Air liquide. Les salariés veulent pouvoir rester à la pointe de la technologie

Par Luc Renaud

/

Image principale
Corinne Rohrbacher, déléguée syndicale CGT chez Air liquide AT, à Sassenage.
Dialogue social au point mort, remise en cause d’acquis sociaux, dégradation de la qualité du travail… les salariés d’Air liquide ont entamé un mouvement social sur la durée, à Sassenage et Grenoble, sous l’égide de leur intersyndicale. Corinne Rohrbacher, déléguée syndicale CGT, nous en explique les raisons dans cette entreprise dont les deux tiers des salariés sont des cadres et des ingénieurs.

« « L’entreprise res­pire, et cela fait par­tie de sa res­pi­ra­tion que de lais­ser par­tir des gens » », c’est ce que nous a dit la direc­tion lors d’une réunion d’information du per­son­nel en juillet der­nier », témoigne Corinne Rohr­ba­cher, délé­guée syn­di­cale CGT d’Air liquide à Sas­se­nage. Mépris qui ne se limite pas aux sala­riés. « Il s’agit pour l’essentiel d’une meilleure défi­ni­tion des plages horaires afin de favo­ri­ser la col­la­bo­ra­tion au sein des équipes pour accom­pa­gner l’industrialisation de nos solu­tions » a répon­du cette même direc­tion à nos confrères de Place Gre’net qui l’interrogeaient sur les mou­ve­ments de grève qui tra­versent l’entreprise ces der­nières semaines. De fait le mécon­ten­te­ment porte tout à la fois sur la remise en cause d’acquis sociaux mais résulte aus­si d’un constat par­ta­gé par les sala­riés : la direc­tion d’Air liquide refuse le dia­logue et abîme la qua­li­té de leur tra­vail.

Plus qu’une « meilleure définition des plages horaires »

Côté reven­di­ca­tions concrètes, la CGT, la CFDT et la CGC dénoncent le pas­sage impo­sé en horaires fixes et la pers­pec­tive du tra­vail pos­té pour les tech­ni­ciens et ouvriers – un tiers de l’effectif. « Nous avons tou­jours tra­vaillé en horaires flexibles, sou­ligne Corinne Rohr­ba­cher, la grande majo­ri­té du per­son­nel, que nous avons consul­té, est oppo­sée à ce chan­ge­ment. »

Les reven­di­ca­tions ne se réduisent pas « à une meilleure défi­ni­tion des plages horaires », comme l’écrit la direc­tion. On parle de la sup­pres­sion d’une prime annuelle dite « mul­ti-sites » de 700 euros pour cer­tains sala­riés, de la dis­pa­ri­tion des tickets res­tau­rant dont les syn­di­cats éva­luent à mille euros l’impact néga­tif annuel sur le pou­voir d’achat, ou encore de l’augmentation du contin­gent d’heures sup­plé­men­taires « avec des com­pen­sions déri­soires », ou de l’obligation de prendre deux semaines de congés au mois d’août au lieu d’une, de pro­po­si­tions sala­riales insuf­fi­santes dans le cadre des négo­cia­tions annuelles obli­ga­toires. « La cerise sur le gâteau, si l’on peut dire, c’est le licen­cie­ment de huit sala­riés du ser­vice de main­te­nance du site », relève Corinne Rohr­ba­cher.

Dans le cor­tège de la mani­fes­ta­tion du 2 octobre.

Toutes remises en cause que la direc­tion jus­ti­fie en arguant de dif­fi­cul­tés dans la pro­duc­tion, dont les sala­riés et l’organisation de leur tra­vail seraient la cause. Or, « ce que fait la direc­tion, c’est jus­te­ment cas­ser ce qui fait notre exper­tise », sou­ligne Corinne Rohr­ba­cher.

Ariane 6 et accélérateurs de particules

A Sas­se­nage, Gre­noble et aux Mureaux dans la région pari­sienne, Air liquide advan­ced tech­no­lo­gies, filiale du groupe Air liquide, conçoit et ins­talle des sys­tèmes de refroi­dis­se­ment pour le spa­tial et les équi­pe­ments scien­ti­fiques, notam­ment. Ariane 6, refroi­dis­se­ment face au rayon­ne­ment solaire de cap­teurs ins­tal­lés sur des satel­lites, accé­lé­ra­teurs de par­ti­cules, métha­niers trans­por­tant du gaz qui doit res­ter liquide… On tra­vaille sur des sys­tèmes qui tutoient les — 190 degrés. Et Sas­se­nage est le plus impor­tant site au monde d’Air liquide AT ; il emploie deux tiers d’ingénieurs, dans la recherche, le déve­lop­pe­ment, la pro­duc­tion et un tiers d’ouvriers et de tech­ni­ciens.

Des économies à la petite semaine qui remettent en cause la performance des équipes

« Ce qui fait notre force, c’est le sur-mesure, de la concep­tion à la mise en route, en lien étroit avec les clients et les spé­ci­fi­ci­tés de leurs besoins », explique Corinne Rohr­ba­cher, elle-même ingé­nieure. Ce qui demande un plein enga­ge­ment des sala­riés dans un tra­vail qui a du sens et une vraie soli­da­ri­té des équipes.

« C’est cela qu’est en train de cas­ser la direc­tion », sou­ligne Corinne Rohr­ba­cher. L’exemple des « démar­reuses et démar­reurs »  l’illustre. Ces sala­riés d’Air liquide effec­tuent la mise en route des équi­pe­ments aux quatre coins du monde. Ils passent un à six mois par an à l’étranger. « La direc­tion a vou­lu modi­fier le sys­tème de primes dont ils béné­fi­ciaient pour leurs frais à l’étranger… pas cer­tain d’ailleurs que ce soit une économie ; c’est en revanche une perte d’autonomie pour ces sala­riés qui n’ont plus la pos­si­bi­li­té de s’organiser comme ils le sou­haitent et cela repré­sente dans cer­tains cas une perte d’argent : plus dif­fi­cile de s’organiser en co-loca­tion à l’étranger, par exemple ». Trai­ter les gens comme des enfants inca­pables de se gérer… « Ça s’est tra­duit par 40 % de démis­sions et autant de perte de savoir-faire dans un domaine vital pour l’entreprise, le démar­rage des pro­duits. »

Les propositions des salariés ne sont pas discutées

Il y a pour­tant autre chose à faire, pour déve­lop­per Air liquide AT. « Pour amé­lio­rer la pro­duc­ti­vi­té, la direc­tion tape sur les sala­riés, résume Corinne, pour­tant, dans les consul­ta­tions que nous avons effec­tuées, les sala­riés ont fait remon­ter une foule de pro­po­si­tions pour amé­lio­rer les pro­blèmes d’approvisionnement, de confor­mi­té ou de plan­ning ; c’est là que peuvent se trou­ver des solu­tions, mais la direc­tion reste murée dans ses cer­ti­tudes et refuse le dia­logue ». Atti­tude fon­dée sur des éco­no­mies à la petite semaine – les tickets res­tau­rant… – « qui repré­sente un dan­ger pour l’avenir de cette boîte dont l’efficaci­té repose sur l’engagement de ses sala­riés, des ingé­nieurs cher­cheurs jusqu’aux ouvriers spé­cia­listes du sur-mesure ».

C’est là sans doute la rai­son des mobi­li­sa­tions en cours depuis le 18 sep­tembre. Grèves, heures d’information syn­di­cale, ras­sem­ble­ments… Les sala­riés se retrouvent tous les mar­dis et jeu­dis matin sur le grand par­vis du site de Sas­se­nage. La pro­tes­ta­tion est conduite sous ban­nière inter­syn­di­cale – chez Air liquide AT, la CGC et majo­ri­taire sui­vie par la CFDT et la CGT – au sein de laquelle la CGT joue sa par­ti­tion. « Nous recru­tons, se réjouit Corinne Rohr­ba­cher, et nous allons, pour la pre­mière fois, pré­sen­ter des listes com­plètes dans tous les col­lèges, cadres com­pris, lors des pro­chaines élec­tions pro­fes­sion­nelles, en novembre. Le regard des cadres sur la CGT est en train de chan­ger. »

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *