Teisseire Crolles. La fermeture, « une catastrophe » pour les salariés

Par Manuel Pavard

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Les salariés de Teisseire tenant le piquet de grève, devant le site de Crolles, mardi 21 octobre 2025. © Pierre-Jean Crespeau
Après l'annonce, le 16 octobre, de la fermeture prochaine de l'usine Teisseire de Crolles, les salariés se sont rassemblés sur le piquet de grève, ces lundi 20 et mardi 21 octobre. Sous le choc, ceux-ci fustigent la stratégie de la direction, dénonçant, à l'instar de la CGT, "une mort industrielle programmée" ainsi qu'une décision injustifiée sur le plan économique.

Ils sont assis sur des chaises de jar­din ins­tal­lées devant l’en­trée du site, pro­fi­tant d’un coin de ciel bleu bien­ve­nu, ce mar­di 20 octobre, après la pluie de la veille. Mais l’at­mo­sphère — plu­tôt déten­due en appa­rence — sur le piquet de grève est trom­peuse. Les sou­rires sont timides, tous ont le cœur lourd. Jeu­di 16 octobre, les sala­riés de Teis­seire, alors en grève depuis une semaine, ont en effet appris, à l’oc­ca­sion d’un CSE extra­or­di­naire, la fer­me­ture de l’u­sine de Crolles, pré­vue au prin­temps 2026.

Les sala­riés de Teis­seire évoquent l’a­ve­nir, réunis devant les grilles de l’u­sine. © Pierre-Jean Cres­peau

Si l’an­nonce n’a pas tota­le­ment sur­pris les gré­vistes, qui crai­gnaient une mau­vaise nou­velle, elle a tout de même fait l’ef­fet d’un coup de ton­nerre. Invo­quant dans un com­mu­ni­qué la « situa­tion éco­no­mique et finan­cière extrê­me­ment dif­fi­cile » du fabri­cant de sirops et une « réor­ga­ni­sa­tion glo­bale de ses acti­vi­tés », la direc­tion anti­cipe un arrêt de la pro­duc­tion en mars ou avril 2026, à Crolles. Site où plus de 200 emplois se retrouvent donc mena­cés de sup­pres­sion.

« Toutes les autres années, on a été ren­tables et il a suf­fi d’une année de non-ren­ta­bi­li­té pour licen­cier 205 per­sonnes et éli­mi­ner le site de Crolles ! »

Salah Man­sou­ri, coor­di­na­teur logis­tique à Teis­seire

Par­mi ces sala­riés désor­mais en sur­sis, Salah Man­sou­ri, coor­di­na­teur logis­tique à Teis­seire depuis 2009, ne mâche pas ses mots. Pour lui, cette fer­me­ture est « une catas­trophe pure et simple », d’au­tant que « l’u­sine était tout à fait ren­table », assure-t-il. En réa­li­té, « les action­naires ont vou­lu une non-ren­ta­bi­li­té en nous enle­vant les stocks de pro­duc­tion qu’on avait chez nous, pré­cise le sala­rié. Et ils sont arri­vés, petit à petit, à nous des­cendre à 40 mil­lions de litres » — soit sous le seuil cri­tique.

À gauche, Salah Man­sou­ri, coor­di­na­teur logis­tique à Teis­seire depuis 2009. © Pierre-Jean Cres­peau

« C’est dra­ma­tique pour l’his­toire de Teis­seire et ses 300 ans dans la région gre­no­bloise, c’est une crise pour le Gré­si­vau­dan », pour­suit Salah Man­sou­ri, qui ne déco­lère pas. « Vous vous ren­dez compte ? Toutes les autres années, on a été ren­tables et il a suf­fi d’une année de non-ren­ta­bi­li­té pour licen­cier 205 per­sonnes et éli­mi­ner le site de Crolles ! »

« Une mort industrielle programmée »

Scan­da­li­sée par cette « déci­sion inac­cep­table pour les sala­riés », la CGT évoque même « une mort indus­trielle pro­gram­mée », dans un com­mu­ni­qué. Pour le syn­di­cat, l’af­faire est enten­due, « cette issue résulte non pas d’une fata­li­té éco­no­mique, mais d’une stra­té­gie déli­bé­rée de désen­ga­ge­ment indus­triel orches­trée par le groupe Brit­vic, aujourd’hui rache­té par Carls­berg ».

Le pré­sident de Teis­seire Chris­tophe Gar­cia comme le groupe Carls­berg, pro­prié­taire du fabri­cant de sirops, sont ciblés par les sala­riés. © Pierre-Jean Cres­peau

Retra­çant l’his­to­rique de Teis­seire, la CGT pointe la stra­té­gie du groupe Brit­vic alliant à Crolles, à par­tir de la fin des années 2010, « mana­ge­ment auto­ri­taire et délo­ca­li­sa­tion pro­gres­sive » de la pro­duc­tion de sirops (en par­ti­cu­lier vers la Slaur Sar­det, au Havre, qui pro­dui­ra désor­mais les sirops). Et ce, avant le « coup de grâce » du rachat par Carls­berg. Lequel n’a fait que « confir­mer cette stra­té­gie : vider les sites de leur sub­stance avant de les fer­mer ».

Le syn­di­cat s’é­tonne éga­le­ment de la situa­tion finan­cière du groupe, avec « une dis­pa­ri­tion inex­pli­quée de 144 mil­lions d’eu­ros en un an ». La tré­so­re­rie est ain­si pas­sée de +119,8 à ‑24 mil­lions d’eu­ros, entre le 30 sep­tembre 2024 et le 30 sep­tembre 2025. Et la CGT de s’in­ter­ro­ger : « Où est pas­sé cet argent ? Quelles déci­sions ont conduit à une telle chute ? »

Les sala­riés ont inves­ti le piquet de grève depuis le début de semaine. © Pierre-Jean Cres­peau

« Cette fer­me­ture n’a aucune jus­ti­fi­ca­tion éco­no­mique, s’in­surge l’or­ga­ni­sa­tion syn­di­cale. Le site de Crolles a tou­jours su pro­duire, inno­ver et main­te­nir des niveaux de qua­li­té recon­nus. » Elle dénonce ain­si, pêle-mêle, « une stra­té­gie déli­bé­rée de trans­fert d’activité vers la sous-trai­tance, une poli­tique mana­gé­riale des­truc­trice géné­rant souf­france, arrêts et départs, l’opacité totale sur les flux finan­ciers et les inves­tis­se­ments, une direc­tion géné­rale décon­nec­tée des réa­li­tés sociales et du ter­rain ».

La CGT appelle les pouvoirs publics à intervenir

Que faire main­te­nant ? La CGT déroule ses reven­di­ca­tions, exi­geant « la trans­pa­rence immé­diate sur la ges­tion finan­cière et les déci­sions stra­té­giques ayant conduit à cette situa­tion, une exper­tise éco­no­mique indé­pen­dante pour faire la lumière sur les res­pon­sa­bi­li­tés, le main­tien des emplois et de l’activité à Crolles, avec un plan indus­triel viable, l’intervention des pou­voirs publics pour empê­cher cette nou­velle casse indus­trielle ».

Devant les grilles d’en­trée de l’u­sine en grève, mar­di 21 octobre 2025. © Pierre-Jean Cres­peau

Le syn­di­cat appelle par ailleurs « l’ensemble des sala­riés, des élus, des citoyens et des pou­voirs publics à se mobi­li­ser pour défendre l’emploi indus­triel en Isère ». Un objec­tif par­ta­gé par les sala­riés de Teis­seire, qui refusent una­ni­me­ment de voir dis­pa­raître ce site emblé­ma­tique. Néan­moins, en pra­tique, le coup est rude. Dif­fi­cile en effet de res­ter opti­miste dans un tel contexte, avouent plu­sieurs gré­vistes.

« La crainte de l’avenir » chez les salariés

« Com­ment vou­lez-vous que je me pro­jette ? J’ai 50 ans, il va fal­loir que j’aille faire mes preuves ailleurs, ce qui n’est pas évident », sou­ligne Salah Man­sou­ri, amer. « On ajoute de la crise à la crise, déplore-t-il. C’é­tait déjà ten­du dans notre sec­teur et il va fal­loir que je réap­prenne à aller avec la boule au ventre au bou­lot alors que nous ici, on était très bien. »

Le sala­rié se sou­vient avec émo­tion de cette entre­prise où « on pou­vait déve­lop­per nos idées, prendre des ini­tia­tives »… Une époque mal­heu­reu­se­ment révo­lue, regrette-t-il : « Main­te­nant, c’est la crainte de l’a­ve­nir. »

Pour le dépu­té Jéré­mie Ior­da­noff, « un scé­na­rio indus­triel déjà écrit d’a­vance »

Jéré­mie Ior­da­noff, dépu­té de la cin­quième cir­cons­crip­tion de l’I­sère, dénonce lui aus­si « un scé­na­rio indus­triel déjà écrit d’a­vance » dans un com­mu­ni­qué. « Cette déci­sion, pré­sen­tée comme inévi­table par le groupe Carls­berg (…), s’inscrit mal­heu­reu­se­ment dans un scé­na­rio trop connu : un grand groupe inter­na­tio­nal rachète une entre­prise fran­çaise emblé­ma­tique, l’affaiblit et finit par annon­cer la fer­me­ture du site pour des rai­sons éco­no­miques qu’il a lui-même contri­bué à créer », s’in­digne l’é­lu éco­lo­giste, venu ren­con­trer les sala­riés de Teis­seire, lun­di 21 octobre, à Crolles, aux côtés d’autres par­le­men­taires, comme la dépu­tée LFI Éli­sa Mar­tin ou le séna­teur éco­lo­giste Guillaume Gon­tard.

« La pré­ser­va­tion de l’emploi et du patri­moine indus­triel local doit être la prio­ri­té », estime Jéré­mie Ior­da­noff. Lequel pro­met de « res­ter mobi­li­sé aux côtés des sala­riés, des élus locaux et des acteurs éco­no­miques afin que Teis­seire, sym­bole du savoir-faire fran­çais depuis plus de 300 ans et du dyna­misme indus­triel de l’Isère ne devienne pas une simple ligne comp­table dans la stra­té­gie d’un grand groupe ».

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