Grenoble. Malgré le chaos politique, les fonctionnaires dans la rue
Par Laurent Jadeau
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C’est peu dire que les agents de la fonction publique n’ont que très modérément goûté l’état d’esprit la préparation du budget 2025 par le désormais ex-gouvernement. Gel des salaires, suppression de milliers de postes, non-versement de la GIPA (Garantie individuelle du pouvoir d’achat, dispositif qui garantit à chaque agent dont le salaire a stagné de ne pas perdre de pouvoir d’achat à cause de l’inflation), mais surtout, l’instauration de trois jours de carence, suivis d’une amputation de 10 % du salaire en cas d’arrêt maladie… Autant de mesures qui ne passent pas.
Une fois de plus, les agents publics se sont sentis être les boucs émissaires du déficit, alors même qu’une politique de cadeaux fiscaux au service des plus riches et des grandes entreprises a, depuis dix ans, largement contribué à alimenter la dette du pays. À cela s’est ajouté un discours outrancier et souvent mensonger de responsables politiques jouant clairement le dénigrement populiste des fonctionnaires pour flatter la frange la plus à droite de l’électorat.
À ce jeu, une prime spéciale était attribuée par les manifestants à Guillaume Kasbarian, le ministre maintenant démissionnaire de la Fonction publique, qui a passé les trois petits mois de son mandat à accuser « ses » agents d’abuser à qui mieux mieux des arrêts maladie. Pour étayer son propos, il n’a pas hésité, selon les organisations syndicales, à manipuler les chiffres pour inclure la période de la pandémie du Covid19 et tenter de montrer une explosion des arrêts maladie chez les fonctionnaires !
Forte mobilisation des enseignants
Répondant à la demande de l’ensemble des organisations syndicales représentatives de la fonction publique, Guillaume Kasbarian avait été contraint d’accorder une audience le 7 novembre dernier. L’abandon de la suppression des catégories C, B et A de la fonction publique, envisagée au titre du projet de loi dit « Guerini », avait été obtenu. Mais le compte n’y était pas, le ministre restant sur ses positions pour l’ensemble des autres mesures de recul social.
Dans le concert des provocations en tous genre, Nicolas Sarkozy s’est quant à lui autorisé à fustiger les professeurs des écoles. Lesquels ne travailleraient, selon l’ancien président de la République — par ailleurs condamné à plusieurs reprises — « que six mois par an et vingt-quatre heures par semaine ». Et ce dernier d’ajouter que la France « ne pouvait plus se permettre de payer un million de profs ». Cette nouvelle attaque tout en finesse a représenté la goutte d’eau faisant déborder le vase. Le projet de suppression de 4 000 postes ne passe non plus quand les classes surchargées sont légion.
Par conséquent, le cortège enseignant a été le plus fourni dans le défilé des quelque 5 000 manifestants grenoblois. Un responsable du syndicat FSU a ainsi livré les chiffres de la mobilisation dans le département. Dans le premier degré, ce sont 65 % des professeurs des écoles qui étaient en grève, avec 120 établissements entièrement fermés. Pour le second degré, il se référait aux chiffres nationaux qui donnaient environ 50 % de grévistes.
Dans cette profession, les trois jours de carence passent particulièrement mal. Les enseignants travaillent au quotidien au contact des enfants. Les risques d’infection, pendant les périodes d’épidémies hivernales, sont constants. Les professeurs amenés à renoncer aux arrêts de travail en cas de maladie légère seront à leur tour vecteurs de propagation. Sans compter les effets des reculs de l’âge de la retraite, qui fragilisent encore la santé des personnels.
Des revendications toujours sur la table
Dans le cortège, on pouvait aussi voir en nombre des agents des collectivités territoriales, menacés également par les restrictions annoncées sur les finances des communes et des départements. Des organisations étudiantes et de jeunesse étaient également présentes, tandis que des messages de solidarité avec les salariés de la chimie en lutte chez Vencorex et Arkema fleurissaient sur les banderoles.
À l’arrivée du cortège place de Verdun, les responsables des différentes organisations syndicales ont pris la parole, d’abord pour réaffirmer leur refus des mesures envisagées, et ce, quel que soit le futur gouvernement. Mais également pour égrener leurs revendications, toujours sur la table bien qu’ignorées jusque-là par le gouvernement : une revalorisation du salaire par le point d’indice, l’égalité salariale femmes-hommes, des créations d’emplois qui répondent aux besoins, dans l’école, la santé… et bien sûr, l’abrogation de la réforme des retraites.
Tous les intervenants ont également insisté sur ce qu’était la raison d’être du service public. Soit la garantie pour tous les citoyens d’avoir une réponse égalitaire aux besoins essentiels dans tous les domaines. « La fonction publique est un outil de bien commun formidable, elle travaille pour l’intérêt général », scanda au micro une responsable du syndicat Solidaires.
La mobilisation d’aujourd’hui, avant celle prévue des cheminots, à défaut d’agir sur un gouvernement qui n’existe plus, met la pression sur son successeur. Celui-ci devra en effet tenir compte d’une fonction publique qui ne supporte plus de servir de punching-ball aux tenants du libéralisme et de l’austérité.