Fiodor Rilov, avocat des salariés de Valeo : « Ma façon de mener la lutte des classes »

Par Didier Gosselin

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L'avocat Fiodor Rilov devant le siège de Valeo, à Paris, aux côtés de salariés de l'équipementier automobile. DR
Surnommé "l’avocat rouge" du fait de ses convictions communistes, il est connu pour avoir notamment défendu les ouvriers de Goodyear ou Continental et fait condamner plusieurs multinationales. Fiodor Rilov représente cette fois les salariés de l'usine Valeo de Saint-Quentin-Fallavier, qui contestent devant les prud'hommes le motif économique des licenciements. La première audience s'est tenue mardi 3 juin.

Regroupé·es au sein de l’intersyndicale CAT-CGT-SUD, des salarié·es entament une nou­velle étape de leur com­bat contre la mul­ti­na­tio­nale Valeo, qui a annon­cé la sup­pres­sion de plus de 800 postes fin 2024, dont près de 250 sur le site isé­rois. Et ce, dans le cadre d’un PSE (plan de sau­ve­garde de l’emploi)…

L’a­vo­cat Fio­dor Rilov entou­ré des sala­riés de Valeo, devant l’u­sine de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier. DR

Alors même que les comptes du groupe sont flo­ris­sants, les salarié·es s’op­posent à la logique de Valeo, à savoir du pro­fit avant tout, refu­sant d’en être les vic­times. Ils et elles ont dépo­sé plainte et font appel pour les repré­sen­ter à Maître Fio­dor Rilov. Lequel a déjà à son actif de nom­breuses pro­cé­dures en sou­tien à des salarié·es en lutte pour sau­ver leur emploi et leur digni­té, comme chez Conti­nen­tal, Goo­dyear, Car­gill, Brid­ges­tone… Par­tis à quinze il y a quelques mois, ceux-ci sont désor­mais près de quatre-vingts à s’engager dans la bataille judi­ciaire contre Valeo.

Valeo, cas « symptomatique des stratégies actuelles dans l’industrie »

Dans un com­mu­ni­qué du 29 avril 2025, Chris­tophe Périllat, direc­teur géné­ral de Valeo, ne cache ni son cynisme ni sa satis­fac­tion avec l’annonce d’un chiffre d’affaires de 5,3 mil­liards d’euros au pre­mier tri­mestre 2025. Pour rap­pel, le chiffre d’affaires 2024 s’est éle­vé à 21,4 mil­liards d’euros, pour un béné­fice net de 162 mil­lions d’euros. Le diri­geant assume, lui, par­fai­te­ment la stra­té­gie de casse indus­trielle.

Son dis­cours est ain­si édi­fiant. « Valeo a pris les déci­sions néces­saires pour tenir ses objec­tifs 2025 et faire de cette année une nou­velle étape d’a­mé­lio­ra­tion de sa ren­ta­bi­li­té et de sa géné­ra­tion de cash. D’une part, nous accé­lé­rons les plans de restruc­tu­ra­tion visant notam­ment à réduire sur le pre­mier semestre, d’en­vi­ron 5% nos coûts admi­nis­tra­tifs et com­mer­ciaux et d’en­vi­ron 15% nos dépenses d’investissement cor­po­rel et incor­po­rel par rap­port à l’année pré­cé­dente. D’autre part, nous pro­gres­sons rapi­de­ment pour neu­tra­li­ser l’im­pact direct des droits de douane, avec une revue exhaus­tive de notre chaîne d’approvisionnement ain­si qu’une poli­tique com­mer­ciale affir­mée pour obte­nir com­pen­sa­tion de 100% des coûts res­tants. Rien de tout cela ne serait pos­sible sans l’en­ga­ge­ment constant des équipes de Valeo, que je tiens à remer­cier tout par­ti­cu­liè­re­ment dans ces moments tour­men­tés. » Les 800 salarié·es licencié·es appré­cie­ront.

Devant le site de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier, tou­ché par près de 250 sup­pres­sions de postes (sur plus de 800 au total chez Valeo). © Pierre-Ange Car­mo­na

Pour Me Rilov, « le cas de Valeo est tout à fait symp­to­ma­tique des stra­té­gies actuelles dans l’industrie fran­çaise ». Pour main­te­nir la ren­ta­bi­li­té du capi­tal, les groupes n’hésitent pas à délo­ca­li­ser et licen­cier avec un mépris abso­lu pour celles et ceux qui créent la richesse, ain­si que pour les désastres humains géné­rés et l’affaiblissement indus­triel du pays. Le site de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier a déjà vu par­tir des pro­duc­tions en Pologne tan­dis que le moteur hybride, tant van­té dans les nou­velles publi­ci­tés auto­mo­biles, sera désor­mais fabri­qué en Tur­quie. Un pays où l’exploitation et le coût de la main d’œuvre per­mettent effec­ti­ve­ment à Valeo « l’amélioration de sa ren­ta­bi­li­té et de sa géné­ra­tion de cash », comme le dit si bien le direc­teur géné­ral du groupe.

La direction tente d’étouffer la lutte sociale en amont

L’avocat sou­ligne qu’il n’a aucun doute sur la volon­té de Valeo dans sa stra­té­gie de sup­pres­sion de postes, de fer­me­ture et de délo­ca­li­sa­tions. « Les licen­cie­ments inter­viennent après un très long tra­vail de pré­pa­ra­tion de la part des direc­tions, et dans tous les domaines : com­mu­ni­ca­tion, finances, stra­té­gie éco­no­mique et indus­trielle… », dénonce-t-il. « Les groupes n’annoncent des fer­me­tures que lorsqu’ils sont sûrs de pou­voir faire bas­cu­ler la pro­duc­tion ailleurs. » Pour le cas de Valeo, il s’a­git de la Tur­quie, où sera fabri­qué le moteur hybride.

Fio­dor Rilov insiste alors sur la stra­té­gie mise en œuvre. « Valeo pré­fère inves­tir dans la dis­sua­sion des sala­riés et pour le moment ça marche », pré­cise-t-il. « La com­mu­ni­ca­tion interne vise à rendre toutes les mesures de licen­cie­ments incom­pré­hen­sibles » et à tra­vailler les consciences afin « qu’il n’y ait pas de lutte sociale, notam­ment en gagnant la col­la­bo­ra­tion des repré­sen­tants réfor­mistes des per­son­nels ». À tra­vers son acti­vi­té, l’a­vo­cat en droit social a pu consta­ter l’efficacité de cette poli­tique, obser­vant une aug­men­ta­tion des accords sur les PSE avec les orga­ni­sa­tions syn­di­cales et les comi­tés sociaux et éco­no­miques des entre­prises. À mettre au compte aus­si des effets de la loi Macron de 2018, dans le droit fil de la loi Hol­lande-El Khom­ri, affai­blis­sant de fac­to les ins­tances repré­sen­ta­tives des per­son­nels.

Les effets délétères de la loi travail

Concer­nant le PSE de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier, usine appar­te­nant à la filiale Valeo Elec­tri­fi­ca­tion, Fio­dor Rilov rap­pelle qu’ayant été signé par les syn­di­cats majo­ri­taires du site isé­rois (CFE-CGC, CFDT, FO), deve­nus donc co-auteurs du PSE, celui-ci a été vali­dé par la DREETS (Direc­tion régio­nale de l’économie, de l’emploi, du tra­vail et des soli­da­ri­tés) : « À par­tir du moment où il y a accord avec les syn­di­cats majo­ri­taires, il devient très dif­fi­cile d’attaquer au tri­bu­nal admi­nis­tra­tif. »

Trac­tage des mili­tants com­mu­nistes devant l’u­sine Valeo, à Saint-Quen­tin-Fal­la­vier, en novembre 2024. © Didier Gos­se­lin

À ce pro­pos, Me Rilov dénonce avec véhé­mence les mesures de la loi tra­vail 2016 de Fran­çois Hol­lande visant à ver­rouiller toute contes­ta­tion juri­dique des licen­cie­ments. Tout retour sur le PSE est désor­mais impos­sible du fait de ce texte légis­la­tif qui, trans­fé­rant à l’administration les PSE, empêche d’aller devant le juge pour contes­ter. La loi tra­vail, pré­cise en outre l’a­vo­cat, a été mise en place par Hol­lande suite au conflit Goo­dyear et à la sus­pen­sion des licen­cie­ments et plans sociaux suc­ces­sifs au cours des neuf années de lutte. « On ne peut désor­mais plus que contes­ter les licen­cie­ments après qu’ils aient eu lieu », s’indigne-t-il.

Dès lors, et dans le cas pré­sent, il ne reste plus que la pos­si­bi­li­té d’attaquer aux prud’hommes sur le motif éco­no­mique. Une jus­ti­fi­ca­tion qui, ici, ne tient pas, selon Fio­dor Rilov, compte tenu des résul­tats du groupe Valeo, tou­jours plus posi­tifs d’année en année. Les salarié·es ne peuvent ain­si comp­ter que sur leur propre lutte. L’a­vo­cat n’a pas ailleurs pas de mots assez durs contre « la scan­da­leuse dra­ma­tur­gie comique » menée par les repré­sen­tants « des ins­ti­tu­tions publiques qui viennent déplo­rer les licen­cie­ments ou les fer­me­tures alors que pour eux, c’est la preuve de l’efficacité de leur stra­té­gie poli­tique ».

« Les indem­ni­tés pos­sibles à gagner pour les salarié·es du site de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier peuvent donc être très éle­vées, en plus de ce que pré­voit la loi, notam­ment pour licen­cie­ments abu­sifs. Et les chances de gagner sont très éle­vées aus­si ! »

Me Fio­dor Rilov, avo­cat.

Pour Me Rilov, « les indem­ni­tés pos­sibles à gagner pour les salarié·es du site de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier peuvent donc être très éle­vées, en plus de ce que pré­voit la loi, notam­ment pour licen­cie­ments abu­sifs. Et les chances de gagner sont très éle­vées aus­si ! » À la ques­tion de savoir si les autres sites de France sont dans la même dyna­mique, il répond par la néga­tive, consta­tant que l’u­sine du Nord-Isère est la seule à vou­loir se battre sur la contes­ta­tion des licen­cie­ments éco­no­miques. De son côté, cette figure du bar­reau se met au ser­vice des salarié·es en lutte et des CSE qui, avec leurs pré­ro­ga­tives, veulent bien com­battre les PSE. Sur le site de Saint-Quen­tin-Fal­la­vier, avec des syn­di­cats majo­ri­taires ayant signé l’accord PSE, la ques­tion ne se pose donc même pas…

Ban­de­role accu­sant la direc­tion, sur les grilles de Valeo. DR

La pro­cé­dure est lan­cée. La pre­mière audience devant le conseil des prud’hommes de Vienne a eu lieu le 3 juin. Pour Fio­dor Rilov, c’est un com­bat impor­tant, comme cha­cun de ceux qu’il mène avec tous les salarié·es en lutte pour leurs droits et leur digni­té. « C’est ma façon à moi de mener la lutte des classes », déclare, enthou­siaste, l’ex-mili­tant com­mu­niste aux convic­tions tou­jours soli­de­ment ancrées. « Le cœur de l’activité poli­tique, c’est d’être pré­sent dans les entre­prises » où, constate-t-il, « la lutte des classes se pra­tique beau­coup plus faci­le­ment qu’ailleurs ».

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