Quelles suites donner au mouvement ?

Par Luc Renaud

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Les gilets jaunes. Un mouvement sans responsables, sans unité, dont les revendications ne sont pas toujours communes. Un mouvement qui a pourtant réussi à remettre l’injustice fiscale au centre du débat. Tout comme le pouvoir d’achat. Qui pourrait s’en plaindre ? De cette mobilisation et de ses perspectives, Joao Ribeiro témoigne.

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Manifestation à l'appel de la CGT, de la FSU, de Solidaires et d'organisations de jeunesse en décembre 2018.


Connais­sez-vous le sto­ry tel­ling ? C’est une théo­rie de com­mu­ni­ca­tion poli­tique qui vise à inclure les élé­ments de lan­gages et les poli­tiques dans un récit. La mise en scène va per­mettre à chaque homme poli­tique de rem­plir un rôle, de deve­nir un per­son­nage. Tout est à la fois simple et hale­tant, au point que la poli­tique rem­place votre série pré­fé­rée sur Net­flix. Dans ce récit, la place la plus enviée est celle de nar­ra­teur, celui qui raconte l’histoire.

Macron est un expert de cette nou­velle com­mu­ni­ca­tion poli­tique, au point que depuis presque vingt-quatre mois, c’était lui le nar­ra­teur. Sou­ve­nez vous de la cam­pagne de 2017 : l’homme seul face à l’histoire, la fin des par­tis poli­tiques, le renou­veau, c’était lui ! Ce n’était pas Fillon. Lui, c’était le Canard enchaî­né qui racon­tait son his­toire. Depuis l’élection pré­si­den­tielle, Macron avait réus­si à ne pas quit­ter cette pos­ture, mal­gré la hausse de la CSG, les hôpi­taux qui craquent, la mobi­li­sa­tion des che­mi­nots. La situa­tion a chan­gé. Macron ne raconte plus l’histoire : il écoute. Et faute de struc­tu­ra­tion, ce ne sont pas non plus les gilets jaunes. Il n’y a plus de nar­ra­teur, ce qui brouille la lec­ture de la vie poli­tique. Nous avons donc déci­dé de don­ner la parole à un gilet jaune, Joao Ribei­ro, impli­qué dans le mou­ve­ment.

Joao Ribei­ro, l’un des acteurs du mou­ve­ment des gilets jaunes.

La situa­tion qui a conduit à l’explosion de la colère, nous dit Joao, est le ras le bol de cette classe poli­tique sur­payée (regar­dez les affaires, les emplois fic­tifs !) qui ne fait rien pour le plus grand nombre. Depuis des mois, le ton hau­tain et mépri­sant de Macron va à l’encontre du besoin de recon­nais­sance que nous avons tous : « il y a un écœu­re­ment ». La nou­velle taxe sur le gazole n’a été qu’un déclen­cheur : sur­taxer la voi­ture ne sert qu’à taper sur les pauvres sans pour autant résoudre le pro­blème du réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Pen­dant ce temps, 1 % de mil­liar­daires se gavent alors que des gens dorment dehors et meurent de faim. C’est insup­por­table, et il faut chan­ger de socié­té.

Des solu­tions existent, et Joao a des pro­po­si­tions : la pre­mière prio­ri­té est d’apporter de la jus­tice fis­cale, en réta­blis­sant l’Impôt sur les grandes for­tunes. Ensuite, il faut sen­tir que nos impôts servent à tout le monde : remettre de l’argent dans les hôpi­taux (où il y a de la vraie souf­france au tra­vail, des burn out, des sui­cides), faire de l’écologie véri­table, en remet­tant les mar­chan­dises sur des rails plu­tôt que de consta­ter une pro­li­fé­ra­tion des camions sur les routes. Empê­cher les entre­prises de par­tir à l’étranger, pour créer de l’emploi et qu’un pro­duit ne fasse pas deux fois le tour de la pla­nète avant de ter­mi­ner dans notre assiette.

« Ce que les gilets jaunes arrivent à faire mieux que l’opposition politique »

Et sur­tout, vivre avec 1000 euros n’est pas pos­sible : il faut aug­men­ter les salaires. Com­bien de sala­riés se tuent à la tâche pour per­mettre à un Car­los Gohn de gagner autant ? Ces reven­di­ca­tions ne sont pas indi­vi­dua­listes : « je suis dans la rue, mais pas pour moi. C’est pour tout le monde qu’on se bat, et sur­tout pour nos enfants, pour leur lais­ser un ave­nir », nous dit Joao.

Ces mesures doivent être por­tées col­lec­ti­ve­ment. Redon­ner la parole au plus grand nombre passe aus­si par le réfé­ren­dum d’initiative citoyenne : « C’est un véri­table outil pour que les poli­tiques publiques ne soient pas le fait de quelques élus, mais de nous, les 99 %. »

Pour se faire entendre, il faut désta­bi­li­ser le gou­ver­ne­ment, « ce que les gilets jaunes arrivent plus à faire que l’opposition poli­tique », mar­tèle Joao. Les pre­mière annonces de Macron, qua­li­fiées de « fumis­te­ries » par Joao, prouvent que la peur a chan­gé de camp. Mais ces annonces ne changent rien : « Tant qu’il ne remet pas en place l’ISF, ça veut dire qu’il ne com­prend pas nos reven­di­ca­tions. »

Sur les pers­pec­tives de ce mou­ve­ment, Joao ne mâche pas ses mots : « Il faut que les gilets jaunes s’investissent dans la vie poli­tique en entrant dans les par­tis de gauche comme le PC, car les reven­di­ca­tions des gilets jaunes sont de gauche ! » Des vio­lences, Joao n’en veut pas : ça coupe le mou­ve­ment d’une par­tie de la popu­la­tion, or il faut que le mou­ve­ment s’amplifie. Les infir­mières, les avo­cats, tout le monde com­mence à se mobi­li­ser. Il est pos­sible de sou­te­nir même si on ne peut pas être là tous les jours : c’est le nombre qui fera plier Macron.

Parole issue d’une lame de fond qui tra­verse et struc­ture la socié­té d’aujourd’hui. Et de façon durable.

Simon Lahure

Impôts, taxes, pour quoi faire ? Pour finan­cer des dépenses col­lec­tives utiles à tous les citoyens. Et pas autre chose.

Le problème n’est pas l’impôt, mais son usage

Le collectif pour la gratuité des transports organisait un débat « gilets jaunes », en décembre dernier.

Le col­lec­tif pour la gra­tui­té des trans­ports pro­pose que les trans­ports publics soient gra­tuits… et donc finan­cés par l’impôt. En pleine contra­dic­tion avec les reven­di­ca­tions des gilets jaunes ? Tel était le thème d’une soi­rée de débat orga­ni­sée à Fon­taine.

Un pre­mier constat. Pour tous, la colère est légi­time. Salaires blo­qués, pen­sions ampu­tées par la hausse de la CSG, APL en baisse… les divi­dendes et la fraude fis­cale se portent bien, mer­ci. Second constat. La hausse des taxes sur l’essence n’a rien à voir avec une quel­conque ambi­tion éco­lo­gique. « Les hausses des taxes sur les car­bu­rants servent à col­ma­ter le bud­get de l’Etat pour conti­nuer à enri­chir les action­naires par des sub­ven­tions et autres exo­né­ra­tions fis­cales. »

Colmater le budget de l’Etat pour financer les dividendes

Dès lors, quelles pro­po­si­tions ? Michel Szem­pruch, co-res­pon­sable du col­lec­tif, en fai­sait état en intro­dui­sant la soi­rée. Les taxes légi­times, pour lut­ter contre la pol­lu­tion, il en existe : sur le trans­port rou­tier ou aérien, aujourd’hui lar­ge­ment exo­né­ré, par exemple. Ou sur des entre­prises comme Total dont les béné­fices 2017 ont bon­di de 39 %.

Il rap­pe­lait la posi­tion du col­lec­tif : « non aux taxes injustes, oui à l’impôt équi­table, pro­gres­sif selon le reve­nu, qui finance les ser­vices publics de qua­li­té et de proxi­mi­té ». Avec des objec­tifs comme la gra­tui­té du trans­port dans l’agglomération gre­no­bloise et le déve­lop­pe­ment du che­min de fer, alors que 9 000 kms de lignes SNCF sont mena­cés de fer­me­ture.

Le débat a été dense avec la pré­sence de repré­sen­tants de Génération’s, de plu­sieurs élus de Fon­taine, d’un élu d’opposition de gauche de Gre­noble, et d’élus com­mu­nistes.

Edouard Schoene

L’impôt… pour les transports en commun

Per­mettre les dépla­ce­ments, et notam­ment les dépla­ce­ments domi­cile tra­vail, et lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique passe néces­sai­re­ment par le déve­lop­pe­ment des trans­ports en com­mun. Un choix aux anti­podes des déci­sions gou­ver­ne­men­tales : les cars Macron contre le rail, par exemple.

Et moins les trans­ports en com­mun sont acces­sibles et adap­tés aux besoins, plus le coût des car­bu­rants pèse dans le bud­get des familles. En cause éga­le­ment la dis­pa­ri­tion des ser­vices publics de proxi­mi­té, un autre choix des poli­tiques gou­ver­ne­men­tales.

Pouvoir d’achat

« Il faut résoudre les pro­blèmes sociaux ! Je suis ensei­gnant et des parents d’élèves me demandent des reports de paie­ment de chèques de 15 euros ! » Enten­du au cours du débat orga­ni­sé par le Comi­té Fon­taine rive gauche.

Gra­tui­té

Bru­no, du col­lec­tif, signa­lait que le groupe PCF à la métro a reçu les mili­tants du col­lec­tif et annon­cé le sou­tien à la gra­tui­té des trans­ports en com­mun et l’action pour obte­nir que la métro­pole com­mande une étude d’impact de la gra­tui­té des trans­ports dans l’agglomération.

Justice fiscale

« On ne peut pas deman­der des efforts aux citoyens sans en deman­der aux trans­por­teurs, camions, porte conte­neurs… », lan­çait un par­ti­ci­pant au débat. Sachant que le pre­mier des impôt est la TVA, payée par tous les citoyens indé­pen­dam­ment de leur reve­nu. D’où la reven­di­ca­tion expri­mée lors de ce débat d’une forte réduc­tion du taux de TVA sur les pro­duits de pre­mière néces­si­té. Car « ce n’est pas en taxant les pauvres que l’on va amé­lio­rer le réseau de trans­ports col­lec­tifs ».

Nico­las Benoit, secré­taire de l’union dépar­te­men­tale CGT de l’Isère.

Se rencontrer, débattre, discuter de l’intérêt de s’organiser, de se syndiquer

Mouvement social inédit, mouvement social que la CGT appelle à prolonger, dans les entreprises et les localités. Journée morte début février.


« Le mou­ve­ment des gilets jaunes, on ne va pas s’en plaindre. » Nico­las Benoit, secré­taire de l’Union dépar­te­men­tale CGT, n’y va pas par quatre che­mins. « Cela fait des mois que nous nous effor­çons de faire bou­ger les choses, alors… » Ce qui n’empêche nul­le­ment l’analyse. « Nous avons obser­vé avec satis­fac­tion une évo­lu­tion dans les prises de posi­tion : en faveur du réta­blis­se­ment de l’ISF, la jus­tice fis­cale, le pou­voir d’achat, la démo­cra­tie », note Nico­las Benoit.

Alors plus besoin de la CGT ? « C’est comme ça que le gou­ver­ne­ment et les médias pré­sentent les choses : c’est une escro­que­rie. » D’abord parce que ce mou­ve­ment n’est pas appa­ru par hasard. « Les mani­fes­ta­tions des retrai­tés à l’appel de la CGT –  de cette ampleur, c’est du jamais vu –- ont mis la CSG en débat. » De façon plus géné­rale, « la mobi­li­sa­tion se déve­loppe depuis des mois, même si nous vou­drions davan­tage ». Et puis les syn­di­ca­listes CGT ne sont pas absents du mou­ve­ment des gilets jaunes, et le syn­di­cat a lar­ge­ment pris sa part au mou­ve­ment, le 14 décembre entre autres.

« Ca ne veut pas dire que des ques­tions ne nous sont pas posées. » Celle-ci, notam­ment : « com­ment nous adres­ser à tous ceux que l’injustice révolte, qui n’y arrivent plus, à se ren­con­trer, à agir, à se ras­sem­bler pour chan­ger le rap­port de force aujourd’hui en faveur du capi­tal ? »

« Nos unions locales sont ouvertes pour rédiger des cahiers revendicatifs »

La CGT met ses pro­po­si­tions sur la table. L’augmentation du SMIC à 1800 euros, par exemple. « Quand on n’arrive pas à bou­cler les fins de mois, aug­men­ter le SMIC, c’est une néces­si­té. » Et l’augmentation des salaires est le bon moyen de finan­cer la Sécu­ri­té sociale, les retraites. La fis­ca­li­té, éga­le­ment : « Ce sont les action­naires qui pro­fitent de l’abandon de l’ISF, de la fraude fis­cale ou des cré­dits d’impôts, pas les sala­riés ou l’investissement indus­triel. Et sur­tout pas l’environnement quand on casse le rail et favo­rise le tout rou­tier ».

La CGT ne compte pas lâcher l’affaire. « Nous allons ren­con­trer ceux qui se sont mobi­li­sés, débattre des reven­di­ca­tions qui s’expriment, de nos pro­po­si­tions… nos unions locales sont ouvertes pour éta­blir des cahiers reven­di­ca­tifs, débattre aus­si de l’intérêt de s’organiser, de se syn­di­quer pour un mou­ve­ment qui s’inscrira dans la durée. » Débat qui va se pour­suivre dans les entre­prises. « Les aug­men­ta­tions de salaire, ça se gagne dans les boîtes, constate Nico­las Benoît, nous sommes bien pla­cés pour savoir que c’est dur, la pres­sion qu’exercent les direc­tions, mais nous savons aus­si que l’on gagne lorsqu’on est uni dans la grève. »

Ce mois de jan­vier sera celui d’une nou­velle mobi­li­sa­tion. Avec en point de mire l’organisation au niveau natio­nal d’une jour­née morte, de grève et de mani­fes­ta­tions, début février.

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