Industrie. Nos emplois partent en fumée en Isère

Par Manuel Pavard

/

Vencorex, Valeo, Photowatt, Logiplast-Team Tex… En Isère, nombre d’usines et de salariés sont frappés de plein fouet par la casse de l’industrie française, qui semble s’accélérer en cette fin d’année 2024. Malgré ce scénario catastrophe, les communistes comme les syndicats proposent des pistes pour tenter de surmonter cette crise.

Image principale
Les salariés en grève ont reçu de nombreux soutiens, au quotidien. Ici lors de la venue de Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT, le 7 novembre, à l'entrée de la plateforme chimique.

Cela ne consti­tue mal­heu­reu­se­ment pas une sur­prise. Avec son riche tis­su indus­triel, notam­ment dans ses gros bas­sins d’emplois comme la métro­pole gre­no­bloise ou le nord du dépar­te­ment, l’Isère paye un lourd tri­but à la crise actuelle. Pla­ce­ment en redres­se­ment judi­ciaire de Ven­co­rex, liqui­da­tion de Logi­plast, plan de licen­cie­ments chez Valeo, incer­ti­tude pour Pho­to­watt… Pas un mois ne passe sans qu’une nou­velle entre­prise ne fasse l’actualité pour ses dif­fi­cul­tés.

Sur le plan natio­nal, idem, les pré­vi­sions sont de plus en plus pes­si­mistes. La CGT, qui dénom­brait entre 150 000 et 200 000 emplois mena­cés, a pré­sen­té ses chiffres actua­li­sés le 27 novembre. Le syn­di­cat recense aujourd’hui 286 PSE depuis sep­tembre 2023 et éva­lue désor­mais à près de 300 000 le nombre d’emplois mena­cés ou sup­pri­més – en incluant les emplois indi­rects et induits dans l’industrie.

Jean-Marc Durand, membre de la com­mis­sion éco­no­mique du PCF, évoque quant à lui « une nou­velle phase de dégra­da­tion du poten­tiel indus­triel du pays et une nou­velle phase d’aggravation de la crise capi­ta­liste ». Pour lui, la France est « à la veille d’entrer en réces­sion », laquelle pour­rait inter­ve­nir dès 2025. Il pré­voit donc « des jours très dif­fi­ciles », avec une « casse des emplois » et un impact der­rière sur « toutes les pres­ta­tions sociales ».

« Une avancée de type autogestionnaire »

Que faire alors ? Dans les usines, la résis­tance s’organise. À Pont-de-Claix, les sala­riés de Ven­co­rex ont ain­si enta­mé une grève illi­mi­tée le 23 octobre, blo­quant tota­le­ment depuis la pla­te­forme chi­mique. Ici, l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) prône la natio­na­li­sa­tion, au moins tem­po­raire. Une option qu’ont éga­le­ment van­tée, lors de leur venue sur le piquet de grève, la secré­taire géné­rale de la CGT Sophie Binet, le porte-parole du NPA Phi­lippe Pou­tou ou le secré­taire natio­nal du PCF Fabien Rous­sel.

Plus glo­ba­le­ment, l’UD CGT Isère a défen­du lors de son congrès, fin novembre, « la natio­na­li­sa­tion des sec­teurs stra­té­giques comme l’énergie, la pro­duc­tion de médi­ca­ments et les trans­ports ». Un choix que ferait aus­si Jean-Marc Durand dans le dos­sier Ven­co­rex, esti­mant que « l’État devrait pou­voir inter­ve­nir ». Mais pour le reste, il pré­fère nuan­cer : « On ne peut pas dire qu’on va natio­na­li­ser à chaque pro­blème qui se pose. »

Le secré­taire dépar­te­men­tal du PCF de la Drôme avance d’autres pistes à même, selon lui, de répondre aux prin­ci­paux enjeux, à savoir « quels moyens de finan­ce­ment et quels moyens d’intervention pour les sala­riés ? » Sur le pre­mier point, « s’il y a de vraies dif­fi­cul­tés, il faut qu’on puisse finan­cer et que les banques puissent répondre à ça », indique-t-il, par­lant de « la boni­fi­ca­tion des cré­dits ».

Il s’agit de « fonds régio­naux pour l’emploi et la for­ma­tion, fonds dotés d’argent public », explique Jean-Marc Durand. « On inter­vien­drait auprès des banques pour que les entre­prises puissent emprun­ter. Et on abais­se­rait les inté­rêts ban­caires à zéro. » Ceci dans un but pré­cis : favo­ri­ser « les créa­tions d’emplois, les bons salaires et la for­ma­tion ». En effet, « on ne peut plus se per­mettre de pro­duire low cost », sou­ligne-t-il. « Il faut inves­tir dans l’humain. »

L’animateur de la com­mis­sion éco­no­mique du PCF sou­tient aus­si la mise en place de « nou­veaux pou­voirs et nou­veaux moyens de contrôle pour les sala­riés ». Autre­ment dit, « une avan­cée de type auto­ges­tion­naire », pré­cise-t-il, appe­lant à « trans­for­mer les CSE par les luttes ».

Jean-Marc Durand plaide en outre pour « des confé­rences pour l’emploi, au moins au niveau de la région et du dépar­te­ment », selon la situa­tion des entre­prises du sec­teur. Leur com­po­si­tion ? « Des repré­sen­tants des sala­riés, des entre­prises, des ser­vices de l’État, des élus, des asso­cia­tions de citoyens… »

Le mili­tant com­mu­niste sou­haite voir l’industrie fran­çaise « repar­tir sur une logique de nou­velle crois­sance saine, sur la base de cri­tères sociaux et éco­lo­giques ». Ses pro­po­si­tions, juge-t-il, sont véri­ta­ble­ment nova­trices, avec une « trans­for­ma­tion de la pro­duc­tion indus­trielle sous le contrôle des sala­riés » ain­si qu’une « trans­for­ma­tion pro­fonde des ins­tances », illus­trée par ce sys­tème de « confé­rence per­ma­nente pour l’emploi ».

Jean-Marc Durand pro­pose enfin « une nou­velle fis­ca­li­té des entre­prises dont le cœur serait une poli­tique fis­cale inci­ta­tive ». Cela pas­se­rait notam­ment par « un nou­vel impôt sur les socié­tés, pro­gres­sif – selon la taille des entre­prises ». Des pistes aus­si sérieuses qu’audacieuses. Reste main­te­nant à convaincre une audience suf­fi­sam­ment large.

La soli­da­ri­té avec les sala­riés en grève, au quo­ti­dien, sur le piquet de grève.

Lutte exemplaire contre un désastre annoncé

Les salariés de Vencorex, sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix, sont en grève illimitée depuis le 23 octobre.

La nou­velle avait fait l’effet d’une bombe le 23 octobre. Les sala­riés de Ven­co­rex, déjà pla­cée en redres­se­ment judi­ciaire le 10 sep­tembre, appre­naient alors qu’une seule offre de reprise avait été dépo­sée à la date limite, éma­nant d’une filiale du groupe chi­nois Wan­hua – l’un des prin­ci­paux concur­rents de l’entreprise.

Seuls 25 des 465 sala­riés seraient conser­vés. Inac­cep­table pour l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) comme pour le per­son­nel, qui votait la grève illi­mi­tée dans la fou­lée. Depuis, la pla­te­forme de Pont-de-Claix est tota­le­ment blo­quée.

« Impact en cascade »

Déter­mi­nés, les sala­riés de Ven­co­rex pointent les consé­quences pour l’industrie chi­mique du Sud gre­no­blois, avec des entre­prises dont les acti­vi­tés sont inter­dé­pen­dantes. Séve­rine Dejoux, élue CGT au CSE, met ain­si en garde contre « l’impact en cas­cade » d’une fer­me­ture du site. « On est à l’aube d’une catas­trophe indus­trielle et sociale », affirme-t-elle, évo­quant près de 5000 emplois – directs et indi­rects – mena­cés.

Que faire si aucun autre repre­neur ne se fait connaître avant mars 2025 ? Cer­taines voix ont cité le nom d’Arkema, sur le site voi­sin de Jar­rie, qui res­semble à un can­di­dat natu­rel. Mais le géant de la chi­mie se fait prier. Reste une solu­tion qui connaît un regain de popu­la­ri­té.

De la secré­taire géné­rale de la CGT Sophie Binet au secré­taire natio­nal du PCF Fabien Rous­sel, en pas­sant par le porte-parole du NPA Phi­lippe Pou­tou et plu­sieurs élus com­mu­nistes, beau­coup ont défen­du, lors de leur venue à Pont-de-Claix, la piste de la natio­na­li­sa­tion, au moins tem­po­raire. Option qui, au fil des semaines, appa­raît comme la seule viable.

« Ven­co­rex, c’est le sym­bole du scan­dale des poli­tiques gou­ver­ne­men­tales et patro­nales. C’est d’abord l’histoire d’une faillite orga­ni­sée. »

Sophie Binet, secré­taire géné­rale de la CGT

25

sala­riés

gar­dés sur 465 au total, chez Ven­co­rex France, dans l’offre de l’entreprise hon­groise Bor­sod­Chem, filiale du groupe chi­nois Wan­hua. Celle-ci pré­voit de reprendre uni­que­ment l’atelier de tolo­nates, lais­sant ain­si 440 sala­riés sur le car­reau.

Ariane

La situa­tion a des réper­cus­sions sur l’ensemble de l’industrie de la chi­mie et même plus lar­ge­ment. Ain­si, Fra­ma­tome, à Jar­rie, pro­duit du zir­ko­nium uti­li­sé pour les réac­teurs nucléaires, se four­nis­sant pour cela en chlore auprès d’Arkema. Laquelle pro­duit le per­chlo­rate indis­pen­sable à la fabri­ca­tion du car­bu­rant des fusées Ariane, com­po­sant dépen­dant de l’approvisionnement en sels via Ven­core

6 mars 2025

C’est la nou­velle date rete­nue par le tri­bu­nal de com­merce de Lyon, qui a pro­lon­gé la période d’observation accor­dée à Ven­co­rex. Un délai sup­plé­men­taire pour exa­mi­ner l’offre de reprise actuelle, mais aus­si pour per­mettre à un autre repre­neur éven­tuel de se mani­fes­ter.

Binet, Pou­tou, Rous­sel

Depuis le 23 octobre, les sala­riés de Ven­co­rex ont reçu la visite de plu­sieurs per­son­na­li­tés syn­di­cales et poli­tiques : la secré­taire géné­rale de la CGT Sophie Binet le 7 novembre, le porte-parole du NPA Phi­lippe Pou­tou le 18 et le secré­taire natio­nal du PCF Fabien Rous­sel le 26. Des pas­sages impor­tants pour popu­la­ri­ser le mou­ve­ment, selon les sala­riés.

Le pro­jet Car­bon écar­té, reste un ave­nir de l’énergie renou­ve­lable à construire.

Chronique d’un renoncement industriel…

Faute de politique industrielle cohérente et ambitieuse, la France a raté le coche de la production photovoltaïque. Photowatt illustre ce gâchis.

Créée en 1981 par la SAFT, filiale de CGE-Alsthom, Pho­to­watt passe en 1987 sous contrôle de l’américain Chro­nar, puis est reprise en 1988 par un des anciens cadres de la CGE, Claude Rémy. Pho­to­watt sera alors la pre­mière entre­prise fran­çaise à maî­tri­ser toute la chaîne de fabri­ca­tion, de la cuis­son du sili­cium au mon­tage des pan­neaux pho­to­vol­taïques en pas­sant par la créa­tion des cel­lules pho­to­élec­triques. En 1990, Shell entre au capi­tal (35 %). Pho­to­watt s’agrandit et s’implante à Bour­goin-Jall­lieu.

En 1992, après deux années très béné­fi­ciaires, Pho­to­watt fait face à de nou­velles dif­fi­cul­tés. Restruc­tu­ra­tion, licen­cie­ments, sor­tie de Shell du capi­tal, et, en 1997, l’entreprise est ven­due à 100 % au cana­dien ATS (Auto­ma­tion Too­ling Sys­tems) pour 17 mil­lions de dol­lars. ATS béné­fi­cie de la poli­tique de sub­ven­tion des pan­neaux solaires des années 2000. Mais refuse d’investir pour pré­ser­ver la place de l’entreprise dans les dix pre­mières mon­diales alors que la Chine monte en puis­sance… Quand les sub­ven­tions baissent dès 2010 en France, Pho­to­watt dépose le bilan en novembre 2011, invo­quant une sur­pro­duc­tion mon­diale et la concur­rence asia­tique.

EDF et l’État sans stratégie industrielle

Entrée dans le giron d’EDF en 2012, sur injonc­tion du pré­sident-can­di­dat Sar­ko­zy, l’entreprise Pho­to­watt n’a fait que conti­nuer de péri­cli­ter depuis lors…

Les mil­lions d’euros dépen­sés par EDF pour épon­ger les pertes depuis 2012 auraient été plus utiles pour inves­tir dans la pro­duc­tion, en s’appuyant notam­ment sur PV Alliance (CEA, Pho­to­watt, INES, EDF), consor­tium pour l’innovation créé en 2007 puis dis­sous en 2016.

L’entreprise est pas­sée de 800 sala­riés en 2007 à 170 en 2024.

Le récent pro­jet de ces­sion à la start-up Car­bon, aux frais d’EDF, a été mis en échec mais la menace de dis­pa­ri­tion demeure. Ain­si, après avoir été à la fin des années 1990 le numé­ro 3 mon­dial du domaine des cel­lules solaires, Pho­to­watt se retrouve affai­blie par les poli­tiques de court terme. Et la France paye cher l’absence d’ambition d’une véri­table poli­tique indus­trielle pho­to­vol­taïque.

Didier Gos­se­lin

Le rôle de l’État

Pour les élus du NFP, l’État doit sou­te­nir le pho­to­vol­taïque, notam­ment au tra­vers d’investissements flé­chés et de mesures contre le dum­ping et favo­ri­sant la pro­duc­tion et l’achat de pan­neaux fran­çais. Ils demandent au pré­fet la mise en place d’un comi­té de pilo­tage réunis­sant les élus ter­ri­to­riaux, les repré­sen­tants syn­di­caux, ceux de Pho­to­watt, d’EDF ENR et d’entreprises de la filière ain­si que les ser­vices de l’Etat.

Valéo, 238 emplois sup­pri­més

Autre entre­prise vic­time de cette même poli­tique de désen­ga­ge­ment indus­triel, Valéo, qui vient d’annoncer la sup­pres­sion de 868 emplois dont 238 à Saint-Quen­tin-Fal­la­vier. Ne res­te­ront sur place que 70 sala­riés sans pers­pec­tive de pro­duc­tion avant une fer­me­ture défi­ni­tive d’ici quelques mois. L’intersyndicale CAT-CGT-SUD dénonce cette dévi­ta­li­sa­tion, consé­quence de choix visant à mettre en concur­rence les tra­vailleurs pour aug­men­ter tou­jours plus la ren­ta­bi­li­té finan­cière, et appelle à une action d’ampleur le 12 décembre.

Partager cet article

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *