Valeo : l’électrification des véhicules se fera en Turquie
Par Didier Gosselin
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L’annonce, ce mercredi 27 novembre, a fait l’effet d’une douche froide ! Valeo prévoit en effet 868 suppressions d’emplois en France, dont 238 à Saint-Quentin-Fallavier. Un coup de semonce qui confirme l’analyse faite par les syndicats CAT-CGT-Sud, minoritaires sur le site nord-isérois. Ceux-ci ont, dès juillet 2024, organisé la riposte au projet de la direction — mouvement auquel FO et la CGC, majoritaires, n’ont pas pris part. « Valeo n’a aucune volonté de développer la production et choisit la délocalisation, donc la mise en concurrence des travailleurs, pour réduire les coûts et rentabiliser le capital », rappelle Pierre-Ange Carmona pour l’intersyndicale CAT-CGT-Sud.
De fait, le projet « Valeo Power », présenté au printemps 2024, consiste à créer une nouvelle division dédiée à la mobilité électrique. Dans ce cadre, pour les stratèges de Valeo, « le projet de fusion des activités système techniques et propulsion vise à fournir des solutions toujours mieux adaptées aux attentes du marché de l’électrification et à améliorer la compétitivité et la performance financière de Valeo ». La restructuration, avec licenciements et fermeture de sites, correspond effectivement en langage capitaliste à l’objectif d’amélioration de la compétitivité et de la performance financière.
Concrètement, pour le site de Saint-Quentin-Fallavier, le Plan de sauvegarde de l’emploi (sic) comprend 188 « départs contraints » en recherche et développement (R&D), et 36 « départs volontaires » en production. Seuls 70 postes seront ainsi conservés.
« Tout le monde va être viré »
« Tout le monde va être viré, y compris les ingénieurs », souligne Pierre-Ange Carmona. « Ils n’ont même plus la volonté de garder la R&D en France », ajoute-t-il, amer. « Pourtant, on a des projets. Le moteur hybride DMG (Drivetrain Motor Generator) a été mis au point par nos ingénieurs, mais c’est pour la Turquie, à Bursa, alors qu’il devait être développé ici, à Saint-Quentin-Fallavier ». La transparence n’étant pas le fort de la direction de Valeo, « on ne sait pas tout, mais pour nous, CAT-CGT-Sud, c’est sûr qu’ils vont délocaliser », craint le syndicaliste.
Là encore, l’intersyndicale voit juste puisque dans les perspectives stratégiques et financières 2022–2025 de Valeo, le plan « Move-up » vise à « tirer parti au maximum des quatre domaines dans lesquels Valeo dispose d’un leadership technologique et industriel pour compter parmi les grands gagnants » de cette transformation de l’industrie équipementière automobile. À savoir électrification, aides à la conduite, vie à bord et éclairages.
À partir de 2025, Valeo « entend profiter d’une décennie d’hyper croissance sur ces marchés ». Délocaliser, mettre en concurrence les travailleurs, produire à bas coût sont autant de moyens pour l’équipementier automobile d’atteindre ses objectifs de rentabilité. Pour Pierre-Ange Carmona, « les dirigeants de Valeo ont pris tout l’argent public possible, mais là, ils sentent que les robinets se ferment et ils se disent qu’il est temps d’aller faire de la marge ailleurs ».
« La direction a elle-même organisé cette perte »
Pour ne pas annoncer ouvertement qu’ils délocalisent en Turquie ou ailleurs, et pour justifier leurs restructurations, Valeo comme les autres entreprises du secteur dénoncent à la fois le coût du travail – sans jamais parler de leurs marges – et la concurrence chinoise sur le marché du véhicule électrique, voire les normes contraignantes européennes. Des rengaines ressassées pour masquer leurs responsabilités et le coût exorbitant du capital (rentabilité financières, dividendes).
« La direction se plaint de perdre de l’argent alors qu’elle a elle-même organisé cette perte en délocalisant en Pologne le production des démarreurs pour diesel, puis aujourd’hui en Turquie celle du moteur électrique GMG », tacle le représentant syndical. La Turquie, où Valeo emploie aujourd’hui plus de 1 000 salariés et exporte en Europe 60 % de sa production…
Les syndicats CAT-CGT-Sud n’ont jamais cru à la fable du repreneur, avancée début juillet par Valeo, pas plus qu’ils ne croient à celle de l’acquéreur, brandie aujourd’hui, ou à celle de l’UAP (Unité autonome de production) proposée pour Saint-Quentin-Fallavier. « Avec deux ou trois lignes de production dans cette immense infrastructure, la direction veut nous faire croire que c’est viable et qu’elle pourra absorber les frais fixes en louant ou vendant ses bâtiments. Selon nous, ce n’est pas possible », insiste Pierre-Ange Carmona.
Huit sites en France sont touchés par les annonces de Valeo, dont deux condamnés à la fermeture (dans la Sarthe et les Yvelines). Le site de Saint-Quentin-Fallavier sera fermé tôt ou tard selon les syndicats CAT-CGT-Sud. « Nous, syndicats minoritaires, ne sommes pas représentatifs et ce n’est pas nous qui allons négocier à partir du 11 décembre. C’est FO (42 %) et la CGC. Les salariés ont de moins en moins confiance dans ces deux syndicats », précise-t-il.
Journée d’action le 12 décembre devant le site
À la suite de la lutte depuis juillet, un accord de reprise du travail a été négocié, avec l’obtention de primes. Un accord qui court jusqu’au 10 décembre. Les trois syndicats appellent à une grève dès le 12 décembre et refusent la fermeture du site. Ils souhaitent créer un rapport de force pour imposer d’autres choix ainsi que le maintien des productions et de la R&D en France, notamment à Saint-Quentin-Fallavier.
Le maintien des 70 postes sur le site nord-isérois est un leurre et vise juste à honorer le contrat sur les moteurs hybrides GMG et GMG avec le client Magna International, contrat qui s’achèvera fin 2026. Sans inversion de la logique à l’œuvre, le site fermera définitivement.
Dans l’attente de ces négociations, le climat au sein de l’entreprise est tendu. Les représentants des syndicats CAT-CGT-Sud sont sous pression, constamment surveillés pour traquer la moindre faute. La direction leur a ainsi déjà notifié des avertissements. « La direction est en train de monter des dossiers contre nous. On défend notre outil de travail mais ils veulent nous faire passer pour des voyous. Nous ne nous laisserons pas faire et saisirons la justice s’il le faut », prévient Pierre-Ange Carmona.
D’ores et déjà, l’intersyndicale CAT-CGT-Sud donne rendez-vous le jeudi 12 décembre pour une grosse journée d’action devant l’entreprise, à l’occasion de la mobilisation nationale pour la défense de l’industrie. Les trois syndicats appellent à un très large rassemblement populaire, syndical et politique dans le Nord-Isère.