Les mineurs étrangers ont droit à l’enfance

Par Luc Renaud

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Les élus de gauche au conseil départemental ont enquêté sur l’accueil des mineurs non accompagnés. Elle relève de l’aide sociale à l’enfance, un service du département. D’où il ressort des choix politiques de la majorité de droite et un manque de moyens pour faire face aux besoins. Sylvie*, travailleuse sociale, nous fait part de son expérience.

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Mineurs non accompagnés ; des enfants en danger avant d’être des étrangers.

« Les jeunes qui arrivent ne sont pas les mêmes : il y a quelques années, on pou­vait prendre l’avion avec des faux papiers, aujourd’hui, les jeunes ont sou­vent tra­ver­sé la Libye, connu par­fois l’esclavage et la pros­ti­tu­tion ; leur par­cours d’immigration a duré des mois. » Syl­vie* est édu­ca­trice dans une asso­cia­tion qui gère notam­ment des foyers d’accueil pour les mineurs non accom­pa­gnés (MNA). Mineurs non accom­pa­gnés, c’est-à-dire étran­ger de moins de 18 ans arri­vé en France sans papiers.

La loi fran­çaise est claire : un mineur est un enfant avant d’être un étran­ger. Il a droit à une pro­tec­tion immé­diate, une « mise à l’abri » dans la langue admi­nis­tra­tive, tout comme n’importe quel mineur en dan­ger. Un peu plus com­pli­qué dans la réa­li­té. Le dépar­te­ment a la res­pon­sa­bi­li­té de la pro­tec­tion de l’enfance. Un coût bud­gé­taire que la majo­ri­té de droite élue en 2014 veut mini­mi­ser, dans le contexte d’une aug­men­ta­tion du nombre de MNA. Ce qui s’est notam­ment tra­duit par des dif­fi­cul­tés accrues à la recon­nais­sance du sta­tut de MNA : mineurs, c’est moins de 18 ans, et il n’existe pas de méthode fiable pour déter­mi­ner l’âge d’un ado­les­cent à quelques mois près. Contes­ta­tion, retard… et arrive la majo­ri­té syno­nyme de situa­tion illé­gale. Une autre mesure a mis le feu aux poudres dans le milieu asso­cia­tif : début 2018, le dépar­te­ment a inter­rom­pu le dis­po­si­tif « contrat jeune majeur » qui assure aux mineurs la conti­nui­té d’un sui­vi jusqu’à l’âge de 21 ans. Face à la levée de bou­clier et aux consé­quences de la mise à la rue de trop de jeunes, la situa­tion a évo­lué depuis.

La recon­nais­sance du sta­tut s’effectue désor­mais sous la res­pon­sa­bi­li­té d’un ser­vice dépar­te­men­tal. « Les jeunes doivent faire la queue jusqu’à ce qu’ils soient reçus, à huit par jour, c’est la limite, ça peut prendre du temps. » Et même si les contrats jeunes majeurs ont repris droit de cité, c’est tou­jours sous la menace des ser­vices de l’Etat, plus prompts que par le pas­sé à noti­fier des obli­ga­tions de quit­ter le ter­ri­toire. « Par exemple, si un jeune étran­ger deve­nu majeur pour­suit des études et télé­phone à sa famille dans son pays d’origine, il peut être expul­sé : il pour­rait être accueilli dans sa famille. »

Une prise en charge dont les moyens vont diminuer

Reste éga­le­ment le pro­blème du sui­vi édu­ca­tif des mineurs. « Lorsque qu’un ado de 15 ans arrive en France en souf­france post-trau­ma­tique après avoir vécu des mois d’horreur, le mettre hors de dan­ger implique par exemple un sui­vi psy­cho­lo­gique dont nous n’avons pas les moyens. » Le sui­vi médi­cal des MNA, plus géné­ra­le­ment, reste très insuf­fi­sant.

La ques­tion se pose encore des condi­tions d’accueil des enfants « mis à l’abri ». Plu­sieurs solu­tions sont uti­li­sées, la mise en famille d’hébergement – à ne pas confondre avec les familles d’accueil – ou l’hébergement et le sui­vi en foyers. Struc­tures où les mineurs sont accom­pa­gnés dans leurs démarches, sui­vis par des édu­ca­teurs, sco­la­ri­sés. « Les familles d’hébergement, c’est un toit, sans beau­coup plus, pré­cise Syl­vie, cer­taines en font un reve­nu tout en lais­sant les mineurs livrés à eux mêmes, au risque de voir cer­tains som­brer dans la délin­quance, n’ayant d’autre pers­pec­tive que celle du dea­ler du quar­tier. »

Dans les foyers gérés par des asso­cia­tions, les situa­tions peuvent être très dif­fé­rentes. « Dans cer­tains cas, le nombre d’éducateurs est insuf­fi­sant au regard du nombre d’enfants et le sui­vi ne peut pas être au niveau des besoins. » Car l’objectif devrait être de leur per­mettre, comme à tout mineur en dan­ger, de pou­voir se recons­truire, acqué­rir une for­ma­tion et se construire en adulte auto­nome. Un objec­tif qui paraît de plus en plus loin­tain pour les tra­vailleurs sociaux. « Ce qui se des­sine, c’est une dif­fé­rence de trai­te­ment entre les enfants, ceux qui arrivent de l’étranger et les autres », craint Syl­vie. L’accueil des MNA fait l’objet d’appels à pro­jet aux­quels doivent répondre les asso­cia­tions. Docu­ments qui pré­cisent que le prix jour­née de l’accueil devra être réduit, le tiers à peine du prix aujourd’hui pra­ti­qué dans les mai­sons de l’enfance. « Cela revient à déci­der main­te­nant que la prise en charge sera dimi­nuée », constate Syl­vie.

Réa­li­té dépar­te­men­tale qui n’empêche pas de poser la ques­tion au niveau natio­nal. L’Isère accueillait 1235 MNA en 2017 ; pour cer­tains dépar­te­ments, le chiffre est qua­si nul. « L’Etat a un rôle à jouer pour que les prises en charge soient iden­tiques, que les finan­ce­ments soient à la hau­teur des besoins. »

Car les MNA sont d’abord des enfants en souf­france.

  • La parole n’est pas libre chez les tra­vailleurs sociaux. Après des cri­tiques, des sanc­tions ont été pro­non­cées dans dif­fé­rents dépar­te­ments pour non res­pect de la confi­den­tia­li­té. Le pré­nom a été modi­fié.
Lors de la pré­sen­ta­tion à la presse des conclu­sions de la mis­sion sur la situa­tion des mineurs non accom­pa­gnés

Une mission, un rapport et trente-trois préconisations

Mise à l’abri, accès aux droits, éducation et passage à la majorité… le rapport analyse et propose. Tour d’horizon.


Trente-trois pré­co­ni­sa­tions, c’est ce que com­porte le rap­port rédi­gé par six élus de gauche au conseil dépar­te­men­tal. Une pré­oc­cu­pa­tion d’ensemble : il faut nouer un lien entre le dépar­te­ment, les asso­cia­tions et l’ensemble des struc­tures qui inter­viennent dans la prise en charge des mineurs non accom­pa­gnés. Car le dia­logue est aujourd’hui absent.

Les pro­po­si­tions reprennent tous les aspects du par­cours des jeunes migrants. Sur la recon­nais­sance de leur sta­tut, les élus demandent l’instauration de la col­lé­gia­li­té et de la plu­ri­dis­ci­pli­na­ri­té pour prendre des déci­sions justes.

Une fois la mino­ri­té consta­tée, c’est la ques­tion de l’accès aux droits qui est posée. Le rap­port s’intéresse à l’hébergement pour pré­co­ni­ser un état des lieux des moyens dis­po­nibles de l’aide sociale à l’enfance ain­si que des for­ma­tions pour les familles d’hébergement et un lien avec les asso­cia­tions pour s’assurer qu’aucun jeune n’est à la rue.

Des droits à prolonger après dix-huit ans

Les élus mettent l’accent sur le droit à la san­té, s’agissant de jeunes sou­vent trau­ma­ti­sés et souf­frant par­fois de patho­lo­gies non trai­tées. Les élus pro­posent d’améliorer l’accès à la cou­ver­ture san­té à laquelle ils ont droit.

Dans le domaine de l’éducation, les élus sug­gèrent une amé­lio­ra­tion de la prise en charge par l’Education natio­nale et l’approfondissement du par­te­na­riat avec les chambres consu­laires qui décrivent les jeunes migrants comme d’excellents appren­tis.

Enfin, le rap­port pré­co­nise une série de mesures à prendre lorsque le jeune mineur accède à la majo­ri­té et d’abord d’étendre le dis­po­si­tif de pro­jec­tion jusqu’à la fin des études ou au pre­mier emploi, dans le droit fil de déci­sions prises par le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif.

Leurs motivations

Si des mineurs étran­gers arrivent en France, « c’est d’abord pour des rai­sons éco­no­miques ; par­fois ce sont les familles qui les envoient gagner de l’argent », note Syl­vie, tra­vailleuse sociale. Des familles qui se sont par­fois endet­tées pour payer le pas­sage et qui font pres­sion pour que leurs enfants rem­boursent l’emprunt. Dif­fi­cile à vivre : la réa­li­té n’est pas celle ima­gi­née et les enfants sont bien inca­pables de répondre à cette attente, ce que la famille ne com­prend pas tou­jours. La pau­vre­té, l’espoir d’étudier pour une vie meilleure… tout cela contri­bue à l’émigration. La vie impos­sible en zone de guerre aus­si, évi­dem­ment. Les mineurs peuvent être des orphe­lins, sans famille aucune, et cela pas uni­que­ment en zones de guerre.

Codes culturels

Mettre à l’abri. « On ne peut pas se limi­ter à ça, indique Syl­vie, don­ner un ave­nir à ces mineurs, c’est leur don­ner accès à nos codes cultu­rels, leur per­mettre de ren­con­trer de jeunes Fran­çais ». A l’inverse, les MNA sont sou­vent regrou­pés, indé­pen­dam­ment des conflits qui peuvent exis­ter dans leurs pays. D’où le risque de ten­sions com­mu­nau­taires.

Moyens

« Les jeunes que nous accueillons aujourd’hui ont besoin de plus d’accompagnement, eu égard à ce qu’ils ont subi », note Syl­vie. C’est le contraire qui se pro­duit avec par exemple la réduc­tion du sui­vi médi­cal.

Syl­vette Rochas, pré­sident du groupe com­mu­nistes gauche unie-soli­daires.

Utiles, même dans l’opposition

Le rapport sur les mineurs non accompagnés en Isère a été rédigé par les trois groupes d’opposition de gauche au conseil départemental. Sylvette Rochas nous raconte l’aventure.


« Ce n’était pas pré­mé­di­té, le pré­sident nous a refu­sé cette mis­sion, et nous avons déci­dé de la faire quand même. » Syl­vette Rochas, pré­si­dente du groupe com­mu­niste au conseil dépar­te­men­tal, raconte com­ment les groupes com­mu­niste, socia­liste et ras­sem­ble­ment citoyen du conseil dépar­te­men­tal ont déci­dé de pro­duire un docu­ment de 149 pages qui dresse l’état des lieux, ana­lyse et pré­co­nise. L’indignation l’a empor­té : « on ne peut pas lais­ser s’installer une pro­tec­tion de l’enfance à deux vitesses et c’est bien ce qui est en train de s’installer », résume Syl­vette Rochas.

Le tra­vail a duré un an. Il a été réa­li­sé par six élus – Aman­dine Ger­main, Kha­dra Gaillard, Nadia Kirat, Ber­nard Michon, Syl­vette Rochas et Véro­nique Ver­mo­rel –, deux pour chaque groupe d’opposition. « Nous avons ren­con­tré des asso­cia­tions, des orga­ni­sa­tions syn­di­cales, des élus, des familles d’hébergement, des tra­vailleurs sociaux, raconte Syl­vette Rochas, qui note en même temps que les agents du dépar­te­ment ont eu inter­dic­tion de nous par­ler de même que cer­tains pro­fes­sion­nels qui tra­vaillent dans des asso­cia­tions liées au dépar­te­ment sur ce dos­sier. » Il n’en demeure pas moins que le rap­port ren­du public le 2 mars der­nier, est riche d’informations et de pers­pec­tives pour des choix poli­tiques res­pec­tueux des droits humains.

« La situa­tion actuelle n’est pas rai­son­nable, insiste Syl­vette Rochas, les condi­tions d’accueil de ces mineurs, qui sont des enfants et ont à ce titre des droits recon­nus par la loi, sont trop sou­vent inac­cep­tables et la rup­ture qui inter­vient à leur majo­ri­té n’est pas accep­table alors que notre socié­té vieillit et que ces jeunes qui arrivent ne demandent qu’à se for­mer et ont un rôle à jouer. »

Cette mis­sion, c’est aus­si une concep­tion du rôle des élus. « Nous ne sommes pas des élus de seconde zone parce que nous sommes dans l’opposition, sou­ligne Syl­vette Rochas, nous avons bien l’intention d’intervenir sur la réa­li­té, à par­tir de valeurs qui nous sont com­munes : c’est d’ailleurs ce qui a fait que nous avons pu tra­vailler ensemble, par delà nos diver­gences qui sont bien réelles, dans le res­pect des uns et des autres. »

Cette année de tra­vail a per­mis de nouer des liens. « Ce réseau de rela­tions consti­tué va nous per­mettre d’intervenir avec plus d’efficacité pour les défense des droits des mineurs », aver­tit Syl­vette Rochas.

Et main­te­nant ?

Outre le tra­vail en réseau qui va se pour­suivre entre élus, asso­cia­tions et tra­vailleurs sociaux, la rédac­tion de ce rap­port a don­né des idées. Pour­quoi ne pas inter­ve­nir avec une démarche com­pa­rable dans d’autres domaines ? Dans le domaine de l’action sociale et géné­rale et de la façon dont la majo­ri­té de droite gère l’attribution et le sui­vi du RSA, il y a sans doute des choses à faire.

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