« Pas de moyens, pas de rentrée ! » : des enseignants et AESH à bout à Grenoble
Par Manuel Pavard
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« Pas de moyens, pas de rentrée ! » Le mot d’ordre choisi par les personnels des écoles et collèges de l’agglomération grenobloise pour leur journée de grève du 3 novembre témoigne autant de leur dépit que de leur détermination. Enseignants, AESH, AED… Tous partagent le même constat : malgré les mobilisations massives — parties des quartiers populaires de Grenoble, avant de gagner le reste du territoire métropolitain — des 10 avril, 5 mai, 14 mai et 26 juin, « les moyens promis par le recteur ne sont pas au rendez-vous au démarrage de cette nouvelle année scolaire », déplorent-ils dans un communiqué.

Rassemblés devant le rectorat de l’académie de Grenoble, à l’heure de la pause méridienne, les enseignants étaient nombreux à reconnaître une réelle impasse. Après les vacances de la Toussaint, beaucoup auraient ainsi préféré se retrouver devant leurs élèves en ce jour de reprise des cours. Mais dans des conditions aussi dégradées, impossible de faire une rentrée dans un climat serein et acceptable… Pour eux comme pour les élèves.
Écoles orphelines, comme des REP, sans les moyens des REP
L’un des cas les plus édifiants à cet égard est celui des écoles dites « orphelines » (Simone-Lagrane, Marguerite-Tavel, Jean-Racine, Anatole-France, Libération, Malherbe…). Des établissements victimes d’une « injustice », s’insurge Nelly Grazia, enseignante à l’école Jean-Racine : « On devrait être classé en réseau d’éducation prioritaire (REP) du fait d’un IPS très faible [NDLR : l’indice de position sociale (IPS) est un indicateur évaluant les conditions socio-économiques et culturelles des familles des élèves accueillis dans l’établissement]. Donc avec des moyens supplémentaires. Mais avec les difficultés qu’on connaît dans l’école, on n’a même pas ce minimum ! »

Nelly Grazia énumère ainsi les « avantages » inhérents au REP dont est injustement privée l’école Jean-Racine : « des formations supplémentaires, des enseignants surnuméraires, des effectifs réduits en CP et CE1 — alors qu’on a des effectifs similaires à ceux d’écoles n’ayant pas un IPS aussi faible. Il nous manque aussi 96 heures d’AESH. » Ce qui a de lourdes conséquences pour les élèves à besoin éducatifs particuliers : « Aujourd’hui, on a des enfants qui ne peuvent pas venir à l’école tant qu’il n’y a pas ces AESH, ils doivent rester à la maison. »
« On a des enfants qui ne peuvent pas venir à l’école »
L’enseignante accuse aussi le rectorat de les avoir « baladés » tout au long des derniers mois, sans tenir ses promesses. Les services académiques ont en effet proposé à l’école Jean-Racine, comme aux autres écoles orphelines, un contrat local d’accompagnement (CLA), destiné aux établissements en difficulté ne relevant pas du statut REP. « Sur le papier, on a un contrat qui nous donne un enseignant surnuméraire et des formations spécifiques. Mais à ce jour, on n’a toujours rien obtenu », se désole Nelly Grazia. Idem pour le dispositif inclusif Respire, qui connaît de nombreux ratés au démarrage. « Ce n’est pas ce qu’on demande », résume-t-elle.

Le bilan n’est pas plus positif avec le déploiement depuis la rentée de septembre des Pôles d’appui à la scolarité (PAS), autre dispositif visant à l’inclusion des élèves à besoins particuliers. « Dans notre collège, la mise en place des PAS avait été présentée comme une réponse aux besoins mais pour l’instant, c’est loin d’être le cas », observe Christelle Blanc-Lanaute, professeure de français au collège Vercors.

« On n’a jamais vu autant de fluctuation des conditions de travail de nos collègues AESH qui suivent des enfants, puis qui ne les suivent plus, souligne-t-elle. Certaines vont dans les écoles, en plus du collège, et ensuite, il y a des besoins dans les écoles donc on ne les voit plus. » De fait, il manque 22 heures d’AESH au collège Vercors. Et « un peu moins de 200 heures sur l’ensemble du PAS » — qui inclut le collège Vercors, le lycée Argouges et les écoles primaires de secteur (Léon-Jouhaux, Jules-Ferry et Clémenceau) — selon sa collègue d’anglais Soundous.
Les AESH veulent de vraies formations et des salaires décents
Au total, en Isère, quelque 700 enfants ne disposent pas d’un accompagnement suffisant, dont 140 à 150 qui ne sont pas du tout accompagnés. Toujours dans le département, près d’un enfant sur six qui devrait être suivi par un AESH n’en a pas en réalité, selon les propres estimations de l’Éducation nationale.

Particulièrement mobilisés ce lundi 3 novembre, AESH et AED dénoncent par ailleurs des conditions de travail qui n’aident pas à l’attractivité de la profession. Outre de vraies formations sur leurs missions, leurs droits, et sur le handicap, ceux-ci réclament une augmentation générale des salaires, des postes supplémentaires, de vraies primes REP et REP+ égales à celles des enseignant·es… Sans oublier « un vivier de remplaçant·es pour les AESH et de vrais remplacements d’équipe de vie scolaire, pas des brigades qui sont aujourd’hui le relais du rectorat et permettent de casser les grèves en utilisant la précarité des contractuel·les et AED ».

Pour couronner le tout, le sous-effectif concerne également d’autres catégories de personnel, dans une grande partie des établissements scolaires de l’agglomération — et plus globalement de l’Hexagone. Illustration au collège Vercors où « il manque également une enseignante référente et un médecin scolaire », déplore Christelle Blanc-Lanaute. Résultat des courses, « les conditions d’inclusion des enfants ne sont pas du tout satisfaisantes ». Et pour recruter de nouveaux AESH, il faudra bien « former correctement des gens et les payer en conséquence ».



