Industrie. Nos emplois partent en fumée en Isère
Par Manuel Pavard
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Vencorex, Valeo, Photowatt, Logiplast-Team Tex… En Isère, nombre d’usines et de salariés sont frappés de plein fouet par la casse de l’industrie française, qui semble s’accélérer en cette fin d’année 2024. Malgré ce scénario catastrophe, les communistes comme les syndicats proposent des pistes pour tenter de surmonter cette crise.

Cela ne constitue malheureusement pas une surprise. Avec son riche tissu industriel, notamment dans ses gros bassins d’emplois comme la métropole grenobloise ou le nord du département, l’Isère paye un lourd tribut à la crise actuelle. Placement en redressement judiciaire de Vencorex, liquidation de Logiplast, plan de licenciements chez Valeo, incertitude pour Photowatt… Pas un mois ne passe sans qu’une nouvelle entreprise ne fasse l’actualité pour ses difficultés.
Sur le plan national, idem, les prévisions sont de plus en plus pessimistes. La CGT, qui dénombrait entre 150 000 et 200 000 emplois menacés, a présenté ses chiffres actualisés le 27 novembre. Le syndicat recense aujourd’hui 286 PSE depuis septembre 2023 et évalue désormais à près de 300 000 le nombre d’emplois menacés ou supprimés – en incluant les emplois indirects et induits dans l’industrie.
Jean-Marc Durand, membre de la commission économique du PCF, évoque quant à lui « une nouvelle phase de dégradation du potentiel industriel du pays et une nouvelle phase d’aggravation de la crise capitaliste ». Pour lui, la France est « à la veille d’entrer en récession », laquelle pourrait intervenir dès 2025. Il prévoit donc « des jours très difficiles », avec une « casse des emplois » et un impact derrière sur « toutes les prestations sociales ».
« Une avancée de type autogestionnaire »
Que faire alors ? Dans les usines, la résistance s’organise. À Pont-de-Claix, les salariés de Vencorex ont ainsi entamé une grève illimitée le 23 octobre, bloquant totalement depuis la plateforme chimique. Ici, l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) prône la nationalisation, au moins temporaire. Une option qu’ont également vantée, lors de leur venue sur le piquet de grève, la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet, le porte-parole du NPA Philippe Poutou ou le secrétaire national du PCF Fabien Roussel.
Plus globalement, l’UD CGT Isère a défendu lors de son congrès, fin novembre, « la nationalisation des secteurs stratégiques comme l’énergie, la production de médicaments et les transports ». Un choix que ferait aussi Jean-Marc Durand dans le dossier Vencorex, estimant que « l’État devrait pouvoir intervenir ». Mais pour le reste, il préfère nuancer : « On ne peut pas dire qu’on va nationaliser à chaque problème qui se pose. »
Le secrétaire départemental du PCF de la Drôme avance d’autres pistes à même, selon lui, de répondre aux principaux enjeux, à savoir « quels moyens de financement et quels moyens d’intervention pour les salariés ? » Sur le premier point, « s’il y a de vraies difficultés, il faut qu’on puisse financer et que les banques puissent répondre à ça », indique-t-il, parlant de « la bonification des crédits ».
Il s’agit de « fonds régionaux pour l’emploi et la formation, fonds dotés d’argent public », explique Jean-Marc Durand. « On interviendrait auprès des banques pour que les entreprises puissent emprunter. Et on abaisserait les intérêts bancaires à zéro. » Ceci dans un but précis : favoriser « les créations d’emplois, les bons salaires et la formation ». En effet, « on ne peut plus se permettre de produire low cost », souligne-t-il. « Il faut investir dans l’humain. »
L’animateur de la commission économique du PCF soutient aussi la mise en place de « nouveaux pouvoirs et nouveaux moyens de contrôle pour les salariés ». Autrement dit, « une avancée de type autogestionnaire », précise-t-il, appelant à « transformer les CSE par les luttes ».
Jean-Marc Durand plaide en outre pour « des conférences pour l’emploi, au moins au niveau de la région et du département », selon la situation des entreprises du secteur. Leur composition ? « Des représentants des salariés, des entreprises, des services de l’État, des élus, des associations de citoyens… »
Le militant communiste souhaite voir l’industrie française « repartir sur une logique de nouvelle croissance saine, sur la base de critères sociaux et écologiques ». Ses propositions, juge-t-il, sont véritablement novatrices, avec une « transformation de la production industrielle sous le contrôle des salariés » ainsi qu’une « transformation profonde des instances », illustrée par ce système de « conférence permanente pour l’emploi ».
Jean-Marc Durand propose enfin « une nouvelle fiscalité des entreprises dont le cœur serait une politique fiscale incitative ». Cela passerait notamment par « un nouvel impôt sur les sociétés, progressif – selon la taille des entreprises ». Des pistes aussi sérieuses qu’audacieuses. Reste maintenant à convaincre une audience suffisamment large.

Lutte exemplaire contre un désastre annoncé
Les salariés de Vencorex, sur la plateforme chimique de Pont-de-Claix, sont en grève illimitée depuis le 23 octobre.
La nouvelle avait fait l’effet d’une bombe le 23 octobre. Les salariés de Vencorex, déjà placée en redressement judiciaire le 10 septembre, apprenaient alors qu’une seule offre de reprise avait été déposée à la date limite, émanant d’une filiale du groupe chinois Wanhua – l’un des principaux concurrents de l’entreprise.
Seuls 25 des 465 salariés seraient conservés. Inacceptable pour l’intersyndicale (CGT, CFDT, CFE-CGC) comme pour le personnel, qui votait la grève illimitée dans la foulée. Depuis, la plateforme de Pont-de-Claix est totalement bloquée.
« Impact en cascade »
Déterminés, les salariés de Vencorex pointent les conséquences pour l’industrie chimique du Sud grenoblois, avec des entreprises dont les activités sont interdépendantes. Séverine Dejoux, élue CGT au CSE, met ainsi en garde contre « l’impact en cascade » d’une fermeture du site. « On est à l’aube d’une catastrophe industrielle et sociale », affirme-t-elle, évoquant près de 5000 emplois – directs et indirects – menacés.
Que faire si aucun autre repreneur ne se fait connaître avant mars 2025 ? Certaines voix ont cité le nom d’Arkema, sur le site voisin de Jarrie, qui ressemble à un candidat naturel. Mais le géant de la chimie se fait prier. Reste une solution qui connaît un regain de popularité.
De la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet au secrétaire national du PCF Fabien Roussel, en passant par le porte-parole du NPA Philippe Poutou et plusieurs élus communistes, beaucoup ont défendu, lors de leur venue à Pont-de-Claix, la piste de la nationalisation, au moins temporaire. Option qui, au fil des semaines, apparaît comme la seule viable.
« Vencorex, c’est le symbole du scandale des politiques gouvernementales et patronales. C’est d’abord l’histoire d’une faillite organisée. »
Sophie Binet, secrétaire générale de la CGT
25
salariés
gardés sur 465 au total, chez Vencorex France, dans l’offre de l’entreprise hongroise BorsodChem, filiale du groupe chinois Wanhua. Celle-ci prévoit de reprendre uniquement l’atelier de tolonates, laissant ainsi 440 salariés sur le carreau.
Ariane
La situation a des répercussions sur l’ensemble de l’industrie de la chimie et même plus largement. Ainsi, Framatome, à Jarrie, produit du zirkonium utilisé pour les réacteurs nucléaires, se fournissant pour cela en chlore auprès d’Arkema. Laquelle produit le perchlorate indispensable à la fabrication du carburant des fusées Ariane, composant dépendant de l’approvisionnement en sels via Vencore
6 mars 2025
C’est la nouvelle date retenue par le tribunal de commerce de Lyon, qui a prolongé la période d’observation accordée à Vencorex. Un délai supplémentaire pour examiner l’offre de reprise actuelle, mais aussi pour permettre à un autre repreneur éventuel de se manifester.
Binet, Poutou, Roussel
Depuis le 23 octobre, les salariés de Vencorex ont reçu la visite de plusieurs personnalités syndicales et politiques : la secrétaire générale de la CGT Sophie Binet le 7 novembre, le porte-parole du NPA Philippe Poutou le 18 et le secrétaire national du PCF Fabien Roussel le 26. Des passages importants pour populariser le mouvement, selon les salariés.

Chronique d’un renoncement industriel…
Faute de politique industrielle cohérente et ambitieuse, la France a raté le coche de la production photovoltaïque. Photowatt illustre ce gâchis.
Créée en 1981 par la SAFT, filiale de CGE-Alsthom, Photowatt passe en 1987 sous contrôle de l’américain Chronar, puis est reprise en 1988 par un des anciens cadres de la CGE, Claude Rémy. Photowatt sera alors la première entreprise française à maîtriser toute la chaîne de fabrication, de la cuisson du silicium au montage des panneaux photovoltaïques en passant par la création des cellules photoélectriques. En 1990, Shell entre au capital (35 %). Photowatt s’agrandit et s’implante à Bourgoin-Jalllieu.
En 1992, après deux années très bénéficiaires, Photowatt fait face à de nouvelles difficultés. Restructuration, licenciements, sortie de Shell du capital, et, en 1997, l’entreprise est vendue à 100 % au canadien ATS (Automation Tooling Systems) pour 17 millions de dollars. ATS bénéficie de la politique de subvention des panneaux solaires des années 2000. Mais refuse d’investir pour préserver la place de l’entreprise dans les dix premières mondiales alors que la Chine monte en puissance… Quand les subventions baissent dès 2010 en France, Photowatt dépose le bilan en novembre 2011, invoquant une surproduction mondiale et la concurrence asiatique.
EDF et l’État sans stratégie industrielle
Entrée dans le giron d’EDF en 2012, sur injonction du président-candidat Sarkozy, l’entreprise Photowatt n’a fait que continuer de péricliter depuis lors…
Les millions d’euros dépensés par EDF pour éponger les pertes depuis 2012 auraient été plus utiles pour investir dans la production, en s’appuyant notamment sur PV Alliance (CEA, Photowatt, INES, EDF), consortium pour l’innovation créé en 2007 puis dissous en 2016.
L’entreprise est passée de 800 salariés en 2007 à 170 en 2024.
Le récent projet de cession à la start-up Carbon, aux frais d’EDF, a été mis en échec mais la menace de disparition demeure. Ainsi, après avoir été à la fin des années 1990 le numéro 3 mondial du domaine des cellules solaires, Photowatt se retrouve affaiblie par les politiques de court terme. Et la France paye cher l’absence d’ambition d’une véritable politique industrielle photovoltaïque.
Didier Gosselin
Le rôle de l’État
Pour les élus du NFP, l’État doit soutenir le photovoltaïque, notamment au travers d’investissements fléchés et de mesures contre le dumping et favorisant la production et l’achat de panneaux français. Ils demandent au préfet la mise en place d’un comité de pilotage réunissant les élus territoriaux, les représentants syndicaux, ceux de Photowatt, d’EDF ENR et d’entreprises de la filière ainsi que les services de l’Etat.
Valéo, 238 emplois supprimés
Autre entreprise victime de cette même politique de désengagement industriel, Valéo, qui vient d’annoncer la suppression de 868 emplois dont 238 à Saint-Quentin-Fallavier. Ne resteront sur place que 70 salariés sans perspective de production avant une fermeture définitive d’ici quelques mois. L’intersyndicale CAT-CGT-SUD dénonce cette dévitalisation, conséquence de choix visant à mettre en concurrence les travailleurs pour augmenter toujours plus la rentabilité financière, et appelle à une action d’ampleur le 12 décembre.