Dimitri, Guy, Dominique et Dominique Figuet, l’équipe de ludicaires des Contrées du jeu à Grenoble.

Le Monopoly était à l’origine un jeu de dénonciation des rentiers… Comme quoi ! Et il se crée chaque année des centaines de jeux de société pour les petits et les plus grands. La France – et même Grenoble – occupe une place de premier plan dans cette filière créative. Plongée au cœur d’un monde en pleine expansion qui a ses codes, ses règles et même ses festivals.

Dominique Figuet est ludicaire, gérant de la boutique grenobloise « Les Contrées du jeu », dans laquelle nous sont proposés près de deux mille jeux de société. Mais vous n’y trouverez pas le Monopoly, le jeu emblématique à la gloire du capitalisme : 200 millions d’exemplaires vendus dans le monde depuis sa création en 1935 attribuée à Charles Darrow, un ingénieur ruiné par la crise de 29. Il ne fit en réalité qu’adapter le jeu « Landlord’sGame » créé en 1904 par Elizabeth Magie, une secrétaire sténographe pour dénoncer la nature antisociale du monopole. Elle avait conçu deux types de règles : un mode coopératif ou, à l’opposé, un mode où, pour gagner, il fallait être le plus riche pour dépouiller ses adversaires. Une incitation par le jeu à une prise de conscience et à une dénonciation de l’oppression des rentiers de l’immobilier sur les locataires.

Les ludicaires sont eux-mêmes des passionnés de jeux. Ils ont une parfaite connaissance des jeux qu’ils proposent à leurs clients. Actuellement près de mille cinq cents nouveaux jeux sortent chaque année en France. Certains ludicaires ou ludothécaires produisent des vidéorègles pour les présenter sur le net.

Dominique Figuet a constaté le premier boom au moment de la réforme des 35 heures, en 2000. Au siècle dernier, les jeux étaient surtout des jeux de rôles, des jeux de stratégie, des wargames, très prisés d’un public à 90 % masculin de geeks (personne passionnée par un univers imaginaire, technologique ou scientifique) ou de nerds (personne douée d’une grande intelligence, mais qui montre de difficultés à s’intégrer dans la société). Dans les années 1990-2000 la production des jeux devient française, le style se distingue des productions antérieures pour l’essentielle allemande, les illustrations et le matériel deviennent moins austères, plus attractifs. Depuis une dizaine d’années Dominique Figuet constate un deuxième boom du commerce des jeux. Il a également observé une hausse constante de la clientèle féminine.

Le classement des jeux en boutique ludique est simple : jeux pour enfants par tranches d’âge, jeux grand public – jeu d’ambiance, de détente avec des règles simples – puis des jeux pour initiés qui gagnent en complexité, d’une durée supérieure à une heure, et enfin les jeux experts de durées parfois conséquentes jusqu’à six ou sept heures.

GRRR Games, U token 2 me, Game flow… des éditeurs grenoblois

La création d’un jeu de société résulte de la collaboration d’auteurs, inventeurs des règles, d’illustrateurs et d’éditeurs.

Des auteurs français comme Antoine Bauza ou Bruno Cathala ont une renommée internationale. En Isère on remarque Johannes Goupy et Yoann Levet. Les illustrateurs confèrent aux jeux un attrait graphique et une valeur artistique. Les éditeurs sont des entreprises qui développent les jeux et assurent leur distribution et commercialisation. GRRR Games, U token 2 me ou Game flow sont des éditeurs grenoblois.

Les ludicaires sont des professionnels qui connaissent toutes les multiples mécaniques des jeux et ils sauront vous conseiller, que vous soyez néophyte ou déjà amateur.

Sur le net, Board Game Arena est une plateforme de jeux en ligne qui ne concurrence en rien le marché des jeux : gratuitement, 9 503 000 adversaires à défier sur 760 jeux !

Les jeux ont aussi leurs festivals : le Festival internationnal des jeux de Cannes, où est remis un As d’or pour les catégories jeu de l’année : jeu enfant, jeu expert et enfin initié. Cet As d’or a pour objet d’attirer l’attention du public sur la diversité de la création ludique et de récompenser des jeux dotés d’un grand pouvoir de séduction, capables de procurer un plaisir de jeu réel. La qualité des matériaux, le bon fonctionnement des mécanismes, la lisibilité des règles, l’esthétique du jeu, la créativité des auteurs et la thématique souvent universelle doivent stimuler l’imaginaire du joueur et contribuer à faire du jeu un véritable objet culturel qui enrichit notre patrimoine.

Les professionnels et particuliers sont de plus en plus nombreux à fréquenter le Festival ludique international de Parthenay : 37e édition en juillet 2023 et 230 000 visiteurs en quinze jours, PEL « Paris est Ludique » et le salon professionnel Festival des jeux de société de Vichy.

Et, à ne rater sous aucun prétexte, Place aux jeux « le festival qui s’la joue », à Grenoble du 26 février au 3 mars 2024 à la halle Clémenceau !

Alain Allosio

La Maison des jeux de Grenoble

Créée en 1991, l’association a pour projet de promouvoir le jeu en tant que pratique culturelle populaire, émancipatrice et porteuse des valeurs de l’éducation populaire. Elle souhaite favoriser l’émancipation individuelle et collective : prendre conscience de sa place dans la société, comprendre les mécanismes de domination, développer son esprit critique, apprendre à s’organiser collectivement, et expérimenter sa capacité à agir. Ces étapes de prises de conscience, d’émancipation et d’augmentation de la puissance d’agir sont nécessaires pour une transformation sociale : aller vers plus de justice et de progrès social.

D’où vient l’argent ?

Les ludothèques municipales sont financées par les communes, l’intercommunalité parfois. La Caisse d’allocations familiales apporte également son concours à des associations ou à des collectivités. Elle contribue à l’investissement – 50 % maximum des dépenses engagées, plafonné à 20 000 euros – ou au fonctionnement – 10 € par heure de fonctionnement (ouverture ou actions), sous la limite de 552 heures par an.

Place aux jeux

«Place aux jeux, le festival qui s’la joue !» Un festival, donc, et il aura lieu à la halle Clémenceau, à Grenoble, du 26 février au 3 mars 2024. Des espaces spécialement conçus pour les 0-10 ans, pour les ados, pour les adultes avec des jeux de plateau, d’adresse, des jeux traditionnels du monde entier, des jeux de rôle, des jeux de figurines, rencontres avec des auteurs de jeux et des maisons d’édition !

 

ludothèques en Isère

tel est le résultat du recensement réalisé par le site planetekiosque.com. Municipales, associatives, intégrées, itinérantes… il y a en a pour tous les goûts.

La Maison des jeux, au 48 quai de France, à Grenoble.

Les ludothèques, une histoire de notre siècle

Ce n’est qu’en 2004 qu’a été rédigée la charte de qualité des ludothèques. Des lieux de partage et de détente ouverts à tous.

La Los Angeles Toy Loan serait la première ludothèque, créée en 1934 par un marchand de jouets qui souhaitait proposer des jouets aux enfants pauvres qui venaient voler dans son magasin !

Début 1960, des ludothèques se créent en Europe, d’abord au Danemark et Grande-Bretagne. Elles visaient principalement des enfants porteur de handicap. En Bourgogne, en 1968, la première ludothèque associative était créée et la première ludothèque municipale date de 1977.

Éducation, socialisation et plaisir

Enfin considérées en 2001 comme « lieu de rencontre et d’animation socio-culturelle, de documentation et de réflexion par et pour le jeu », c’est en 2004 qu’est établie la charte de qualité des ludothèques : « équipements culturels qui mènent des actions autour du jeu en tant que pratique et en tant que patrimoine ; elles sont gérées par des ludothécaires. Elles accueillent des publics de tout âge et sont ouvertes aux collectivités les plus diverses : écoles, crèches, centre de loisir, institutions spécialisées. Elles proposent du jeu sur place, du prêt, des animations, du conseil. En favorisant le jeu, les ludothèques aident les enfants à grandir et les parents à vivre des moments privilégiés avec eux. Convivialité, éducation, socialisation et plaisir font le quotidien des ludothèques ».
En tant que lieu de partage, espace de détente ouvert et neutre qui met à disposition de tous les publics sans exception différents types de jeux et de jouets, les ludothèques contribuent à combattre les inégalités sociales.

« Ouate ?! » Un jeu conçu par Isabelle Le Brun sur les fluctuations de l’attention et distracteurs.

Quand le jeu vivifie les neurones

Les jeux de société et la recherche en neurosciences ? Où l’on parle de réseaux de neurones et de fondements biologiques de l’apprentissage.

Isabelle Le Brun est docteur en neurosciences, maître de conférences à l’université Grenoble Alpes (UGA). Elle y enseigne notamment les stratégies d’apprentissage et développe des jeux pédagogiques. L’Enseignement transverse à choix interdisciplinaire (ETC) « Affûter ses neurones », qu’elle propose aux étudiants, vise à développer leurs stratégies d’apprentissage en tenant compte des connaissances actuelles sur le fonctionnement du cerveau. Avec Pascal Lafourcade, elle a rassemblé cette démarche dans un ouvrage, Comment s’exercer à apprendre ?. Ils présentent également des jeux de société mobilisant en particulier la mémoire, l’attention, les émotions, les motivations et la résolution de problèmes.

Toute activité ludique engage la personne dans ce qu’elle réalise et l’amène plus facilement à accepter ses erreurs : se tromper est moins grave dans le jeu, en terme de croyance dans nos fonctionnements inconscients, que de se tromper dans un cadre plus formel. Par le jeu, l’apprenant ose donc faire quelque chose ; oser est à la base de la motivation et de l’apprentissage. Les jeux stimulent ainsi nos aptitudes cognitives en induisant un état d’esprit de curiosité, d’interaction avec les autres.

Le jeu pour oser se tromper

La plasticité cérébrale est alors stimulée, c’est le fondement biologique de l’apprentissage : lorsqu’on apprend, des réseaux de neurones se créent à l’échelle cellulaire. Lorsqu’on mémorise, plusieurs neurones sont actifs en même temps et ainsi se crée une information. La mémoire consiste à entretenir les réseaux qui contiennent des informations dont on aura besoin ultérieurement.

Les jeux suscitent la motivation par le plaisir qui leur est associé. Dans un cadre pédagogique, il est cependant crucial de prévoir, après l’activité ludique, une séquence de retour d’expérience de façon à amener les apprenants à prendre du recul par rapport à ce qu’ils viennent de vivre, pour éviter qu’ils ne se rappellent que du jeu au détriment du contenu. Les activités pédagogiques ludifiées permettent ainsi d’amener des contenus de façon décontractée et motivante.

Les jeux sont donc un formidable levier d’apprentissage et la ludopédagogie est à prendre au sérieux !

Comment s’exercer à apprendre ? Améliorer ses stratégies d’apprentissage. Ed. Deboeck supérieur, 2e édition, 256 pages, 2022.

Erwan crée du lien social

Erwan Manyo, ludothécaire, anime une ludothèque associative. « Créer du lien social est ce qui me passionne. Des personnes qui ne se connaissent pas peuvent devenir amis par le jeu de société. Précédemment comme bénévole et maintenant comme ludothécaire, j’interviens auprès de différents publics pour des animations en hôpital de jour auprès d’adultes souffrant de troubles de la personnalité, en CATTP (centre accueil thérapeutique à temps partiel) en partenariat avec infirmière-psy et psychologue auprès d’enfants qui ont des troubles comportementaux ou encore en milieu scolaire auprès d’écoliers et collégiens en proposant des jeux travaillant sur la motricité, le langage, la socialisation. »

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