’État, que ce soit la préfecture, le ministère du Travail ou la DDETS, ont des cartes en main pour « s’interposer » au profit des salariés. Ces cartes, c’est notamment « la possibilité de non-homologuer un plan social », expliquer le parlementaire.
« Il faut se battre pour maintenir notre savoir-faire »
Ce n’est pas sa sœur qui le contredira sur ce point. Appelant à « se battre pour maintenir notre savoir-faire » et « pour cette entreprise qui allait bien avant le rachat », Laurence Ruffin estime que « l’État devrait aussi le faire au nom de la réindustrialisation ». La candidate à la mairie de Grenoble souligne l’importance du symbole Teisseire : une entreprise vieille de trois siècles, une marque et des sirops connus de tous, un quartier grenoblois portant son nom… « Teisseire, c’est Grenoble », assène-t-elle. « C’est notre fierté. »

Laurence Ruffin s’appuie sur son propre parcours pour maintenir la flamme de l’espoir. Dirigeante pendant quinze ans de la Scop Alma, « une entreprise coopérative qui a travaillé pour l’industrie », elle a pu expérimenter un système où « tous les salariés étaient associés. Ce qu’on gagnait, soit on le réinvestissait dans l’outil de travail, soit on le redistribuait aux salariés. C’est ça le modèle d’entreprise qu’on doit défendre. »
Laurence Ruffin, « la meilleure pour Grenoble » selon son frère
La tête de liste de l’union de la gauche cite également deux entreprises. Deux cas emblématiques qu’elle a suivis de près — en tant que vice-présidente de la Confédération générale des Scop et des Scic. D’abord la coopérative Scop Ti 1336 (qui produit du thé et des infusions bio), héritière de Fralib, rachetée pour un euro symbolique par ses salariés en 2014. « Ils ont réussi à refaire vivre leur structure, et dix ans après, ils sont là, ils sont fiers, ils se battent », se félicite Laurence Ruffin.

« La deuxième structure qu’on a accompagnée, dans le mouvement coopératif, c’est Duralex, poursuit-elle. Duralex, personne n’y pensait. Personne ne croyait possible que ces verres — dans lesquels vos sirops iraient si bien — pouvaient être repris par les salariés. Or, on y est parvenus sans aide de l’État, on a levé près de 19 millions d’euros auprès de 20 000 personnes en trois jours ! » Un exemple à suivre pour Teisseire, selon Laurence Ruffin, convaincue qu’on peut « continuer à fabriquer un sirop local », grâce au savoir-faire et à l’eau des Alpes.

Des propos que son frère a salués, faisant l’éloge de cette sœur qui « parle d’expérience » lorsqu’elle aborde le sujet de l’industrie. Quel regard porte d’ailleurs François Ruffin sur sa candidature aux municipales ? « C’est la meilleure », sourit-il. La meilleure de la famille mais aussi « pour Grenoble ». Et de conclure en se tournant vers elle : « Si ce pays était fait correctement, elle serait déjà ministre de l’Industrie. »



