Devant la chambre d’agriculture de l’Isère, Emmeline Tabillon, secrétaire du syndicat, donne lecture de la déclaration qui demande la tenue de négociations.
Les gardiens de troupeaux demandent la conclusion d’un accord départemental sur les salaires et les conditions de travail. Le syndicat des employeurs, la FDSEA, se refuse à négocier.
Depuis un an, une réunion de négociation sur deux a été annulée. C’était le cas, une fois de plus, le 5 avril dernier, annulation décrétée deux jours avant par la Fédération départementale des syndicats d’exploitants agricoles – structure départementale de la FNSEA, le syndicats des employeurs dans l’agriculture.
Ce 5 avril, le motif de l’annulation était une déclaration du syndicat CGT des gardiens de troupeaux, à l’issue d’une des rencontres qui avait pu se tenir, le 14 mars dernier. Déclaration jugée diffamatoire par la FDSEA. « Salaires de misères, heures supplémentaires et temps de travail non rémunéré, augmentation des pratiques de travail dissimulé (salaires non payés alors que des heures de travail ont été réalisés), non reconnaissance des accidents du travail, conditions de logement indignes… oui, il suffit de visiter quelques logements et de regarder quelques fiches de payes et nos propos seront confirmés ! », rétorque l’Union syndicale CGT de l’agriculture et de la forêt.
Des compétences multiples
Emmeline Tabillon, secrétaire du syndicat des gardiens de troupeaux, et Tomas Bustaret, son trésorier, ont expliqué les raisons de leur mobilisation, ce 5 avril devant la chambre d’agriculture de l’Isère. En soulignant que ces négociations visent simplement à obtenir un accord qui prenne en compte les spécificités de leur métier, l’Isère étant l’un des rares départements pastoraux qui n’en dispose pas.
Gardien de troupeau est un métier difficile qui exige nombre de connaissances : soin des animaux, protection contre la prédation, connaissance de la montagne, création de plans de pâturage et de préservation des espaces… Autant de compétences nécessaires qui mises bout à bout définissent un métier d’agent de maitrise, quand ceux-ci ne sont payés qu’à peine un SMIC sur quelques mois pour 70 à 90 heures travaillées par semaine, contre 35 à 44 h comptabilisées.
Des outils de travail à la charge des salariés
L’essentiel de l’équipement nécessaire, les parapluies anti-foudre par exemple, est à la charge des gardien-nes. L’usure des matériels – les chaussures, par exemple – représente un coût que les bergers estiment à 1000 euros annuels. Les outils de travail et de protection des salariés sont pourtant, normalement, à la charge des employeurs. Les chiens, aptes à conduire les troupeaux, sont à la charge des gardien-nes toute l’année.
Tomas Bustaret, trésorier du syndicat.
Quant aux conditions de logements, elles dépendent des communes ou se situent les alpage ; nombre de cabanes sont inadaptées, sales ou insalubres, ne disposant parfois ni d’électricité, ni d’eau courante. Il n’est pas rare que les bergers ne disposant pas non plus d’eau en bouteille soient contraints de boire l’eau de sources polluées par les animaux et soient victimes d’intoxication. Aucun suivi par la médecine du travail, pour autant. Ces conditions de travail inacceptables semblent d’un autre âge, elles sont pourtant leur quotidien.
Leurs revendications portent également sur les salaires. Le syndicat demande l’alignement sur ce qui se pratique dans d’autres départements, 2500 euros net mensuels. Il demande que les heures travaillées soient payées – les heures supplémentaires ne sont souvent pas comptabilisées – afin qu’elles ouvrent droit aux cotisations retraite et chômage.
Concernant l’exercice de la profession, les gardiens de troupeaux demandent la prise en charge des équipements de sécurité par l’employeur à hauteur de 2500 euros et celle liée à l’entretien des chiens pour 1000 euros par an. Enfin, le syndicat demande la reconnaissance des accidents de travail – c’est un métier à risque, chute, entorse, attaques…- et l’amélioration des conditions de logement à l’estive.
Un métier essentiel à la préservation des espaces naturels et de la biodiversité
Des revendications que les employeurs auraient tout intérêt à satisfaire. Les conditions de travail sont telles que les bergers ne tiennent pas longtemps dans la profession, cinq étés en moyenne. Cinq saison, le temps qu’il faut pour acquérir toutes les compétences nécessaires. Que les bergers puissent exercer leur métier, un métier passion, dans de bonnes conditions, permettrait des troupeaux mieux conduits, des alpages mieux pâturés, du bétail mieux protégé.
D’autant que c’est un métier essentiel dans la préservation des parcs naturels et pour cela il est aujourd’hui fortement subventionné. Seul un cinquième du salaire du gardien-e reste à charge de l’employeur. Tandis que, pour l’entretien des espaces naturels, les éleveurs employeurs perçoivent des subventions, dont une part pourrait être consacrée à l’amélioration des conditions de travail.
Pourtant la filière et la FDSEA semblent s’arque bouter sur des évolutions minimes, des positions d’un autre temps.
Une nouvelle réunion est programmée fin avril
Ce vendredi 5 avril, la FDSEA avait choisi de refuser le dialogue social, pourtant d’intérêt mutuel. Car ce qui est en jeu aujourd’hui, c’est l’avenir d’une tradition séculaire, d’une agriculture saine et responsable ; c’est la préservation de grands espaces naturels face aux défis environnementaux qui sont devant nous.
Cette semaine, à l’occasion de l’assemblée générale de la Fédération des alpages de l’Isère, les gardiens de troupeaux iront informer les éleveurs de la difficulté du dialogue avec la FDSEA. Une nouvelle réunion de la commission mixte paritaire doit avoir lieu à la fin du mois – si elle n’est pas annulée une fois de plus par la partie patronale.
Des syndicalistes en lutte contre la précarité de leur métier que vous pourrez retrouver sur leur stand à la foire de Beaucroissant les 20 et 21 avril, ainsi qu’au débat organisé avec André Chassaigne, candidat communiste à l’élection européenne, le 20 avril à 16 heures au stand La Terre le Travailleur alpin, à la foire de Beaucroissant.
Eric Janon
La FNSEA recrute hors Union européenne
Dans une interview récente, le président de la FDSEA de l’Isère, Jérôme Crozat, a estimé que les revendications des salariés de l’agriculture, dont les gardiens de troupeaux, allaient contraindre les exploitants agricoles à faire appel à de la main d’oeuvre étrangère.
Ce n’est pas un projet. Depuis l’automne dernier, la FNSEA a mis en place au niveau national un dispositif pour recruter des salariés agricoles hors Union européenne.
Dans un article du 13 février dernier, le journal Alpes & midi évoque en ces termes une communication de la FDSEA des Hautes-Alpes : « la FNSEA propose une solution innovante et exclusive : le service « Mes Saisonniers Agricoles ». Ce service, développé en partenariat avec les ministères et les partenaires emploi de la Tunisie et du Maroc, offre une approche structurée et vertueuse du recrutement de main d’œuvre agricole hors Union européenne ».
De quoi limiter les velléités revendicatives dans la profession, effectivement.
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