Crolles. Les salariés de Teisseire, en grève, craignent « une annonce grave »
Par Pierre-Jean Crespeau
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Le Travailleur alpin — Dans quel contexte pour Teisseire a débuté ce mouvement de grève reconductible ?
Florent Duc — Pour faire l’historique, tout a commencé il y a quatre ans avec le plan d’externalisation des volumes. Plan qui était en lien avec un plan d’investissements. Du coup, on a perdu tous les volumes export que notre direction a envoyés à la Slaur, au Havre, en sous-traitance. Ce qui représente 20 millions de litres. Quant aux promesses d’investissements, il y avait deux équipements. Une ligne de fabrication qui n’a jamais marché, qui est à l’arrêt et qu’on a abandonnée. Et une sous-tireuse qu’on n’a jamais vue sur le site. L’investissement apparaît donc sur les comptes mais on ne profite pas de l’équipement.
Selon la direction de l’époque, ce plan d’externalisation devait nous permettre de faire de la place dans l’usine, pour récupérer de nouveaux volumes et la remplir. Car la direction nous disait qu’avec les volumes qu’on allait récupérer, l’usine allait devenir trop petite.
Comment cela s’est-il passé ensuite ?
Suite à ça, il y a un an, on a encore eu une perte de volumes concernant les marques distributeurs. On est arrivé à 40 millions de litres cette année alors qu’on tournait, pour info, à 90 millions de litres il y a cinq-six ans. Soit des volumes divisés par deux, et même un petit peu plus. Conséquence, qui dit moins de volumes dit augmentation du coût de production… Et donc plus compliqué pour obtenir de nouveaux volumes. Un cercle vicieux !
Comment se justifie la direction ?
La direction nous parle uniquement de plan marketing. C’est vrai que le budget marketing a été rehaussé, mais toujours pas au niveau des objectifs annoncés du groupe. En tout cas, elle mise tout — officiellement — sur ce plan marketing qui nous ramènerait des volumes… Mais qui, en réalité, nous a ramené, zéro en parts de marché, donc zéro en volume. En clair, la solution n’est pas ici.
En fait, ça fait deux ans que l’entreprise vit sur les royalties de sa production export. Et cette année, on nous annonce une perte de plus de quatre millions. Donc on demande à la direction de revoir les choix du passé vu qu’il s’est passé tout l’inverse de ce qui devait découler de ces choix.

Que craignez-vous maintenant ?
Aujourd’hui, on est très inquiets pour la pérennité du site. Systématiquement, on demande le rapatriement des volumes parce que c’est le nerf de la guerre et c’est l’urgence pour retrouver de la rentabilité sur le site de Crolles. Choix que la direction ne souhaite pas. De leur côté, c’est une fin de non-recevoir. Ils se focalisent et s’entêtent sur ce plan marketing qui ne ramène pourtant aucun volume.
Nous, ce qu’on leur demande, c’est le rapatriement des volumes sous-traités, du moins des volumes sirops. Car il faut savoir que Teisseire est aussi propriétaire de Pressade et toute la production Pressade est sous-traitée. On a également Fruit Shoot, production qui est là encore entièrement sous-traitée. Donc des volumes pour remplir le site de Crolles, il y en aurait. Ce n’est qu’une question de choix stratégiques.
Que répond la direction à votre demande ?
La direction refuse tous ces choix et ne nous propose pas de solutions viables. Résultat des courses, depuis jeudi dernier, les salariés de l’usine sont en grève reconductible, rejoints hier [NDLR : lundi 13 octobre] par quelques dizaines de salariés du siège qui commencent à voir que ça devient inquiétant.
Ces derniers mois, on a en plus appris un nouveau projet de la direction dont on ne comprend pas vraiment la finalité : la vente de notre stock de matières premières. On nous a expliqué qu’on allait conserver trois mois de stock de matières premières sur le site et que tout ce qui dépasse trois mois de stock, on le vendrait à une entreprise de trading de matières premières. Avant de récupérer son montant pour le racheter plus tard. Honnêtement, on a du mal avec les explications. Le but de cette opération est assez flou. Au vu de la situation de l’entreprise, on commence à se demander si ce stock qui part reviendra. Parce qu’il faut savoir qu’on a été convoqués à un ordre du jour jeudi dernier : ordre du jour du CSE, réunion qui se tiendra ce jeudi.
Quelle est la finalité de ce CSE extraordinaire, selon vous ?
À l’ordre du jour de ce CSE, il y a un point sur l’activité du site. Le CSE est une instance qui est assez cadrée. L’ordre du jour sert également à échanger sur les points en cas d’incompréhension d’une des deux parties. L’autre partie se doit d’expliquer son point pour qu’il y ait une compréhension totale de l’ordre du jour. Mais il existe quelques cas où la direction ne doit pas expliquer le point, voire où il y a une interdiction de communiquer. C’est ce que m’a dit la DRH quand j’ai demandé des éclaircissements. Or, le cas qui interdit la communication, c’est une cession d’entreprise car on est des entreprises cotées en bourse et il y a priorité au marché. On s’inquiète donc fortement de ce cas-là.
À quelle autre possibilité pensez-vous ?
Un autre cas qui n’est pas une interdiction pour les directions, mais plutôt un usage, c’est un PSE. En tout cas, sur notre précédent PSE, c’est comme ça que ça s’était passé. La direction ne communique pas sur le point, nous convoque à un CSE extraordinaire et on commence par ce qu’ils appellent une réunion zéro où on nous donne les documents. Et puis, le PSE démarre par la suite.
Aujourd’hui, au vu de la santé de l’entreprise ces dernières années, au vu des choix de la direction qui sont au désavantage du site de Crolles, ça fait quelques mois qu’on tire la sonnette d’alarme. Ce rendez-vous à un CSE extraordinaire nous inquiète fortement et nombreux sont les salariés qui attendent une annonce grave, violente, ce jeudi. À quel niveau ? On aura la surprise. Mais c’est vrai que la situation n’est pas rassurante. Chaque salarié se dit qu’il est temps de se mobiliser pour inverser la tendance.
Rassemblement de soutien devant Teisseire
Les salariés de Teisseire sonnent la mobilisation et appellent à un rassemblement de soutien avant le CSE extraordinaire. Rendez-vous ce jeudi 16 octobre, à 9 heures, devant l’usine Teisseire, 482 avenue Ambroise-Croizat, à Crolles.