Débat. Trois projets pour redonner son sens au travail

Par Edouard Schoene

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Après le réchauffement climatique ou la démocratie dans l'entreprise, les débats organisés par la section communiste de Grenoble confirment leur haute tenue.
Les communistes de Grenoble organisaient lundi 19 mai un débat sur le thème « face à l’insécurité sociale, comment dépasser le salariat » ? Y prenaient part Kevin Guillas-Cavan (commission économique nationale du PCF), Laurent Terrier (chercheur, secrétariat de l’UD CGT 38) et deux représentants du collectif « Réseau salariat Grenoble ». Ce débat est, à notre connaissance, le premier, en France, rassemblant les approches de ces trois organisations, après des années de polémiques parfois vives.

Quelles sont les pro­po­si­tions et les dif­fé­rences d’analyses du PCF, du col­lec­tif Réseau sala­riat et de la CGT ? Dif­fé­rences et conver­gences ? C’est ce qu’a per­mis de mettre en lumière la ren­contre du 19 mai. Au titre des pro­po­si­tions, le PCF avance celle d’une « sécu­ri­té emploi for­ma­tion », le réseau sala­riat celle d’une « sécu­ri­té sociale de l’économie » et la CGT évoque une « sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle ».

La sécu­ri­té sociale du Réseau sala­riat repose sur une idée : « Le com­mu­nisme n’est pas un idéal uto­pique. Le dépas­se­ment com­mu­niste est déjà en cours », rele­vait l’un des deux repré­sen­tants du réseau *. Le col­lec­tif s’appuie sur les tra­vaux de Ber­nard Friot pour noter que la Sécu­ri­té sociale, hors mar­ché capi­ta­liste, par conven­tion­ne­ment, avec un salaire à la per­sonne, est une conquête com­mu­niste, « por­tée après guerre par la CGT et les com­mu­nistes ». Tout comme le sta­tut de la fonc­tion publique est un « déjà là » du com­mu­nisme. Sur cette base, la pro­po­si­tion du Réseau est « la mise en sécu­ri­té sociale pro­gres­sive de l’économie par la créa­tion d’un nou­veau sta­tut du/de la producteur·ice atta­ché à un cer­tain nombre de droits : res­pon­sa­bi­li­té sur la pro­duc­tion, co-pro­prié­té d’u­sage des moyens de pro­duc­tion, salaire à vie, abo­li­tion de la pro­prié­té lucra­tive. On ne cherche pas l’abolition du chô­mage mais la recon­nais­sance du sta­tut de tra­vailleur, atta­ché à la per­sonne, dès 18 ans et jusqu’à la retraite à 60 ans. » Le Réseau sala­riat défend l’idée d’un « salaire à la per­sonne », asso­cié à la recon­nais­sance d’un sta­tut, sou­li­gnant qu’un tiers des sala­riés aujourd’hui ont un salaire à la per­sonne (fonc­tion publique, hos­pi­ta­liers…). « Nous pro­po­sons la mise en sécu­ri­té sociale pro­gres­sive de l’économie ».

La soi­rée a été ani­mée par Bap­tiste Bon­homme, res­pon­sable des jeunes com­mu­nistes.

Ce qui conduit à une pre­mière dif­fé­rence avec les pro­po­si­tions du PCF. « Nous nous pro­non­çons pour le plein emploi tout au long de la vie. Tout le monde tra­vaille­ra, moins et mieux », pré­ci­sait Kevin Guillas-Cavan, membre de la com­mis­sion éco­no­mique natio­nale du PCF. D’où la néces­si­té d’un cadre col­lec­tif, dans les entre­prises, pour déci­der des conte­nus et des fina­li­tés du tra­vail. Tan­dis que la sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle de la CGT s’inscrit dans le cadre de l’entreprise pour reven­di­quer de nou­veaux droits pour les sala­riés tout au long de leurs par­cours pro­fes­sion­nels.

Une seconde dif­fé­rence relève de la concep­tion de l’État. Pour le Réseau, l’objectif est de « sor­tir des sec­teurs com­plets de la logique capi­ta­liste et non pas de régu­ler le capi­ta­lisme. Pour nous, la prise de pou­voir se fait dans l’entreprise qui sort de la pro­duc­tion capi­ta­liste ; il s’agit de don­ner un droit, celui du pro­duc­teur citoyen, dès 18 ans, indé­pen­dam­ment de l’emploi. »

Kevin Guillas-Cavan, membre de la com­mis­sion éco­no­mique natio­nale du PCF, et Laurent Ter­rier, membre du secré­ta­riat de l’u­nion dépar­te­men­tale CGT.

Ce à quoi répond Kevin Guillas-Cavan en indi­quant que « nous n’avons pas un féti­chisme de l’Etat. Mais il faut bri­ser le pou­voir d’Etat au ser­vice du capi­tal car c’est l’État, au ser­vice du capi­tal, qui lui donne sa force ». Citons le niveau des sub­ven­tions aux grandes entre­prises ou encore la pri­va­ti­sa­tion de la créa­tion moné­taire au ser­vice du gon­fle­ment des for­tunes. Kevin Guillas-Cavan note ain­si que « la prise du pou­voir d’Etat est pour nous un préa­lable. Le pro­gramme de Fabien Rous­sel notait qua­rante entre­prises à natio­na­li­ser. La natio­na­li­sa­tion porte sur la pro­prié­té, non sur la ges­tion qui doit être socia­li­sée, dans les mains des tra­vailleurs. C’est le rap­port des forces qui déter­mi­ne­ra les com­pro­mis à faire à par­tir de notre pro­gramme PCF. Nous ne vou­lons pas accom­pa­gner le capi­ta­lisme mais prendre la main sur l’argent et la pla­ni­fi­ca­tion ».

« Fon­da­men­ta­le­ment, pré­cise Kevin Guillas-Cavan, l’idée est de garan­tir un reve­nu à vie qui ne peut que croître (en cela on est sur la même ligne que RS). Tout au long de la vie, on est en emploi ou en for­ma­tion. Cela n’a rien à voir avec « flex­sé­cu­ri­té » qui ne garan­tit pas l’emploi. En même temps que l’on forme, on pla­ni­fie les inves­tis­se­ments, où va l’argent, dans quels domaines. » Une feuille de route pour s’attaquer concrè­te­ment au cœur du sys­tème capi­ta­liste.

Les deux repré­sen­tants du col­lec­tif « réseau sala­riat Gre­noble » ont sou­hai­té ne pas être nom­més ni pho­to­gra­phiés

Du côté de la CGT, la pro­po­si­tion d’une sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle se décline sous la forme d’un cahier reven­di­ca­tif. Laurent Ter­rier, membre du secré­ta­riat de l’union dépar­te­men­tale, expose ain­si les dif­fé­rentes facettes de la pro­po­si­tion : « Un contrat jamais rom­pu, à temps com­plet, en CDI (ou contrat fonc­tion publique) avec un salaire à temps com­plet jusqu’à la retraite à 60 ans ; un salaire en pro­gres­sion (mini­mum dou­ble­ment de salaire au cours de la vie) ; la recon­nais­sance des qua­li­fi­ca­tions ; le droit à la for­ma­tion ini­tiale et for­ma­tion pro­fes­sion­nelle et conti­nue trans­fé­rable d’un emploi à l’autre ; le droit aux congés for­ma­tion notam­ment pour recon­ver­sion, avec main­tien du salaire ; une Sécu­ri­té sociale inté­grant les mutuelles tout au long de la vie et de nou­veaux droits démo­cra­tique pour par­ti­ci­per réel­le­ment à l’organisation et aux fina­li­tés des acti­vi­tés issues du tra­vail. »

Urgence à proposer une société alternative, face à un patronat qui fait le choix de l’extrême droite

Ces trois approches s’appuient sur des constats lar­ge­ment par­ta­gés. « Le tra­vailleur, dans le capi­ta­lisme, est dépos­sé­dé du pro­duit de son tra­vail, qui devient une force étran­gère, contrô­lée par le capi­tal. Son acti­vi­té ne lui appar­tient plus », ana­lyse un repré­sen­tant du Réseau sala­riat. « Le sala­riat est alié­na­tion, dépos­ses­sion des tra­vailleurs. Le capi­ta­lisme décide du conte­nu de la socia­li­sa­tion du tra­vail. Nous vou­lons reprendre la main sur ce que l’on pro­duit pour répondre aux besoins. Le capi­ta­lisme lui pro­duit pour le pro­fit. Ain­si pour notre plan cli­mat ce qui m’intéresse ce n’est pas la pro­duc­tion de trains mais la pro­duc­tion de moyens de trans­ports les plus appro­priés pour les citoyens, le cli­mat », pré­cise Kevin Guillas-Cavan.

Tan­dis que Laurent Ter­rier sou­ligne l’urgence de faire gran­dir des pro­po­si­tions alter­na­tives : « Les CDD sont de plus en plus courts et de plus en plus pré­sents dans la fonc­tion publique. Le taux de pau­vre­té s’est accru (14%). Le sala­riat s’est déstruc­tu­ré avec le déve­lop­pe­ment de la sous-trai­tance, avec la découpe en mor­ceaux des groupes indus­triels. » Une riposte qui s’élabore aus­si sur le ter­rain : «  La CGT orga­nise les tra­vailleurs sans-papiers, déve­loppe l’action contre la sur­ex­ploi­ta­tion, la dis­cri­mi­na­tion des femmes, en par­ti­cu­lier dans les métiers de l’aide. » Urgence et res­pon­sa­bi­li­té accrue des par­tis et des syn­di­cats de mettre en lumière un modèle de socié­té alter­na­tif après l’arrivée de Trump et le choix du patro­nat de sou­te­nir l’extrême droite.

Une soi­rée pas­sion­nante, qui appelle assu­ré­ment d’autres échanges.

Pour aller plus loin

Le pro­jet sécu­ri­té emploi for­ma­tion est issu des tra­vaux de Paul Boc­ca­ra, Sécu­ri­té d’emploi ou de for­ma­tion, 2002, ed. Eyrolles, et de tra­vaux ulté­rieurs.

Le pro­jet de sécu­ri­té sociale pro­fes­sion­nelle a été adop­té par le 48e congrès de la CGT, en 2006 à Lille. Plus d’in­fos.

Des infos sur le réseau sala­riat et le salaire à vie.

Le livre de Fabien Rous­sel, Le par­ti pris du tra­vail (ed. du Cherche-Midi) est en vente au siège du PCF, 20 rue Emile Guey­mard à Gre­noble.

Le col­lec­tif Plus jamais ça avait pro­duit en 2021 un plan de rup­ture, cité par Laurent Ter­rier.

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