Apprentissage, pourquoi ils s’y retrouvent
Par Simone Torres
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Apprenti en menuiserie, à 29 ans, diplôme d’ingénieur en poche. Apprentie à 18 ans, en peinture. Deux parcours, deux motivations distinctes mais une même envie : l’acquisition d’un savoir faire reconnu et la recherche d’une formation de qualité qu’ils ont trouvée au CFA d’Echirolles, affilié aux Compagnons du tour de France.
Lorsqu’on dit « apprentissage », on a tous l’impression qu’on sait de quoi on parle. Etudier et travailler en même temps. Un plus, pour trouver un emploi plus tard. Si le mot cache plus d’enjeux qu’il n’y paraît, il recouvre aussi des vies et des destins très éloignés. Il y a différents centres de formation des apprentis. La notoriété de certains est établie : celle des Compagnons du tour de France, par exemple. Qui dispose d’une antenne à Echirolles. Là se rencontrent des parcours diamétralement opposés mais qui se rejoignent sur un même désir : acquérir un précieux savoir-faire et construire une vie qui correspond à ses attentes.
Pour Florian Berlaud, 29 ans, en brevet professionnel menuiserie, les choses ont pris du temps : « à l’époque je ne me voyais pas apprenti, il fallait avoir son bac, et un bac S si possible. Puis, ça a été la prépa et l’école d’ingénieur ». Il travaille ensuite quatre ans comme ingénieur dans la conception mécanique. « S’il y a des choses intéressantes, d’autres le sont beaucoup moins. C’est très procédurier, chez Schneider electric par exemple, et j’avais l’impression être un pion. Et j’en avais assez, je n’avais plus envie d’être dans un bureau, j’avais envie d’être dehors. »
Parcours plus direct en revanche pour Emilie Ducarre, 18 ans, en brevet professionnel peinture : « depuis tout petite j’aide mes parents à faire des travaux chez eux ». Elle a touché à tout : maçonnerie, électricité, plomberie… Comme elle a toujours eu envie de faire un métier manuel, elle s’est décidée pour le bâtiment. Pas forcément la peinture. « Au collège, il fallait faire des stages. J’ai demandé à des entreprises de peinture et on m’a prise. J’ai bien aimé alors je suis partie là-dedans. »
Florian, avec son bac+5 n’est pas représentatif de l’apprenti type des statistiques. Vu son âge, il n’a pas vraiment eu le choix du lieu de son apprentissage. Il aurait pu passer par le Greta mais il a pu s’inscrire chez les compagnons, à sa grande satisfaction : « ici, il y a une rigueur appréciable dans le travail, qui permet d’acquérir une formation sérieuse. Bien sûr, il y a une ou deux matières auxquelles je suis obligé d’assister alors qu’elles sont déjà acquises, mais un rappel est toujours utile, et la formation est intéressante ».
A Schneider electric, j’avais l’impression d’être un pion
C’est un professeur de son collège, qui parle à Émilie des compagnons. Elle a voulu les rejoindre pour passer son CAP, mais impossible de trouver un patron, malgré quarante-cinq demandes. La formation en apprentissage étant de ce fait impossible, elle a passé son CAP peinture en lycée professionnel. « C’était très basique et je voulais un diplôme de qualité », dit-elle. Son CAP en poche, elle a pu rejoindre les compagnons pour son brevet professionnel. Avec leur aide, elle a déniché un patron en postulant dans trois départements. Son apprentissage se passe bien, elle est plus motivée ici qu’au lycée. « Parfois être une fille pose problème. Le patron pense qu’elles ne peuvent pas porter la même charge que les hommes, qu’il faut prévoir des toilettes sur les chantiers… du coup c’est moi qui me retient le plus longtemps. » Mais ça lui semble à la marge ; l’important pour elle, c’est de faire ce qu’elle aime.
Leurs espoirs pour l’avenir sont bien sûr distincts. Florian, après son CAP en un an l’an dernier, prépare un BP de menuisier fabricant. Il compte retourner ensuite dans son entreprise, où, vu son âge, il est salarié en CDI, avec un contrat particulier d’alternance. Il travaille avec un artisan et son projet est d’avoir sa propre entreprise, même si ça signifie des contraintes fortes, en temps par exemple.
Quant à Émilie, pour l’instant elle se consacre à l’apprentissage et ne pense pas à l’avenir. Elle verra au fur et à mesure, après le BP. Elle voudrait peut-être faire une mention complémentaire en deux ans et plus tard devenir auto-entrepreneur et monter sa propre entreprise. Elle a peint un décor en début d’année, elle a aimé faire un travail plus artistique et elle a envie d’approfondir.
Tous deux ont trouvé dans cet apprentissage ce qu’ils cherchaient : une formation de grande qualité qui correspondait à un vrai désir d’acquérir une bonne base technique, le tout dans une ambiance chaleureuse. Plus la satisfaction de faire de A à Z et une rigueur parfois difficile mais vécue comme importante. Des expériences qui les confortent dans leurs choix et font une reconversion réussie et très satisfaisante et une vie d’adulte libre et autonome.
La bataille de la certification des qualifications
Cet apprentissage au cœur de la tourmente des nouvelles « réformes » gouvernementales, fait partie d’un tout.
La casse de notre système social passe par trois points essentiels : Code du travail, formation, retraite et sécurité sociale. Dans le document préparatoire à la réforme, le mot « compétences » revient sans arrêt. Loin d’un effet de style, c’est une idéologie à l’œuvre. En passant des diplômes aux certificats de qualification professionnelle, on généralise des périodes courtes d’acquisition de blocs de compétences sans reconnaître de qualification.
Le salaire, basé sur des diplômes, assure une égalité territoriale sociale. Demain, certifiées par branches professionnelles et régulées par le marché, les compétences ne seront valables que dans l’entreprise. Le salaire, lui aussi, pourra ainsi être fixé par l’entreprise.
L’objectif de l’apprentissage ne sera plus d’apprendre un métier, de découvrir le monde du travail et de permettre l’émancipation du futur travailleur mais uniquement de répondre aux besoins des secteurs de l’économie qui manquent de main d’œuvre…
La fin des combats de cannes
La formation, l’apprentissage, les compagnons… certains se souviennent peut-être du feuilleton de l’ORTF, Ardéchois cœur fidèle. Un feuilleton qui se situait à l’époque de la Restauration et qui racontait la répression des républicains par les royalistes, les mouvements ouvriers. Les affrontements politiques étaient réglés par de spectaculaires combats de cannes.
De ce début du XIXe siècle, il est resté chez les compagnons… l’interdiction de parler politique au sein de l’association. Et si rien n’empêche un membre d’avoir ses propres opinions, il les gardera pour lui ou sera gentiment recadré par ses camarades.
Fini les combats de cannes…
Compagnons d’hier et d’aujourd’hui
Si, aujourd’hui encore, on peut avoir des a priori sur les compagnons : secte, rituels ésotériques… la réalité c’est que c’est plutôt une association fraternelle et bienveillante, où l’entraide et l’humanité ont encore un sens très fort. Certes, il y a des chants, des traditions, des arrosages, des accompagnements symboliques, mais ce ne sont que des rites conviviaux, destinés à créer un lien fort.
Pas si paritaire que ça
Sur les 32 milliards consacrés à la formation professionnelle et à l’apprentissage chaque année, seuls 6,75 milliards d’euros seront gérés paritairement par les organisations syndicales et patronales. Et cela inclut les rémunérations versées pendant la formation.
420000
apprentis en France en juin 2017.
Chiffre en hausse de 25 % depuis quatre ans. Une reprise de l’activité des artisans serait à l’origine de ce redémarrage. Selon le ministère du Travail, 70 % des apprentis trouvent un emploi sept mois après la fin de leur contrat.
Des régions aux CFA
La taxe d’apprentissage versée aux régions à 51 % sera remplacée par une « contribution alternance » équivalente à 0,85 % de la masse salariale des entreprises et sera redistribuée directement aux CFA en fonction de nombre de contrats signés. Il y a 995 Centres de Formation des Apprentis en France, répartis sur 3 057 sites de formation.
374,61
euros
c’est le salaire d’un apprenti de moins de 18 ans en première année. Il atteindra au maximum 794,18 euros en troisième année. Au-delà de 21 ans ce sera 794,18 euros et 1168,80 euros en troisième année.
Retrouver la fierté du savoir-faire
La CGT propose la création d’un service public de la formation professionnelle. Pour répondre à la diversité des besoins.
« Il ne faut pas opposer apprentissage et lycée professionnel ! », explique Jean-François Michel, secrétaire CGT éducation pour l’Isère. « Les deux sont nécessaires. On ne détruit les lycées professionnels que pour mieux mettre les apprentis en adéquation avec les besoins de l’emploi local. On prépare des lycées professionnels où des jeunes sous contrat d’apprentissage et des jeunes dans le cursus scolaire, seront mis en opposition. L’apprenti rentrera à n’importe quel moment de l’année ; l’enseignement pédagogique devra donc s’adapter à lui et forcément au détriment des élèves des lycées professionnels. »
Sans oublier l’augmentation programmée du temps de travail des apprentis qui, pour certains patrons, sera un moyen d’avoir des salariés à faible coût, ni le fait qu’en cas de rupture de contrat, on ne passera plus devant les prud’hommes. On peut légitimement se demander si ce ne sont pas de futurs travailleurs corvéables à merci qu’on veut fabriquer et qui n’auront que la compétence que voudra leur reconnaitre l’employeur. L’apprentissage pourrait devenir un nouvel esclavage. Alors, quelle solution ?
« Elle ne peut passer que par un plan ambitieux. A la CGT nous pensons que la création d’un service public de la formation professionnelle continue permettrait de répondre aux besoins économiques et sociaux, tout en prenant en compte le développement des territoires et les besoins différents des personnes. Pour une égalité d’accès à la formation tout au long de la vie. Et en relevant le taux de contribution légale des entreprises au financement de la formation professionnelle et en promouvant la mutualisation entre grandes et petites entreprises, tous pourraient se former. »
A 14 ans ou après le bac
« Avec 250 jeunes à l’apprentissage, une des premières difficultés et un rôle essentiel des bénévoles ici, consiste à rassurer les familles et les jeunes », explique Jean-Marie Mazière, le directeur de la maison des compagnons d’Échirolles.
« Ils arrivent autour de 14/16 ans ou après un bac et plus, pour effectuer des CAP, des BP. Aujourd’hui la répartition des effectifs est de 50/50. L’objectif du bac est poussé par les parents, ensuite les jeunes disent ‘‘maintenant, je fais ce que je veux’’. Les parcours sont aménagés en fonction de leur expérience ; plus de pratique pour les plus âgés qui ont des équivalences pour les matières générales. Ce sont des formations longues de deux à quatre ans minimum, avec une évaluation toutes les semaines. Un jeune de 14 ans n’a pas la maturité mais est plus capable d’apprendre le geste manuel. La passion fait la différence et est le moteur principal du choix des compagnons. Il y a des renoncements, compréhensibles, on cherche son chemin, mais plus de réussites quand même. On accueille des jeunes de tous milieux, c’est très équilibré et c’est une richesse mais c’est tellement naturel que ça n’est pas vraiment remarqué. »
« On trouvera toujours une solution »
Sébastien Dubin, est un ancien compagnon ébéniste qui a été formateur pendant une douzaine d’années avant de devenir responsable pédagogique des compagnons et apprentis. Pour lui l’apprentissage est mieux reconnu que le parcours formation continue en lycée professionnel. « Dans un lycée, le jeune va faire sa formation en fonction des places disponibles. Ici, même s’il n’y a plus de places, on trouvera une solution, on ouvrira un autre groupe, un demi-groupe… Tous les CFA ne font pas comme ça, mais ici oui. C’est pour ça que nos jeunes passent pour plus motivés que les autres : forcément, ils sont dans une filière qu’ils ont choisie ! De plus, on ne choisit pas notre public contrairement à ce qui est parfois dit et ça ne nous pose pas de problème. Quels que soient leur origine sociale ou leurs problèmes éventuels, ils sont bien chez nous parce qu’ils sont tous à égalité et c’est ce qui fonctionne le mieux. »