Mon travail, livreur à vélo
Par Luc Renaud
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Christian Revest a payé de sa personne. « Quand j’ai roulé avec les livreurs pour la première fois, sous une pluie mêlée de neige, j’ai mieux compris », dit-il sobrement.
Prendre un vélo pour suivre des tournées, c’est tout l’esprit du travail du photographe. « Nous avons commencé doucement, sans appareil, par des rencontres, des discussions ; il fallait un rapport de confiance. » Non que les livreurs à vélo soient des travailleurs auxquels il faudrait plus particulièrement montrer patte blanche, mais c’était une exigence pour le photographe : l’ambition d’une image aussi signifiante que respectueuse, d’une esthétique profondément humaniste.

« On a évidemment en tête la solitude, l’exploitation… et ce sont des réalités ; ce qui m’a frappé et ce à quoi je ne m’attendais pas vraiment, c’est la dignité, la solidarité qui s’exprime au sein de ce qui est, finalement, un collectif », témoigne Christian Revest. Car si les livreurs travaillent seuls, lorsqu’ils pédalent par tous les temps, ils partagent leurs temps d’attente. Et l’entraide est toujours présente, celle dont témoignent les photographies de livreurs qui affrontent ensemble la panne d’un moteur électrique ou celles des explications sur le maniement d’un GPS récalcitrant. « Ils ont une fierté de travailleurs, blaguent, rigolent… malgré tout. »

Un « malgré tout » qui pèse son poids de souffrance. Le statut d’autoentrepreneur qui n’offre aucune protection : pas de chômage, pas de congés payés, pas d’horaires de travail, pas de droits collectifs… Des rémunérations ridicules, strictement réduites au temps de course, à l’exclusion des heures d’attente. Une santé altérée par les accidents, la maladie, le stress. Et la pression permanente de la crainte d’un contrôle policier, eux qui sont souvent sans-papiers. L’hypocrisie est insupportable : leur rapport de subordination aux plateformes – Uber, Deliveroo et autres – n’est pas contestable mais leurs employeurs maintiennent la fiction d’un rapport de prestation entre deux entreprises ; ils encourent une obligation de quitter le territoire à tout moment, y compris lorsqu’ils livrent des repas à la préfecture, au palais de justice ou au commissariat.
Les images de Christian Revest donnent à voir cette réalité, sans fard ni voyeurisme. Elles témoignent de la vie professionnelle de ces travailleurs des temps modernes, premiers de cordées du quotidien.

Aussi n’est-ce pas un hasard si le vernissage de l’exposition M’ma wali a eu lieu le 1er mai, journée internationale de lutte des travailleurs, en présence de livreurs, de syndicalistes CGT, et de militants actifs dans la solidarité aux travailleurs sans-papiers, dans le local que la ville de Grenoble a mis à leur disposition. Mohamed Fofana, secrétaire du syndicat CGT des livreurs et président de l’Association pour les droits et l’accompagnement des livreurs indépendants, a remercié les participants et souligné l’intérêt de cette exposition pour « faire ressentir la réalité des livreurs, leur solidarité, leur patience, leurs difficultés ». Alain Lavy, pour l’union locale CGT, a rappelé les conclusions d’une étude de l’Agence nationale de sécurité sanitaire qui a mis en lumière les effets désastreux sur la santé des livreurs du statut d’autoentrepreneur qui leur est imposé. Et tous ont fort légitimement souhaité que cette exposition puisse être découverte par le plus grand nombre.
En attendant qu’elle soit présentée dans d’autres lieux de l’agglomération, le passage par le local des livreurs à vélo est incontournable.

L’exposition se tient dans les locaux de l’association Adali (Association pour les droits et l’accompagnement des livreurs indépendants) au n°6 rue Saint-François, à Grenoble — à proximité immédiate de la rue Félix Poulat. Elle est visible jusqu’au au 18 mai, tous les jours de 17h à 20h. Elle a bénéficié du soutien de l’Atelier photo 38 et de l’union locale CGT du Grand Grenoble.
Christian Revest
Le travail de Christian Revest explore notamment le thème du travail humain. Il est l’auteur de la série Messages du corps, sur la mise en jeu du corps lors de l’usage du smartphone, proposée au cinquième festival Impulse d’Arles en 2024.
Christian Revest est retraité actif, ancien ergonome – « j’ai pu mesurer avec mes connaissances professionnelles tout ce qui est dramatique dans les conditions de travail des livreurs » – qui s’investit aujourd’hui dans l’esthétique signifiante de la photographie. Ses sources d’inspiration sont notamment Robert Fanck, Dorothea Lange, Mary Ellen Mark, Bernard Plossu, Josef Koudelka.