Grenoble. Enseignants et parents mobilisés pour les écoles des quartiers populaires
Par Manuel Pavard
/

« Nous ne voulons pas que l’égalité des chances ne soit qu’une formule ! » La phrase résume parfaitement la philosophie et les objectifs du mouvement de contestation né dans les écoles de la Villeneuve, avant de gagner les établissements scolaires de différents quartiers populaires de Grenoble. Jeudi 10 avril, ce ne sont ainsi pas moins de quatorze écoles qui étaient totalement fermées : les Trembles, les Frênes, la Fontaine, les Genêts, le Lac, la Rampe, les Buttes, Anatole-France, Libération, Simone-Lagrange, Malherbe, Jean-Racine, Marie-Reynoard, Léon-Jouhaux… Sans oublier les collèges des Saules, Lucie-Aubrac et Aimé-Césaire, dont le fonctionnement était également fortement perturbé.

Une journée de grève massivement suivie par l’ensemble des travailleurs et travailleuses de l’éducation (enseignants, AESH, Atsem, personnel du périscolaire…) de ces établissements, avec le soutien des organisations syndicales (CNT, SNUIPP, Sud) et des parents d’élèves. Tous se sont rassemblés en fin de matinée sur la place Rouge — ou place Nibia-Sabalsagaray-Curutchet (sa dénomination officielle) — au cœur du parc Jean-Verlhac et du quartier de la Villeneuve, pour une assemblée générale réunissant près de 150 personnes.
« Le service public ne fonctionne plus »
À l’origine de cette mobilisation, un énorme ras-le-bol face à la situation sociale très précaire de nombreux élèves, conjuguée au manque de moyens chronique affectant les écoles. « Nous voulons des adultes supplémentaires : enseignants surnuméraires, enseignants spécialisés, UPE2A, enseignant référent, AESH, Rased, CMP, orthophonistes, médecin scolaire, Atsem et le remplacement de tous ces personnels pour que nos élèves puissent apprendre ensemble dans les meilleures conditions et avec toutes les aides nécessaires tout au long de leur scolarité », explique le communiqué lu par les grévistes à l’issue de l’assemblée générale.

Et ces derniers d’ajouter : « Nous voulons arrêter de souffrir en faisant notre travail. Nous voulons un service public d’éducation de qualité pour toutes et tous ! » Au sein des équipes éducatives présentes, le constat, aussi sombre que pessimiste, est quasi unanime. Au vu des situations vécues, « on peut dire clairement que le service public ne fonctionne plus », s’insurge ainsi Valérie Favier, enseignante et déléguée FSU à l’école des Genêts.
« À la Villeneuve, on a aujourd’hui des enfants qui dorment dehors, qui ont faim, qui sont mal vêtus, qui sont dans une précarité sans nom. »
Valérie Favier (FSU), enseignante à l’école des Genêts
« On a des gamins qui sont victimes d’une misère sociale hallucinante, qui n’ont plus accès aux soins les plus élémentaires ni aux besoins primaires », poursuit-elle. À la Villeneuve, par exemple, « on a aujourd’hui des enfants qui dorment dehors, qui ont faim, qui sont mal vêtus, qui sont dans une précarité sans nom », observe Valérie Favier. Quant au personnel éducatif, celui-ci est « le réceptacle de tout cela », estime-t-elle.
Malheureusement, les alertes ont beau se multiplier, « tout le monde a démissionné », s’indigne l’enseignante, fustigeant l’État, le Département, qui a « complètement échoué sur la protection de l’enfance », ou encore l’aide sociale à l’enfance (Ase). En étant ainsi « parasités par plein de problèmes qu’on ne devrait pas avoir à leur âge », ces élèves sont « empêchés d’apprendre », déplore la représentante FSU. « Et nous, on est empêchés d’enseigner ! »
« On aimerait que nos enfants aient les mêmes chances »
Le désappointement des profs est largement partagé par les parents d’élèves, à l’instar de Julien et Samira, dont les enfants respectifs sont scolarisés à l’école Jean-Racine, dans le quartier Teisseire. Un établissement qui, selon le premier nommé, « mériterait d’avoir plus de moyens pour donner une éducation de qualité et améliorer les conditions d’accueil ». Samira abonde, réclamant « moins d’élèves dans les classes et plus de moyens humains. Une AESH pour cinq-six élèves, ce n’est pas possible », affirme-t-elle, décrivant « une équipe éducative un peu abandonnée ».

Samira assure pourtant ne pas demander la lune : « On aimerait que nos enfants aient les mêmes chances que les autres. » Les parents et enseignants de l’école Jean-Racine sont d’autant plus frustrés que celle-ci a perdu le statut de Rep (réseau d’éducation prioritaire) à la suite de son rattachement au collège des Saules. Et ce, bien que « le quartier concentre des difficultés sociales », souligne Julien. Résultat des courses, l’école ne bénéficie pas — tout comme Malherbe, Anatole-France, Libération et Simone-Lagrange — des avantages afférents. D’où la revendication des manifestants, qui demandent leur classement en éducation prioritaire.
En Isère, 650 à 700 enfants en situation de handicap sans solution
Parmi les autres enjeux de cette mobilisation, l’un des points majeurs concernait l’accueil des enfants en situation de handicap. Alors que l’année 2025 marque les 20 ans de la loi « handicap » et que l’État promeut l’école inclusive, la question doit encore affronter de multiples écueils. L’anniversaire précité fait d’ailleurs rire jaune Luis Beltran-Lopez, conseiller municipal délégué au handicap, présent au rassemblement. « À Grenoble, on a souvent des reconnaissances disant qu’on est la ville la plus accessible de France. On n’est pas la plus accessible, on est la moins pire des villes », ironise-t-il.
Aujourd’hui, constate l’élu grenoblois, « on a à la fois un manque de moyens sur l’école inclusive (AESH ou autre) et un manque de places dans les IME (instituts médico-éducatifs). Il faut réussir à offrir aux familles un choix qu’elles n’ont absolument pas », regrette-t-il. Les chiffres récents sont en effet édifiants. « On parle de 650 à 700 enfants en situation de handicap sans solution, dans le département de l’Isère », indique Luis Beltran-Lopez. Des élèves qui devraient tous avoir accès, selon la loi, à une prise en charge spécifique, mais s’en retrouvent privés, faute de personnel ou moyens suffisants.

Devant un tel tableau, Valérie Favier s’étonne quant à elle du manque de considération à l’égard des AESH : « C’est devenu le deuxième métier de l’Éducation nationale, l’un des plus précaires de notre société — donc l’un des plus féminisés — alors qu’en termes d’utilité sociale, c’est l’un des premiers. » Et l’enseignante de conclure en pointant cette incongruité « scandaleuse » : « Il y a certains pays qui ont fait le choix de confier les gamins les plus fragiles aux personnels les mieux payés et les plus formés… En France, on a fait le contraire : on les confie aux moins payés et moins formés ! »