Universités : le paradoxe du classement de Shanghai
Par Luc Renaud
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Le classement de Shanghai qui note les universités a publié sa dernière version à la mi-août. La domination écrasante des États-Unis qu’elle décrit ne représente guère la réalité des rapports de force de la production scientifique dans le monde. L’université Grenoble Alpes pointe à la 170e place du classement, au même niveau que l’ex-université Joseph Fourier en 2016.
« C’est toujours l’angoisse pour nous », déclarait au Monde le président de l’Université d’Aix-Marseille Yvon Berland (1) alors que l’Université Jiao Tong de Shanghaï publiait la dernière version de son classement mondial. C’est dire si cet exercice est pris au sérieux par les responsables universitaires… persuadés qu’il l’est par leurs financeurs, publics et privés. Ainsi la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, Frédérique Vidal, estime, dans un communiqué, que « cette stabilité [celle de la 6e position mondiale] d’ensemble combinée à des progressions individuelles significatives témoigne de la solidité de la position des universités françaises, qui sont su s’affirmer face à une concurrence internationale devenue de plus en plus forte au cours des dix dernières années ». Et pourtant…
Outil rudimentaire
Au départ, ce classement n’a pas d’autres ambitions que d’aider les étudiants chinois à la recherche d’une université étrangère où effectuer l’équivalent d’un master ou un doctorat. Le premier classement date de 2003, et ne s’appuie que sur quelques critères liées à la recherche en sciences de la nature (nombre de Nobels et médailles Fiels parmi les anciens élèves et les chercheurs, articles scientifiques publiés dans les meilleures revues…). Rien sur la qualité de l’enseignement, rien sur le devenir des étudiants, pas grand chose sur les sciences humaines et sociales. Un outil plutôt rudimentaire dont on se demande vraiment pourquoi il suscite autant de craintes ou d’envie chez les classés et surtout autant d’usages chez les responsables politiques.
Nombre de gouvernements ont en effet fixé parmi les objectifs prioritaires de leurs universités celui de « bien se situer » dans le dit classement. Cet argument fit partie de ceux avancés pour réorganiser la carte universitaire en France et pousser à la création d’universités plus vastes, fusionnant entre elles, donnant ainsi naissance, par exemple, à l’Université Grenoble Alpes. Laquelle pointe vers le 170e rang mondial dans le classement 2017… au même niveau que l’ex-Université Joseph Fourier l’année précédente.
Drainage des cerveaux
Pour s’interroger sur la pertinence de ce classement comme outil d’aide à la décision politique sur l’enseignement supérieur et la recherche, il suffit de se pencher sur un curieux paradoxe. Il débouche sur une domination écrasante des universités des États-Unis qui trustent 16 des 20 premières places. Comme il est surtout fonction de critères liés à la recherche scientifique, ce pays devrait donc exercer une domination écrasante sur la production de savoirs. Or, sur ce plan, il est depuis une quinzaine d’années largement devancé par les pays de l’Union européenne dont le poids économique et démographique est similaire.
En 2014, l’UE disposait en effet de 34% des publications scientifiques mondiales, contre 25% seulement pour les Etats-Unis (2). Quant à la Chine, petit poucet de la science en 1990, elle en possède plus de 20% aujourd’hui. Si l’on ajoute à cet élément le fait que les laboratoires des États-Unis dépendent en grande partie d’un « drainage des cerveaux », on ne peut que douter de la pertinence d’un tel classement pour élaborer une politique nationale de l’enseignement supérieur alors que nos universités ont surtout besoin de moyens supplémentaires pour faire face à l’afflux d’étudiants et au besoin de mieux former la jeunesse.
Quant à l’attractivité… tout étudiant en physique, en sciences de la Terre ou en biologie un peu informé sait qu’en venant à Grenoble il peut trouver l’excellence et le meilleur niveau mondial à l’Institut Néel, au Laboratoire de glaciologie et de géophysique de l’environnement, à l’Institut de biologie structurale mais aussi à l’installation européenne de rayonnement synchrotron (ESRF), ou aux faisceaux de neutrons du réacteur Laue-Langevin. Et la liste n’est pas exhaustive.
Sylvestre Huet
- Le Monde du 15 août 2017.
- Source, rapport de l’Unesco sur la science, fondé sur l’index de Thomson Reuters (Science Citation Index of Thomson Reuters’ Web of Science).