Mon travail, livreur à vélo

Par Luc Renaud

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Image principale
Mohamed Fofana, Christian Revest et Mamadou Balde devant la photographie qui livre le "salaire" d'une course : 2,25 euros.
M’ma Wali signifie « Mon travail » en soussou, la langue parlée par les livreurs pour la plupart guinéens. M’ma Wali, c’est le titre d’une très belle exposition de photographies du quotidien professionnel des livreurs à vélo dans l’agglomération grenobloise, signée Christian Revest. A découvrir dans leur local, au centre de Grenoble, jusqu’au 18 mai.

Chris­tian Revest a payé de sa per­sonne. « Quand j’ai rou­lé avec les livreurs pour la pre­mière fois, sous une pluie mêlée de neige, j’ai mieux com­pris », dit-il sobre­ment.

Prendre un vélo pour suivre des tour­nées, c’est tout l’esprit du tra­vail du pho­to­graphe. « Nous avons com­men­cé dou­ce­ment, sans appa­reil, par des ren­contres, des dis­cus­sions ; il fal­lait un rap­port de confiance. » Non que les livreurs à vélo soient des tra­vailleurs aux­quels il fau­drait plus par­ti­cu­liè­re­ment mon­trer patte blanche, mais c’était une exi­gence pour le pho­to­graphe : l’ambition d’une image aus­si signi­fiante que res­pec­tueuse, d’une esthé­tique pro­fon­dé­ment huma­niste.

Chris­tian Revest, pho­to­graphe.

« On a évi­dem­ment en tête la soli­tude, l’exploitation… et ce sont des réa­li­tés ; ce qui m’a frap­pé et ce à quoi je ne m’attendais pas vrai­ment, c’est la digni­té, la soli­da­ri­té qui s’exprime au sein de ce qui est, fina­le­ment, un col­lec­tif », témoigne Chris­tian Revest. Car si les livreurs tra­vaillent seuls, lorsqu’ils pédalent par tous les temps, ils par­tagent leurs temps d’attente. Et l’entraide est tou­jours pré­sente, celle dont témoignent les pho­to­gra­phies de livreurs qui affrontent ensemble la panne d’un moteur élec­trique ou celles des expli­ca­tions sur le manie­ment d’un GPS récal­ci­trant. « Ils ont une fier­té de tra­vailleurs, blaguent, rigolent… mal­gré tout. »

Chris­tian Revest, Moha­med Fofa­na, pré­sident de l’A­da­li et secré­taire du syn­di­cat CGT, et Alain Lavy, de l’u­nion locale CGT.

Un « mal­gré tout » qui pèse son poids de souf­france. Le sta­tut d’autoentrepreneur qui n’offre aucune pro­tec­tion : pas de chô­mage, pas de congés payés, pas d’horaires de tra­vail, pas de droits col­lec­tifs… Des rému­né­ra­tions ridi­cules, stric­te­ment réduites au temps de course, à l’exclusion des heures d’attente. Une san­té alté­rée par les acci­dents, la mala­die, le stress. Et la pres­sion per­ma­nente de la crainte d’un contrôle poli­cier, eux qui sont sou­vent sans-papiers. L’hypocrisie est insup­por­table : leur rap­port de subor­di­na­tion aux pla­te­formes – Uber, Deli­ve­roo et autres – n’est pas contes­table mais leurs employeurs main­tiennent la fic­tion d’un rap­port de pres­ta­tion entre deux entre­prises ; ils encourent une obli­ga­tion de quit­ter le ter­ri­toire à tout moment, y com­pris lorsqu’ils livrent des repas à la pré­fec­ture, au palais de jus­tice ou au com­mis­sa­riat.

Les images de Chris­tian Revest donnent à voir cette réa­li­té, sans fard ni voyeu­risme. Elles témoignent de la vie pro­fes­sion­nelle de ces tra­vailleurs des temps modernes, pre­miers de cor­dées du quo­ti­dien.

Lors du ver­nis­sage, dans le local des livreurs, au 6 rue Saint-Fran­çois.

Aus­si n’est-ce pas un hasard si le ver­nis­sage de l’exposition M’ma wali a eu lieu le 1er mai, jour­née inter­na­tio­nale de lutte des tra­vailleurs, en pré­sence de livreurs, de syn­di­ca­listes CGT, et de mili­tants actifs dans la soli­da­ri­té aux tra­vailleurs sans-papiers, dans le local que la ville de Gre­noble a mis à leur dis­po­si­tion. Moha­med Fofa­na, secré­taire du syn­di­cat CGT des livreurs et pré­sident de l’Association pour les droits et l’accompagnement des livreurs indé­pen­dants, a remer­cié les par­ti­ci­pants et sou­li­gné l’intérêt de cette expo­si­tion pour « faire res­sen­tir la réa­li­té des livreurs, leur soli­da­ri­té, leur patience, leurs dif­fi­cul­tés ». Alain Lavy, pour l’union locale CGT, a rap­pe­lé les conclu­sions d’une étude de l’Agence natio­nale de sécu­ri­té sani­taire qui a mis en lumière les effets désas­treux sur la san­té des livreurs du sta­tut d’autoentrepreneur qui leur est impo­sé. Et tous ont fort légi­ti­me­ment sou­hai­té que cette expo­si­tion puisse être décou­verte par le plus grand nombre.

En atten­dant qu’elle soit pré­sen­tée dans d’autres lieux de l’agglomération, le pas­sage par le local des livreurs à vélo est incon­tour­nable.

L’exposition se tient dans les locaux de l’association Ada­li (Asso­cia­tion pour les droits et l’accompagnement des livreurs indé­pen­dants) au n°6 rue Saint-Fran­çois, à Gre­noble — à proxi­mi­té immé­diate de la rue Félix Pou­lat. Elle est visible jusqu’au au 18 mai, tous les jours de 17h à 20h. Elle a béné­fi­cié du sou­tien de l’Atelier pho­to 38 et de l’union locale CGT du Grand Gre­noble.

Christian Revest

Le tra­vail de Chris­tian Revest explore notam­ment le thème du tra­vail humain. Il est l’auteur de la série Mes­sages du corps, sur la mise en jeu du corps lors de l’usage du smart­phone, pro­po­sée au cin­quième fes­ti­val Impulse d’Arles en 2024.

Chris­tian Revest est retrai­té actif, ancien ergo­nome – « j’ai pu mesu­rer avec mes connais­sances pro­fes­sion­nelles tout ce qui est dra­ma­tique dans les condi­tions de tra­vail des livreurs » – qui s’investit aujourd’hui dans l’esthétique signi­fiante de la pho­to­gra­phie. Ses sources d’inspiration sont notam­ment Robert Fanck, Doro­thea Lange, Mary Ellen Mark, Ber­nard Plos­su, Josef Kou­del­ka.

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