Oisans. La montagne face au réchauffement climatique

Par Luc Renaud

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L’Oisans fait face aux conséquences du réchauffement climatique. Pour l’heure, la réponse des stations, c’est plus beau et (beaucoup) plus cher. Il faut pourtant se résoudre à une réduction progressive de l’impact du ski sur tout un territoire. Et imaginer de nouvelles pistes, celles d’un avenir. On n’en est pas encore tout à fait là. Décryptage.

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Les pistes d'Auris-en-Oisans, dans le domaine de l'Alpe-d'Huez.

L’Oisans aux six val­lées, deux sta­tions de renom­mée inter­na­tio­nale, les val­lons de la Meije… Pour­tant, en quinze ans, le col­lège du Bourg d’Oisans est pas­sé de 600 à 400 élèves. « Ce qui est devant nous, c’est la néces­si­té d’inventer une nou­velle façon d’habiter ce ter­ri­toire », com­mente Guy­laine Croi­bier Mus­cat, adjointe au maire du Bourg et vice-pré­si­dente de la com­mu­nau­té de com­munes.

Au siècle der­nier, les choses étaient plus simples : le ski. En vingt ans, les remon­tées méca­niques ont per­du deux mois d’ouverture. « Dix jours de mau­vais temps, de la pluie en décembre ou mars, et c’est le chiffre de toute la sai­son qui devient pro­blé­ma­tique », témoigne le gérant d’un res­tau­rant d’altitude sur les pistes de l’Alpe‑d’Huez. L’effort porte natu­rel­le­ment sur un tou­risme moins lié à la neige. Le Parc natio­nal des Ecrins, la mon­tagne, la ran­don­née, l’alpinisme – la Bérarde fut une Mecque de la haute mon­tagne en concur­rence avec Cha­mo­nix –, le vélo et ses grands ren­dez-vous, le Tour de France… de solides atouts. Pour­tant sans com­mune mesure, en terme de chiffre d’affaires, avec le ski. Sans comp­ter les effets de mode : « il y a quelques années, tout le monde vou­lait faire du ten­nis ; des courts ont été construits, nombre d’entre eux sont aban­don­nés aujourd’hui », note Guy­laine Croi­bier Mus­cat.

Le constat est là : l’essentiel de l’activité éco­no­mique dépend de la sai­son l’hiver. Pour les remon­tées bien sûr, mais aus­si pour le bâti­ment – même si les chan­tiers se déroulent l’été – ou l’activité com­mer­ciale. En sta­tion, les deux tiers des devan­tures res­tent closes l’été, qua­si toutes sont fer­mées pen­dant les inter­sai­sons. L’optimisme des élus des sta­tions frise la méthode Coué. Dans son jour­nal muni­ci­pal, le maire d’Huez se fait fort de « garan­tir le ski pen­dant de très nom­breuses années ». N’empêche : le pro­jet de liai­son entre les 2 Alpes et l’Alpe‑d’Huez – sept kilo­mètres de télé­por­té – a été aban­don­né, de même que le dou­ble­ment de la liai­son Venosc les 2 Alpes, tan­dis que l’ascenseur val­léen du Bourg à l’Alpe reste en débat, après l’expérience de l’ouverture de celui qui relie Alle­mond au domaine de l’Alpe.

Et, à part le ski ? Edf et Fer­ro­pem pour l’industrie, le bâti­ment, la fonc­tion publique ter­ri­to­riale, les tra­vaux publics avec l’entretien des routes – qui n’est pas une mince affaire en Oisans –, deux rési­dences pour per­sonnes âgées et l’agriculture. Pour un ter­ri­toire qui compte 11 000 habi­tants per­ma­nents.

Les grands projets abandonnés

La piste la plus sérieuse en terme d’activité éco­no­mique demeure le tou­risme dit des « 4 sai­sons ». Une cer­ti­tude pour­tant : elle n’égalera pas les grandes heures du ski. Mais le réchauf­fe­ment cli­ma­tique consti­tue­ra un atout pour la mon­tagne en été : il y fera meilleur qu’en plaine. Ce qui d’ailleurs com­mence à poser des ques­tions nou­velles : la sur­fré­quen­ta­tion du lac de Lau­vi­tel ou du pla­teau d’Emparis, par exemple, assor­tie de réels pro­blèmes envi­ron­ne­men­taux.

Une autre acti­vi­té pour­rait tirer par­tie du réchauf­fe­ment, l’agriculture. Tra­di­tion­nel­le­ment, l’Oisans est terre d’élevage, Bourg‑d’Oisans dis­pose d’un abat­toir, équi­pe­ment deve­nu rare. Le maraî­chage pour­rait désor­mais s’y déve­lop­per. Il fau­dra pour cela sur­mon­ter un obs­tacle, le mirage de la construc­tion immo­bi­lière. « On a pris l’habitude de pou­voir vendre des ter­rains lors de chaque suc­ces­sion en réa­li­sant de belles plus-values ; avec les plans inon­da­tions et les ébou­le­ments, les terres qui res­tent ne sont pas construc­tibles, mais l’habitude a été prise de ne pas louer dura­ble­ment les terres aux agri­cul­teurs dans l’espoir qu’elles le deviennent un jour, ce qui n’arrivera pas », note Guy­laine Croi­bier Mus­cat tout en consta­tant néan­moins un début d’évolution posi­tive. La pré­sence du loup pose aus­si de nou­velles ques­tions.

Ques­tions ouvertes pour l’avenir de l’Oisans dans les décen­nies à venir. Ce qui n’empêche d’avoir à gérer le plus court terme. Le loge­ment, notam­ment. L’objectif est de den­si­fier la construc­tion pour ten­ter de réduire des prix de vente sous la pres­sion de l’immobilier en sta­tion. La construc­tion d’un foyer loge­ment pour per­sonnes âgées a été obte­nue et inté­grée à un pro­gramme immo­bi­lier. Les enjeux immé­diats, ce sont aus­si les trans­ports – les navettes en Oisans et les liai­sons avec la métro­pole pour les sala­riés qui font le tra­jet –, la déser­ti­fi­ca­tion médi­cale, la culture : les musées – celui du Bourg‑d’Oisans est en cours de restruc­tu­ra­tion –, le spec­tacle vivant – « le camion théâtre a fait un tabac à Riou­pé­roux » –, l’amélioration de la qua­li­té des ani­ma­tions tou­ris­tiques…

Une course contre la montre pour vite faire valoir les atouts d’un ter­ri­toire dont le futur reste aujourd’hui à inven­ter.

Alpe-d'Huez/
Un nou­veau quar­tier en voie d’achèvement à l’Alpe‑d’Huez.

Les lits ne se réchauffent toujours pas

Construction de résidences et d’hôtels de luxe et souhait affiché d’hébergements occupés par un tourisme des quatre saisons… L’Alpe‑d’Huez à l’heure du développement paradoxal.

Comme une course contre la montre. Pro­fi­ter des années de neige qui res­tent. En croi­sant les doigts. Et construire, vite, avant l’échéance de 2030, celle de la loi zéro arti­fi­cia­li­sa­tion nette (ZAN). Construire sera plus dif­fi­cile dès 2031, avec l’obligation de réduire l’artificialisation nette des sols. Ce qui vaut aus­si en sta­tion.

Construire avant 2030, oui mais quoi ? L’objectif affi­ché, ce sont les « lits chauds ». Des lits occu­pés, au moins l’hiver. Plus long­temps, si pos­sible.
Ce qui heurte fron­ta­le­ment « la main invi­sible du mar­ché ». De l’immobilier, en l’occurrence : en moyenne de 7 000 à 11 000 euros le mètre car­ré aujourd’hui, selon les sources. « Il devient dif­fi­cile de se loger, témoigne une com­mer­çante, bien­tôt il fau­dra des­cendre dans la val­lée jusqu’à Riou­pé­roux ». De fait, la popu­la­tion rési­dente de la com­mune d’Huez dimi­nue, de 1 671 per­sonnes en 1999 à 1 298 en 2020. Tan­dis que, pour les sai­son­niers, il manque 309 loge­ments en Oisans, selon un bilan de la com­mu­nau­té de com­munes.

37 m 2 à 400 000 euros

Loge­ment per­ma­nent plus dif­fi­cile d’accès paral­lè­le­ment à l’explosion de la spé­cu­la­tion immo­bi­lière haut de gamme, façon cinq étoiles. Des cha­lets ache­tés à plu­sieurs mil­lions d’euros. « Cette mai­son a été ven­due plus de six mil­lions à un pro­mo­teur qui va la raser pour construire une rési­dence de luxe », nous indique le gérant d’un res­tau­rant d’altitude. Avec une ques­tion : « quand on vend un cha­let à trois mil­lions à un mil­liar­daire de Bom­bay, en Inde, est-ce que ce sont vrai­ment des « lits chauds » ? » Un 37 m 2 à plus de 400 000 euros ? Peu de chance que l’on retrouve ces rési­dences à la loca­tion sai­son­nière.

Reste la clien­tèle hup­pée des hôtels quatre, cinq étoiles. Les rési­dences de tou­risme avec des séjours à la semaine jusqu’à 2000 euros pour 18 m². Rac­cord avec la jour­née de ski à 62 euros. Très loin de ces ensembles gérés par des comi­tés d’entreprise comme Renault ou Rhône-Pou­lenc, encore dans les années 90. Des lits qui n’avaient à l’époque pas le temps de refroi­dir.

Le modèle éco­no­mique actuel tien­dra-t-il encore long­temps ? Tant qu’il reste de la neige et des for­tunes. Pour la neige, le scé­na­rio est écrit.

Une bouée, l’é­vé­ne­men­tiel

« Ca repose sur des grands coups, le tour de France tous les trois à quatre ans, l’Alpe d’Huzes pour les cyclistes néer­lan­dais, la Mar­motte pour les cyclo­tou­ristes et Tomor­row­land, beau­coup plus petit… » A l’Alpe‑d’Huez, l’événementiel apporte certes un afflux de tou­ristes, été ou hiver. Dans le ski, la sta­tion s’est faite spé­cia­liste du ski de bosses, par exemple. Reste les jours qui passent entre chaque ren­dez-vous, les inter­sai­sons. « Le tour de France, c’est trois jours blin­dés tous les trois ans, le vélo, ce sont des pas­sion­nés qui font l’Alpe et partent faire le Ven­toux, Tomo­row­land, juste quelques jours dif­fi­ciles à pas­ser. » Une course aux coups de l’événementiel pour tenir la tête hors de l’eau, sans plus de pers­pec­tive ?

Montagne-PCF/
Fran­çois Simon lors d’une ren­contre avec des sai­son­niers dans le Ver­cors.

Des assises pour écrire une nouvelle page

La montagne a changé et changera. D’où l’idée d’écrire un projet de loi. Des assises pour en discuter, ce printemps.

À l’initiative de com­mu­nistes isé­rois, un groupe de réflexion sur mon­tagne s’est consti­tué depuis plus d’un an. Il ambi­tionne de tenir des assises au prin­temps 2024 pour aller vers une loi Mon­tagne avec au centre, les enjeux sociaux et envi­ron­ne­men­taux de ces ter­ri­toires fra­giles à l’avenir incer­tain.
L’annonce du grand pro­jet immo­bi­lier à Vil­lard-de-Lans, por­té par l’ex bas­ket­teur Tony Par­ker, a mis le Ver­cors en émoi. Dans une moyenne mon­tagne en crise, frap­pée d’incertitude sur son ave­nir tou­ris­tique en lien avec le dérè­gle­ment cli­ma­tique, cette fuite en avant cho­qua une grande par­tie des habi­tants.

Modèle économique, protection de l’environnement…

Les com­mu­nistes de la sec­tion « Fon­taine-Ver­cors », sous l’impulsion de Fran­çois Simon, mili­tant d’Autrans, se sont sai­sis du sujet. En dérou­lant le fil, ce sont toutes les ques­tions de la vie et de l’avenir de ces ter­ri­toires qui sont venues. Quel modèle éco­no­mique et pour qui, quelle sau­ve­garde de l’environnement, quelle concep­tion de l’accès aux loi­sirs de plein-air ?

L’annonce de l’attribution des JO d’hiver 2030 aux Alpes fran­çaises rend ces ques­tions encore plus actuelles.

Un groupe de mili­tants, s’élargissant d’abord aux mas­sifs isé­rois (Char­treuse, Oisans, Mathey­sine), puis à d’autres dépar­te­ments mon­ta­gnards (Hautes-Alpes, Savoie) s’est mis au tra­vail pour construire des réponses ori­gi­nales, tour­nant le dos aux logiques capi­ta­listes, et ten­tant de répondre aux usages mul­tiples de la mon­tagne.

L’ambition est d’aboutir à la rédac­tion d’une loi Mon­tagne qui pour­rait être por­tée par les par­le­men­taires com­mu­nistes.

Les assises en bref

Au programme des assises

Au prin­temps 2024, ces assises de la mon­tagne se tien­dront autour de trois thèmes : « Tra­vailler en mon­tagne », « vivre en mon­tagne » et la « mon­tagne pour tous ».
Elles ambi­tionnent de réunir scien­ti­fiques, élus, syn­di­ca­listes, asso­cia­tions, pour défi­nir les contours d’une poli­tique de la mon­tagne au ser­vice de tous ses habi­tants, res­pec­tueuse de l’environnement et per­met­tant à tout un cha­cun de jouir de ces ter­ri­toires.

Progressistes

La revue, édi­tée par le PCF sous la direc­tion d’Amar Bel­lal, sera par­te­naire des assises. C’est un tri­mes­triel arti­cu­lant les enjeux du monde du tra­vail, de l’environnement, et les avan­cées scien­ti­fiques et tech­niques. Pro­gres­sistes a édi­té le « Plan cli­mat empreinte 2050 », tra­jec­toire pro­po­sée par le PCF qui ne vise pas seule­ment la neu­tra­li­té car­bone à l’horizon de 2050 du point de vue des émis­sions ter­ri­to­riales, mais vise aus­si la réduc­tion de notre empreinte car­bone, c’est-à-dire les émis­sions liées à nos impor­ta­tions.

Sentinelle du climat

C’est en mon­tagne que les effets du réchauf­fe­ment cli­ma­tique sont les plus visibles : qu’il s’agisse des gla­ciers des Alpes, dont la dis­pa­ri­tion pro­gres­sive appa­raît iné­luc­table ; ou du man­teau nei­geux, qui va deve­nir pra­ti­que­ment inexis­tant à moins de 1500 mètres d’altitude, avec, pour consé­quence, une raré­fac­tion des res­sources en eau.

Le ski en France

Avec 10 mil­lions de tou­ristes sur les pistes, dont deux mil­lions d’étrangers, ce sont 250 sta­tions sur six mas­sifs. Ce sont aus­si 140 000 emplois directs, par­mi les­quels de nom­breux emplois sai­son­niers affec­tés à l’hébergement, aux trans­ports et aux remon­tées méca­niques et du tra­vail pour 20 000 moni­teurs de l’École du ski fran­çais (ESF) sur un tiers de l’année.

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