Renouvellement urbain des Villeneuve de Grenoble et d’Échirolles
Par Manuel Pavard
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La Villeneuve de Grenoble fait l’objet, comme celle d’Échirolles, d’un vaste projet de renouvellement urbain. Parmi ses objectifs, redonner de l’attractivité au quartier, notamment en rouvrant des commerces de proximité ayant peu à peu disparu ces dernières années, au grand dam des habitants. Illustration avec le retour d’une boulangerie, place du marché.

Le 24 janvier, une nouvelle fusillade près du point de deal de l’Arlequin a fait deux blessés. Elle s’ajoute à la longue liste des règlements de comptes ayant émaillé l’agglomération grenobloise depuis de longs mois. Des faits venant ternir encore un peu plus l’image de la Villeneuve, ex-cité modèle et utopique sortie de terre il y a un demi-siècle. Pourtant, de nombreux habitants refusent que leur quartier soit associé aux violences et au narcotrafic, préférant insister sur les signaux positifs.
C’est le cas des membres des unions de quartier Villeneuve 1 et Géants-Baladins, qui ont fêté, le 4 janvier, le retour d’une boulangerie sur la place du marché, en offrant galettes maison et jus de pomme bio aux visiteurs. L’ouverture, peu avant Noël, de la Mie de l’Arlequin, s’inscrit dans l’ambitieux programme de renouvellement urbain des Villeneuves (de Grenoble et d’Échirolles) piloté par la Métropole, avec le soutien des deux mairies.
« Redynamiser les commerces de proximité » figure en effet parmi les huit axes de développement du projet, précise la Métropole, qui a construit et aménagé le local, restant propriétaire des murs. Originaire du quartier, le boulanger, Éric Vacavant, a alors sauté sur l’occasion. Ceci pour « montrer qu’on peut mener à bien un tel projet même dans un quartier sensible ».
Aujourd’hui, les habitants de la Villeneuve peuvent ainsi de nouveau acheter pain frais et viennoiseries, sept jours sur sept. Une habitude qu’ils avaient perdue depuis la fermeture de l’ancienne boulangerie, en décembre 2021. « Vous vous rendez compte, un quartier de 12 000 habitants sans boulangerie pendant trois ans », s’exclame Alain Manac’h, président de l’association Villeneuve debout et militant de l’éducation populaire.
Durant ces trois années, « pour trouver du pain, il fallait aller jusqu’à Vigny ou Malherbe, ou alors en supermarché, à Auchan ou à Grand’Place », explique Asma, cliente de la boulangerie. « Dans le quartier, il y a pas mal de personnes âgées ou de gens qui ont des problèmes de santé. Pour eux, c’était vraiment compliqué », ajoute l’habitante.
Des commerces créant du lien social
De fait, la population a vu l’ensemble des commerces mettre la clé sous la porte, les uns après les autres, au fil des ans. La faute au climat de violence lié au trafic de stupéfiants, ainsi qu’à la concurrence des grandes enseignes situées en périphérie. « Pourtant, on devrait trouver tout ce qu’il faut pour bien vivre au pied de chez soi », estime Alain Manac’h.
Figure emblématique de la Villeneuve, celui-ci se souvient d’avoir connu « avant une dizaine de commerces dans le quartier. Ils ont tenu à peu près jusqu’en 2001–2002, après ça a commencé à plonger. » Une désertification commerciale qui s’est encore accélérée par la suite. « Sur la place des Géants, c’est infernal, il n’y a plus aucun commerce ! Juste un petit bistrot qui sert du café », déplore le militant.
Alain Manac’h souligne pourtant le rôle de ces commerces de proximité, créateurs de lien social : « La boulangerie, c’est un lieu de convivialité. Avant, il y avait une boucherie-épicerie, de l’autre côté de la place des Géants : c’est un endroit où tout le monde venait. Et quand la boucherie a fermé, il y a un an, le pharmacien en face nous disait qu’il avait perdu 20 % de son chiffre d’affaires. » Une pharmacie qui a d’ailleurs baissé le rideau à son tour, en août dernier.
Un renversement de tendance est-il possible ? Les habitants espèrent que la réouverture de la boulangerie impulsera un nouvel élan. C’est aussi l’ambition du programme de renouvellement urbain. Sur la place du marché, une épicerie devrait ainsi voir le jour également, à côté de la boulangerie. Un appel à candidatures, clos fin octobre, a été lancé. « Plusieurs propositions ont été reçues, le projet devrait donc se concrétiser très prochainement », annonce la Métropole, qui a financé le local.
Citons en outre l’installation du tiers-lieu La Machinerie au rez-de-chaussée du parking silo de l’Arlequin, la création d’un pôle santé dans le prolongement de la clinique du Mail… Sans oublier, cette fois à la Villeneuve d’Échirolles, l’implantation de plusieurs commerces de proximité sur l’avenue des États-Généraux.
Reste un écueil : la cohabitation avec les dealers voisins. « C’est un peu compliqué », avoue un résident anonymement. Éric Vacavant, lui, a « beaucoup discuté avec les habitants, notamment les jeunes, pour faire connaître et accepter [son] projet ». Le boulanger entend pérenniser la Mie de l’Arlequin, grâce aux quatre salariés et apprentis – tous habitants du quartier – qu’il a lui-même recrutés : « Mon objectif, c’est de transmettre mon savoir aux employés pour qu’ils reprennent la boulangerie quand je partirai à la retraite. »

Un futur écoquartier populaire
Le projet urbain des Villeneuve de Grenoble et d’Échirolles, évalué à 376 millions d’euros, vise à créer le premier écoquartier populaire.
C’est un investissement pharaonique, à l’échelle de l’ambition du projet. Au total, ce sont 376 millions d’euros qui sont injectés dans le programme de rénovation des deux Villeneuve. Avec 257 millions d’euros pour les quartiers de l’Arlequin, des Géants et du Village olympique à Grenoble, et 119 millions pour les Essarts et Surieux à Échirolles.
Un projet partenarial, porté par de nombreux acteurs publics et privés. Piloté par la métropole – qui détient la compétence du renouvellement urbain – en lien avec les villes de Grenoble et d’Échirolles, celui-ci est aussi soutenu par l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru), le Feder (fonds européen), la Caisse des dépôts et consignations ou encore les bailleurs sociaux.
Un programme en huit axes
Quant aux habitants, ceux-ci sont représentés via les conseils citoyens « Politique de la ville ». Lesquels sont membres du comité de pilotage bi-annuel et peuvent à ce titre formuler des avis ou relayer les questionnements des habitants auprès des institutions.
Huit axes majeurs ont été définis : habitat — le plus gros poste d’investissement (70%) -, aménagement urbain, équipements publics, activité économique, proximité, emploi, éducation et innovation. L’objectif ? Faire des Villeneuve « le premier écoquartier populaire », via le label environnemental ÉcoQuartier.
Pour cela, le projet doit tenir ses engagements dans quatre domaines : la dimension participative, l’aménagement durable du quartier, l’attractivité du territoire et l’adaptation au changement climatique. La deuxième des quatre étapes de la labellisation a été validée en 2021.
Lac baignable
Le collectif du lac, qui milite contre le projet de lac baignable de la Villeneuve porté par la ville de Grenoble, a déposé son propre contre-projet, dans le cadre du budget participatif. Les soixante-dix idées proposées seront présentées par leurs promoteurs lors du forum des idées, le 15 février, à la mairie. Une première sélection sera alors effectuée pour retenir trente premiers projets, qui feront l’objet d’études techniques, juridiques et économiques, avant le vote final, prévu en juin.
376
millions d’euros
sont investis par l’ensemble des acteurs pour transformer les Villeneuve de Grenoble et d’Échirolles.
Enquête publique
Le projet de réaménagement du secteur Arlequin, avec le parc Jean-Verlhac, est entré dans une nouvelle étape début 2025, avec la tenue d’une enquête publique, qui s’est achevée le 6 février. Opposé au futur lac baignable (au cœur de ce programme), le collectif du lac espérait un avis défavorable conduisant à stopper le projet.
2500
logements sociaux
seront réhabilités dans le cadre du projet urbain, qui prévoit par ailleurs la résidentialisation de près de sept cents logements sociaux. Toujours dans le parc social, 466 logements doivent être démolis. Ce qui sera compensé par la reconstruction de 466 logements sociaux neufs sur d’autres secteurs de la métropole.
GrandAlpe
Les Villeneuve de Grenoble et d’Échirolles font aujourd’hui partie de GrandAlpe, projet d’aménagement et de rénovation majeur visant à métamorphoser un secteur de quatre cents hectares au sud de l’agglomération, entre Grenoble, Échirolles et Eybens.

À la Villeneuve, habitants et pompiers unis contre les incendies
Devant la hausse des incendies à la Villeneuve, des associations du quartier collaborent avec les pompiers, afin de former et informer la population à la prévention des risques. Une rencontre avec les habitants avait lieu à cet effet en janvier, au Patio.
Réunis au café associatif Le Barathym, au Patio, le 8 janvier, des habitants et surtout habitantes de la Villeneuve écoutent des sapeurs-pompiers leur prodiguer les bons conseils et réflexes en cas d’incendie. Ce café-rencontre s’inscrit dans le partenariat engagé entre l’association d’habitants du 30–40 et les pompiers de Saint-Martin‑d’Hères, avec le soutien du Sdis, de la ville de Grenoble, du bailleur social Actis.
Le projet prend sa source en 2006. « Il y avait énormément d’incendies à la Villeneuve », se souvient Ariane Béranger, présidente de l’association du 30–40. Des sinistres accidentels mais aussi volontaires, « le feu étant un peu une arme de guerre, pour brûler des voitures ou des poubelles », ajoute-t-elle. Des collectifs du quartier ont alors commencé à travailler avec le lieutenant de sapeurs-pompiers Frédéric Bologna, qui a « créé une association pour sensibiliser et faire de la prévention auprès des habitants ». Car il était « affolé par les mauvais comportements à l’origine de drames ».
L’élément déclencheur surviendra ensuite en 2010, d’abord avec les émeutes de la Villeneuve consécutives au braquage du casino d’Uriage, puis la blessure d’un pompier en intervention pour une voiture brûlée. Ce qui a impulsé la tournée solidaire des sapeurs-pompiers. « Trois associations de l’Arlequin se regroupent pour proposer aux pompiers de faire la tournée des calendriers avec eux, car ils hésitaient un peu à venir dans le quartier », raconte Ariane Béranger. « Depuis, c’est devenu un rite tous les ans. »
Avec les associations, le rite de la tournée des calendriers
La collaboration s’est poursuivie, notamment avec la tenue d’ateliers. Avant l’autre « grande avancée, l’arrivée du nouveau chef de la caserne de Saint-Martin‑d’Hères » (compétente territorialement), le commandant Thomas Chérèque, en juin 2024. Celui-ci a voulu, « relancer des actions qui s’étaient arrêtées, en organisant des évènements annuels pour nous rapprocher des habitants », indique-t-il.
Exemple : les pompiers « forment des habitants qui feront relais des messages de prévention auprès des résidents de leur montée d’immeuble, de la copropriété, ou dans leurs échanges avec les syndics », explique Thomas Chérèque. « L’objectif, c’est de limiter l’apparition de sinistres : l’utilisation d’appareils de chauffage, de multiprises, la charge de trottinette électrique… Et aussi comment réagir en cas d’incendie : l’impact du stationnement anarchique qui nous rend l’accès difficile, refermer les portes pour éviter la propagation des fumées. »
Ce partenariat vise enfin à combattre les préjugés parfois tenaces que peuvent avoir les pompiers envers les quartiers populaires. « Des lieux où les conditions d’intervention sont parfois difficiles… Mais où l’immense majorité des habitants nous accueillent bien. »