« Bloquons tout ». Bourgoin-Jallieu : les raisons de la colère
Par Didier Gosselin
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Mercredi 10 septembre, 9 heures, quartier Champaret. À l’entrée du site du géant pharmaceutique Thermo Fisher qui emploie 600 personnes dont de nombreux cadres et techniciens, et où, sans être majoritaire, la section CGT (38 % dans l’établissement dont 90 % dans le collège ouvriers) est très active, les échanges — auxquels participent les militants communistes berjalliens venus apporter leur soutien — vont bon train. Ceci, notamment sur la forme de la mobilisation et la nécessité de la pratique démocratique pour faire grandir la conscience de classe. « Nous ne sommes certes pas très nombreux, mais on organise, on communique, on explique aux gens pourquoi c’est important de se mobiliser », souligne Pierre Claret, délégué CGT, « parce que la décision leur appartient et que, si on ne se mobilise pas, on finira tous précarisés ».

Le prochain objectif, c’est le 18 septembre, journée qui ne s’oppose pas à celle d’aujourd’hui. « Tout mouvement est bon à prendre », insiste le syndicaliste. « Les revendications sont les mêmes que celles que nous défendons à la CGT et il faut qu’on soit là quand les gens ont envie de se mobiliser », ajoute-t-il, faisant référence au blocage en cours à Saint-Quentin-Fallavier. Christelle, fonctionnaire territoriale venue soutenir les grévistes de Thermo Fisher, explique de son côté la difficulté à mobiliser et à donner toute sa force à la grève. Car en face, les directions, elles, s’organisent « pour nous remplacer en utilisant les contractuels toujours plus nombreux afin de ne fermer aucun service ».
Retrouver du sens au travail dans des conditions décentes
Une réalité que l’on retrouve au centre éducatif Camille Veyron, à 10h30, dans le quartier de Champfleuri. Serge Mazars, délégué CGT, accuse ainsi la direction d’avoir « assigné » certains personnels pour limiter l’impact de la grève de ce jour, suivie par près de 50 % du personnel. Cet établissement médico-social, qui comprend cinq services, une administration et un service technique (fonction hôtelière et de maintenance) et qui accueille ou héberge notamment des enfants handicapés, concentre les problèmes de toute la filière privée du médico-social.
Ce piquet de grève du 10 septembre permet aux militants CGT de discuter avec les salariés. L’occasion de remettre en perspective la réalité quotidienne du travail ainsi que la nécessité d’agir pour faire bouger les choses et retrouver du sens au travail dans des conditions décentes. Austérité budgétaire, logique marchande, fermetures de services ou menaces sur l’indemnité Ségur sont en effet autant d’attaques contre les métiers, les salaires, les conditions de travail.

Réunies elles aussi devant le centre éducatif, des conseillères conjugales et familiales du CSS (Centre de santé sexuelle — Planning familial) de Bourgoin-Jallieu ne cachent pas leur inquiétude. En cause, l’absence de financements garantis pour assurer la pérennité du paiement de prime Ségur mais également de la structure CSS, et la montée en charge de leurs missions, notamment dans le cadre de la dégradation de la prise en charge de la santé mentale (fermeture d’un service dédié au Médipôle de Bourgoin-Jallieu). « Tous les jours, nous recevons des personnes qui vont mal dans leur vie, et le mal-être est parfois très important », souligne Laurence, conseillère au CSS. « Le mal-être des jeunes s’est accru, et la fermeture de structures comme la nôtre aurait de graves conséquences », déplore Laurence, qui travaille au Planning depuis plus de vingt ans et qui s’estime aujourd’hui « particulièrement inquiète ».
Pression de la hiérarchie pour empêcher la mobilisation
À 11 heures, l’ambiance est détendue mais déterminée devant l’entrée du magasin Carrefour de l’Isle‑d’Abeau où la CGT a convié les quelque 200 salariés à se rassembler. Une vingtaine de membres du personnel ont répondu présent. Une forme de victoire pour les deux délégués CGT Yann Barreau et Nicolas Proietti, qui animent à eux seuls le syndicat CGT, tentant de renforcer leur section syndicale. Yann Barreau souligne que certains personnels n’ont pas pu résister à la pression de la hiérarchie qui fait tout pour empêcher la mobilisation. Et Nicolas Proietti rappelle qu’il y a toujours moins de personnels le mercredi. Selon eux, les salariés sont sensibles à l’actualité politique et sociale mais la mobilisation n’est pas simple dans cette période. Carrefour mise en effet toujours sur une location-gérance, menant une bataille idéologique et anti-syndicale dans ce sens.

Pour Nicolas Proietti, « l’action de ce jour devant Carrefour est complémentaire avec la grande journée de manifestation citoyenne et se prolongera le 18 septembre ». « À la CGT Carrefour l’Isle‑d’Abeau, poursuit-il, nous avons décidé d’accompagner ce mouvement non pas dans la rue, non pas sur un rond-point, mais au sein même de notre entreprise où se joue l’avenir des salariés ». À l’issue de son discours faisant suite aux nombreuses discussions informelles, Nicolas Proietti a appelé les personnels présents à se syndiquer et à renforcer la CGT, seule présente ce jour.
« Une véritable déclaration de guerre sociale »
Les salariées de l’ESMPI (Etablissement privé de santé mentale des portes de l’Isère), qui jouxte justement le Médipôle, font les mêmes constats que leurs collègues du centre éducatif ou du Planning familial. Appelées à débrayer entre 12 et 14 heures, avant de rejoindre leurs camarades du centre hospitalier, elles dénoncent le gel des prestations sociales touchant leurs patients comme celui des salaires des fonctionnaires. Pourtant, s’insurge Nathalie Moreau, déléguée CGT de l’ESMPI, « nous sommes déjà en deçà, à l’ESMPI, des salaires de la fonction publique ». Une baisse de pouvoir d’achat estimée à 30 % depuis vingt-cinq ans, selon elle.

« Le gel des budgets publics, l’augmentation des impôts pour les ménages les plus modestes, la suppression des deux jours fériés, notamment le 8 mai, jour de la victoire contre le nazisme, le déremboursement des soins pour les malades chroniques, la suppression de 3 000 postes dans la fonction publique et le non-remplacement d’un tiers des départs — ce qui se fait déjà à l’ESMPI — forment une véritable déclaration de guerre sociale avant la vraie guerre qui, elle aussi, se prépare », s’inquiète la déléguée CGT.

« Le gouvernement veut faire payer la crise budgétaire qu’il a lui-même provoquée par ses cadeaux aux plus riches (exonérations de cotisations sociales, aides publiques sans contrôle ni contreparties, dividendes florissants versés aux entreprises du CAC 40…) alors qu’il ne donne toujours rien pour les salaires, les services publics et la transition écologique », conclut Nathalie Moreau.
Et la syndicaliste de rappeler les revendications de la CGT que les salariées de l’ESMPI porteront haut et fort le 18 septembre : abrogation de la contre-réforme sur les retraites, augmentation des salaires, investissements dans tous les services publics, reconquête industrielle, défi climatique…
Les militants communistes au cœur de l’action collective
Sur ces différents rassemblements, des communistes étaient présents pour apporter leur soutien et échanger avec les salariés et les syndicalistes CGT. Outre les propositions spécifiques du PCF sur le pacte pour l’avenir de la France, l’objectif des militants est bien d’être au cœur de l’action collective, seule à même de changer réellement les rapports de force, notamment au sein des entreprises et de l’industrie.
C’est là en effet que le grand capital est touché au cœur, lorsque la production s’arrête et que les profits sont menacés. D’où la nécessité de soutenir les grévistes et un syndicat combatif tel que la CGT. Et ce, tout en ouvrant grand une perspective de transformation radicale portée par des propositions originales et à débattre collectivement. Rendez-vous est pris pour le 18 septembre.