Fiodor Rilov, avocat des salariés de Valeo : « Ma façon de mener la lutte des classes »
Par Didier Gosselin
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Regroupé·es au sein de l’intersyndicale CAT-CGT-SUD, des salarié·es entament une nouvelle étape de leur combat contre la multinationale Valeo, qui a annoncé la suppression de plus de 800 postes fin 2024, dont près de 250 sur le site isérois. Et ce, dans le cadre d’un PSE (plan de sauvegarde de l’emploi)…

Alors même que les comptes du groupe sont florissants, les salarié·es s’opposent à la logique de Valeo, à savoir du profit avant tout, refusant d’en être les victimes. Ils et elles ont déposé plainte et font appel pour les représenter à Maître Fiodor Rilov. Lequel a déjà à son actif de nombreuses procédures en soutien à des salarié·es en lutte pour sauver leur emploi et leur dignité, comme chez Continental, Goodyear, Cargill, Bridgestone… Partis à quinze il y a quelques mois, ceux-ci sont désormais près de quatre-vingts à s’engager dans la bataille judiciaire contre Valeo.
Valeo, cas « symptomatique des stratégies actuelles dans l’industrie »
Dans un communiqué du 29 avril 2025, Christophe Périllat, directeur général de Valeo, ne cache ni son cynisme ni sa satisfaction avec l’annonce d’un chiffre d’affaires de 5,3 milliards d’euros au premier trimestre 2025. Pour rappel, le chiffre d’affaires 2024 s’est élevé à 21,4 milliards d’euros, pour un bénéfice net de 162 millions d’euros. Le dirigeant assume, lui, parfaitement la stratégie de casse industrielle.
Son discours est ainsi édifiant. « Valeo a pris les décisions nécessaires pour tenir ses objectifs 2025 et faire de cette année une nouvelle étape d’amélioration de sa rentabilité et de sa génération de cash. D’une part, nous accélérons les plans de restructuration visant notamment à réduire sur le premier semestre, d’environ 5% nos coûts administratifs et commerciaux et d’environ 15% nos dépenses d’investissement corporel et incorporel par rapport à l’année précédente. D’autre part, nous progressons rapidement pour neutraliser l’impact direct des droits de douane, avec une revue exhaustive de notre chaîne d’approvisionnement ainsi qu’une politique commerciale affirmée pour obtenir compensation de 100% des coûts restants. Rien de tout cela ne serait possible sans l’engagement constant des équipes de Valeo, que je tiens à remercier tout particulièrement dans ces moments tourmentés. » Les 800 salarié·es licencié·es apprécieront.

Pour Me Rilov, « le cas de Valeo est tout à fait symptomatique des stratégies actuelles dans l’industrie française ». Pour maintenir la rentabilité du capital, les groupes n’hésitent pas à délocaliser et licencier avec un mépris absolu pour celles et ceux qui créent la richesse, ainsi que pour les désastres humains générés et l’affaiblissement industriel du pays. Le site de Saint-Quentin-Fallavier a déjà vu partir des productions en Pologne tandis que le moteur hybride, tant vanté dans les nouvelles publicités automobiles, sera désormais fabriqué en Turquie. Un pays où l’exploitation et le coût de la main d’œuvre permettent effectivement à Valeo « l’amélioration de sa rentabilité et de sa génération de cash », comme le dit si bien le directeur général du groupe.
La direction tente d’étouffer la lutte sociale en amont
L’avocat souligne qu’il n’a aucun doute sur la volonté de Valeo dans sa stratégie de suppression de postes, de fermeture et de délocalisations. « Les licenciements interviennent après un très long travail de préparation de la part des directions, et dans tous les domaines : communication, finances, stratégie économique et industrielle… », dénonce-t-il. « Les groupes n’annoncent des fermetures que lorsqu’ils sont sûrs de pouvoir faire basculer la production ailleurs. » Pour le cas de Valeo, il s’agit de la Turquie, où sera fabriqué le moteur hybride.
Fiodor Rilov insiste alors sur la stratégie mise en œuvre. « Valeo préfère investir dans la dissuasion des salariés et pour le moment ça marche », précise-t-il. « La communication interne vise à rendre toutes les mesures de licenciements incompréhensibles » et à travailler les consciences afin « qu’il n’y ait pas de lutte sociale, notamment en gagnant la collaboration des représentants réformistes des personnels ». À travers son activité, l’avocat en droit social a pu constater l’efficacité de cette politique, observant une augmentation des accords sur les PSE avec les organisations syndicales et les comités sociaux et économiques des entreprises. À mettre au compte aussi des effets de la loi Macron de 2018, dans le droit fil de la loi Hollande-El Khomri, affaiblissant de facto les instances représentatives des personnels.
Les effets délétères de la loi travail
Concernant le PSE de Saint-Quentin-Fallavier, usine appartenant à la filiale Valeo Electrification, Fiodor Rilov rappelle qu’ayant été signé par les syndicats majoritaires du site isérois (CFE-CGC, CFDT, FO), devenus donc co-auteurs du PSE, celui-ci a été validé par la DREETS (Direction régionale de l’économie, de l’emploi, du travail et des solidarités) : « À partir du moment où il y a accord avec les syndicats majoritaires, il devient très difficile d’attaquer au tribunal administratif. »

À ce propos, Me Rilov dénonce avec véhémence les mesures de la loi travail 2016 de François Hollande visant à verrouiller toute contestation juridique des licenciements. Tout retour sur le PSE est désormais impossible du fait de ce texte législatif qui, transférant à l’administration les PSE, empêche d’aller devant le juge pour contester. La loi travail, précise en outre l’avocat, a été mise en place par Hollande suite au conflit Goodyear et à la suspension des licenciements et plans sociaux successifs au cours des neuf années de lutte. « On ne peut désormais plus que contester les licenciements après qu’ils aient eu lieu », s’indigne-t-il.
Dès lors, et dans le cas présent, il ne reste plus que la possibilité d’attaquer aux prud’hommes sur le motif économique. Une justification qui, ici, ne tient pas, selon Fiodor Rilov, compte tenu des résultats du groupe Valeo, toujours plus positifs d’année en année. Les salarié·es ne peuvent ainsi compter que sur leur propre lutte. L’avocat n’a pas ailleurs pas de mots assez durs contre « la scandaleuse dramaturgie comique » menée par les représentants « des institutions publiques qui viennent déplorer les licenciements ou les fermetures alors que pour eux, c’est la preuve de l’efficacité de leur stratégie politique ».
« Les indemnités possibles à gagner pour les salarié·es du site de Saint-Quentin-Fallavier peuvent donc être très élevées, en plus de ce que prévoit la loi, notamment pour licenciements abusifs. Et les chances de gagner sont très élevées aussi ! »
Me Fiodor Rilov, avocat.
Pour Me Rilov, « les indemnités possibles à gagner pour les salarié·es du site de Saint-Quentin-Fallavier peuvent donc être très élevées, en plus de ce que prévoit la loi, notamment pour licenciements abusifs. Et les chances de gagner sont très élevées aussi ! » À la question de savoir si les autres sites de France sont dans la même dynamique, il répond par la négative, constatant que l’usine du Nord-Isère est la seule à vouloir se battre sur la contestation des licenciements économiques. De son côté, cette figure du barreau se met au service des salarié·es en lutte et des CSE qui, avec leurs prérogatives, veulent bien combattre les PSE. Sur le site de Saint-Quentin-Fallavier, avec des syndicats majoritaires ayant signé l’accord PSE, la question ne se pose donc même pas…

La procédure est lancée. La première audience devant le conseil des prud’hommes de Vienne a eu lieu le 3 juin. Pour Fiodor Rilov, c’est un combat important, comme chacun de ceux qu’il mène avec tous les salarié·es en lutte pour leurs droits et leur dignité. « C’est ma façon à moi de mener la lutte des classes », déclare, enthousiaste, l’ex-militant communiste aux convictions toujours solidement ancrées. « Le cœur de l’activité politique, c’est d’être présent dans les entreprises » où, constate-t-il, « la lutte des classes se pratique beaucoup plus facilement qu’ailleurs ».