Saint-Martin-d’Hères. Débat avec Berivan Firat, porte-parole kurde du CDK‑F
Par Edouard Schoene
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Invitée par l’Association iséroise des amis des Kurdes (Aiak), Berivan Firat est responsable des relations internationales et porte-parole du Conseil démocratique kurde en France (CDK‑F), qui regroupe 26 associations dans l’Hexagone. Depuis sa création en 1994, l’organisation œuvre pour faire connaître les Kurdes, leur culture, leur langue, leur situation politique dans chacun des pays qui se divisent le Kurdistan.
Tour à tour, la militante a enchaîné les rendez-vous ce dimanche, avec la communauté kurde de l’agglomération grenobloise, les militants d’Aiak et de l’Union communiste libertaire (UCL). Puis à 17 h30, une réunion publique a clôturé la journée, rassemblant près d’une centaine de participants.
Menaces et répression en Turquie, Iran et Syrie
L’appel à cette rencontre plantait le décor, évoquant d’abord « l’avenir très incertain » en Syrie, après la chute de Bachar El Assad. D’où ces différents points en suspens : « risques de fragmentation avec les interventions armées de la Turquie et d’Israël, interrogations sur ce que fera le nouveau pouvoir, capacité de la société civile syrienne à peser pour éviter tout retour à l’autoritarisme, à défendre les droits des femmes et des minorités ».
En Turquie, la politique vis-à-vis des Kurdes semble très « contradictoire », souligne l’Aiak. D’un côté, « Recep Tayyip Erdogan s’est publiquement félicité des progrès réalisés dans le dialogue avec le PKK ». De l’autre, le pouvoir turc « agresse militairement le Rojava ». Quant à l’Iran, « la répression qui frappe les femmes kurdes est massive et cruelle », avec de très nombreuses exécutions, « comme vient le rappeler la confirmation de la condamnation à mort de la militante de la société civile Pakhshan Azizi ». Le signal d’un régime des mollahs fragilisé depuis le mouvement « Femmes, vie, liberté ».
Dans son intervention, Berivan Firat rappelle le contexte historique, notamment les massacres de Kurdes à Dersim, en 1937–1938. Elle dénonce l’envoi par Ankara de milliers de Syriens djihadistes en Syrie, pour tenter de mettre un terme à l’expérience démocratique au Rojava. La militante souligne la fragilité de l’espoir d’une perspective démocratique en Syrie, notant que le parti au pouvoir, après la chute de la dictature, est composé de 18 forces différentes dont les objectifs politiques ne sont pas les mêmes. « Des milliers de Daeshiens ont été naturalisés syriens en une nuit », s’indigne-t-elle.
« Nous qui résistons contre les forces de l’obscurantisme, nous figurons sur la liste des terroristes et subissons bombardements de l’armée turque et agressions militaires des djihadistes. »
Berivan Firat (CDK‑F)
Hasard du calendrier, le jour de la rencontre martinéroise marquait le dixième anniversaire de la victoire dans la bataille de Kobané, débutée en septembre 2014. C’est en effet le 26 janvier 2015 que les forces armées kurdes des YPG ont réussi à repousser les djihadistes de l’État islamique dans la ville de Kobané, avec le soutien aérien de la coalition internationale (France et États-Unis principalement).
« Nous qui résistons contre les forces de l’obscurantisme, nous figurons sur la liste des terroristes et subissons bombardements de l’armée turque et agressions militaires des djihadistes », déplore Berivan Firat. Pour elle, « la priorité du mouvement démocratique est d’obtenir que le PKK soit retiré des listes des organisations considérées comme terroristes en Europe, en France. En effet, au nom de ce classement ‘terroriste’, les militants kurdes sont inquiétés, persécutés, emprisonnés, expulsés vers la Turquie », s’insurge la porte-parole du CDK‑F.
Quid des demandes du pouvoir turc d’un désarmement des forces kurdes, à la suite d’une rencontre récente avec Abdullah Öcalan, le leader du PKK emprisonné depuis 26 ans ? Sur ce point, la responsable kurde est formelle : « Une telle perspective exige en premier lieu qu’Öcalan soit libéré et que des dispositions précises soient actées par le pouvoir turc pour mettre un terme aux discriminations dont sont victimes les Kurdes et à la répression contre les démocrates. »
Une délégation d’Aiak au Tribunal permanent des peuples
Le débat a également largement porté sur l’expérience démocratique engagée depuis dix ans au Rojava. Un modèle basé en particulier sur les écrits d’Öcalan inspirés du communalisme ou municipalisme libertaire — en tant qu’alternative à l’État nation. Berivan Firat a décrit nombre d’exemples du quotidien, au Rojava, où les conseils locaux prennent des décisions dans le consensus. Tout en soulignant le rôle majeur des femmes dans ce processus démocratique.
À l’issue de la réunion, Maryvonne Mathéoud, coprésidente d’Aiak, a signalé l’envoi d’une délégation à Bruxelles, les 5 et 6 février, pour assister au Tribunal permanent des peuples (TPP). Ceci pour une session consacrée aux graves crimes internationaux commis dans le nord et l’est de la Syrie.