En gare de Lus-la-Croix-haute, le conducteur salue ceux qui viennent de descendre du train.

Depuis le 11 décembre, les trains circulent à nouveau sur la ligne des Alpes, après deux ans de fermeture de la ligne dont un de chantiers. Un événement salué comme il se doit par le collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes. Et une exigence qui demeure pour que soit poursuivie la modernisation de cette desserte ferroviaire.

Pour un peu, c’était un non événement. 35 millions d’euros de travaux, le retour des trains, une ligne sauvée après avoir été condamnée… circulez, il n’y a rien à voir. C’est ce qui a failli se passer le 11 décembre pour le retour des trains sur la ligne Grenoble Gap. Pas une déclaration de la préfecture ou du conseil régional, principaux financeurs. Pas un battement de cil de la SNCF. De quoi accréditer une idée : des trains sur la ligne des Alpes, ce n’était peut-être pas dans leurs plans.

Car cette reprise du trafic est bien le fait de la mobilisation inlassable des usagers et des cheminots, réunis au sein du collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes. Ce même collectif qui était là pour veiller au grain : si les festivités n’étaient pas institutionnelles ce 11 décembre, elles n’en furent pas moins de belle facture.

En cette fraîche matinée hivernale, des rassemblements étaient organisés à Gap et Grenoble. Cheminots et usagers se retrouvaient à Grenoble en présence d’Eric Piolle, maire de la ville, de Christophe Ferrari, président de la métropole, et de Guillaume Gontard, sénateur. De représentants de la majorité régionale, point.

Une bonne centaine de participants, dont une moitié prit le train dans la foulée, à 10h23. Direction, Lus-la-Croix-haute et sa gare, à 1000 mètres d’altitude. De larges sourires, la fanfare triévoise – superbe – de la Clique, l’enthousiasme d’Anna, crieuse publique ; et, au fil des gares, une ambiance de RER parisien aux heures de pointe – la joie de vivre en plus. Les cent vingt places assises des deux rames étaient occupées par quelque trois cents personnes qui descendirent à midi à Lus. Une petite heure plus tard, elles étaient rejointes par celles qui avaient pris le train à Gap et à Veynes pour monter à Lus par le sud. Et les discours heureux du maire de Lus-la-Croix-haute, Laurent Bernard, de la députée écologiste de cette circonscription drômoise, Marie Pochon, ou du sénateur et conseiller départemental, Bernard Buis, devant plus de quatre cents personnes tout à leur bonheur.

De Marc-Jérôme Hassid, pour le collectif de l’étoile de Veynes, également. Tout à la joie de cette victoire. « La ligne est sauvée pour plusieurs années », disait-il. Mais, soulignait-il aussi, la fin de la mobilisation n’est pas pour demain : ce n’est pas parce que l’on gagne contre l’État qu’il ne reste pas de grain à moudre. Le rassemblement d’usagers au passage du train dans des gares fermées, comme à Saint-Maurice-en-Trièves, était là pour en témoigner.

2 h 34 en 2023, 1 h 50 dans les années 60

La situation se résume simplement. Le temps de trajet entre Grenoble et Gap est aujourd’hui de 2 h 34, pour le plus rapide. Pour ce parcours de 142 km, une moyenne de 55,32 km/h. Sur la ligne, huit gares sont desservies. Dans les années 60, on mettait 1 h 50 pour rallier Gap – 2 h 14 en 2017 – et quinze gares étaient ouvertes. « Nous, ce qu’on aimerait, c’est un retour vers le passé », s’amuse Marc-Jérôme Hassid. D’autant qu’en voiture, la durée du trajet est de l’ordre de deux heures. Sans compter le prix du billet Grenoble Gap : sans réduction, 23,60 euros l’aller simple.

En cause… les travaux qui restent à faire pour revenir à l’état des voies d’il y a 60 ans. Après plusieurs décennies d’entretiens faméliques, il faudra encore investir quelques dizaines de millions d’euros. L’ouverture des chantiers a été reportée, envisagée pour 2027. Reste la question traditionnelle : qui va payer ?

« Nous avons rencontré Frédéric Aguilera, vice-président du conseil régional chargé des transports, indique Marc-Jérôme Hassid, il estime que l’investissement sur infrastructure relève de l’État et que la région peut, elle, s’occuper de l’achat des trains ; tout en précisant que des arbitrages seraient rendus en fonction de la fréquentation des lignes ». Là encore, rien que de très traditionnel : on fait rouler les trains à petite vitesse, on désorganise les correspondances – jusqu’à 7 h 31 pour aller en train de Briançon à Grenoble – et on constate que les usagers recherchent des alternatives au train… En oubliant au passage les discours sur l’aménagement du territoire et l’égalité d’accès au service public.

Il reste du pain sur la planche de la mobilisation à laquelle appellent dès aujourd’hui le collectif de l’étoile ferroviaire de Veynes et la CGT cheminots. Assurer la pérennité de la ligne, envisager son ouverture à certains trafics de marchandises, développer une branche du RER grenoblois jusqu’à Clelles… tout cela se fera « à frottements durs ».

Tout comme a été acquise la première tranche de travaux d’urgence qui permet aujourd’hui aux trains de reprendre le chemin du col de Lus-la-Croix-haute pour rejoindre Veynes. Une victoire qui montre la voie.

Trois lignes de RER

Le RER grenoblois, ce sont des trains tous les quarts d’heure en heure de pointe entre Rives et Brignoud ; toutes les demi-heures entre Clelles et Grenoble et Saint-Marcellin et Gières. Avec de gros travaux d’infrastructures : le passage à quatre voies (dont il faudra trouver la place) entre Moirans et Grenoble et à deux voies entre Grenoble et Jarrie (là, l’État devra revenir sur la limitation des circulations au droit des plateformes chimiques). Travaux également pour que les trains puissent faire demi-tour à Brignoud, Rives et Saint-Marcellin.

Le métier n’attire plus

« Fin septembre 2022, il avait déjà plus de démissions de conducteurs qu’au cours de toute l’année 2021 », constate Bernard Tournier. En cause, les salaires, mais aussi les reculs du régime de retraites, les conditions de travail. Les horaires décalés de jour comme de nuit, les repos à l’extérieur… les inconvénients de ces métiers ont de moins en moins de contreparties. Aujourd’hui, le manque de personnels est l’une des premières causes des suppressions de train.

conducteurs

c’est le nombre de mécanos – les conducteurs de train – dont la SNCF a supprimé l’emploi en 2017. Aujourd’hui, l’entreprise annonce vouloir embaucher… 1 200 conducteurs sans parvenir à trouver les candidats en nombre suffisant.

Moderniser les infrastructures

Augmenter le nombre des trains implique des voies nouvelles, mais également la modernisation des équipements actuels. Le système de signalisation dit european rail traffic management system permet de faire passer davantage de trains dans un même créneau horaire. De même, la possibilité de rouler sur un aiguillage à 60 km/h au lieu de 30 aujourd’hui permettrait de désengorger l’accès aux grandes gares. Des investissements nécessaires.

Le transports des marchandises, aussi

La lutte contre le réchauffement climatique passe par le report modal. Des automobilistes dans les trains, mais aussi des camions sur le rail. Accroître massivement le nombre de trains voyageurs implique des infrastructures qui permettent d’absorber ce trafic supplémentaire, mais aussi celui des marchandises. Une autre façon de reposer la question du financement des voies d’accès au tunnel international du Lyon Turin. Contrairement à l’Italie, la France n’a toujours pas pris de décision sur les tracés et le financement des travaux. Au point que l’Union européenne, prête à financer 55 % de la facture, menace de reporter ces crédits aujourd’hui disponibles à la prochaine programmation, en 2027.

milliards

de bénéfices à l’horizon 2030. C’est l’objectif communiqué par la direction de SNCF réseau aux représentants du personnel. Au moment où le réseau ferré a besoin de tant de milliards… d’investissements.
Rer Grenoble CGT SNCF
Bernard Tournier, l’un des responsables du secteur Alpes des cheminots CGT.
A Grenoble, le RER aimerait commencer à faire ses études

Rien de concret, pour l’heure, chez SNCF réseau. Non plus qu’au niveau du conseil régional.

Un grand jeu de poker menteur. Et une réalité qui s’imposera un jour ou l’autre : l’amélioration de la qualité de l’air et de celle des transports quotidiens passe nécessairement par le RER grenoblois. Le train.

Personne ne dit le contraire. Ce serait même plutôt la surenchère. « À la Région, notre volonté est de lancer les travaux de la première partie qui permet d’aller jusqu’à Brignoud dès 2022 pour basculer sur ce RER grenoblois en 2023 ou 2024 », déclarait Laurent Wauquiez le 1er avril 2021 dans les colonnes du Dauphiné libéré. Lors de la réunion du conseil métropolitain du 28 février 2020, Christophe Ferrari, président de Grenoble Alpes métropole annonçait pour 2025 « une desserte au quart d’heure entre Domène et Brignoud grâce à la réouverture de la halte ferroviaire de Domène et au déplacement de la gare du Pont-de-Claix ». En précisant tout de même que l’ensemble du dispositif verrait le jour en 2035.

Évoquons encore le plan de déplacement urbain, adopté par le Syndicat mixte des mobilités de l’aire grenobloise (SMMAG) le 7 novembre 2019. Au titre des réalisations prévues pour 2023, ce document prévoyait par exemple « une offre au quart d’heure en heures de pointe entre Rives et Brignoud » ou encore « une offre à la demi-heure, en heures de pointe entre Grenoble et Clelles ». Ajoutons une décision prise le 28 février 2020 par le conseil métropolitain, celle de la participation de la métropole au financement d’une étude de faisabilité – 236 000 euros sur les 1,68 million du total.

Annoncé pour 2023 ou 2024

Depuis, la covid est passée par là. Le moins que l’on puisse en dire est que le calendrier a pris du retard. Et ne parlons pas du bouclage du tour de table financier.

Pour ce qui est de Grenoble Brignoud, ce ne sera pas avant 2027. Et non pas Rives Brignoud. L’arrêt à Domène, pour 2026. Pour Clelles, après la réouverture de la ligne des Alpes, neuf trains font l’aller retour chaque jour.

Et pour tout le reste, c’est l’inconnu. Avec une grande muette, la SNCF. « C’est logique, nous avons tellement perdu en ingénierie ces dernières décennies que l’on voit mal comment la SNCF pourrait préparer ces grands chantiers, et pas seulement à Grenoble », relève Bernard Tournier, l’un des responsables CGT du secteur Alpes.

On parle tout de même de travaux d’un montant supérieur à un milliard. Là, il faudra attendre une décision du conseil régional. La partie dite « mobilités actives 2035 » du contrat de plan Etat-région est annoncée pour le printemps prochain. C’est à ce moment là que l’on aura une idée plus précise du calendrier d’une éventuelle mise en œuvre. Et surtout des financements programmés par l’État, la région, la SNCF et les collectivités territoriales qui auront alors fait le bilan de la crise énergétique et du montant des dotations de l’État.

Dans l’attente du contrat « mobilités actives 2035 »

C’est aussi en 2023 que sera renouvelée la convention qui lie la région, autorité organisatrice du transport régional, et la SNCF. Une convention pour dix ans. « La région prépare l’ouverture à la concurrence pour 2033 », craint Bernard Tournier. Le président de la région ne manque d’ailleurs pas une occasion de dénoncer l’inefficacité de la SNCF. Mettre en service un RER grenoblois – et potentiellement ceux de Lyon et Saint-Etienne – sous l’égide d’un groupe privé au cas où la majorité régionale serait confirmée en 2026 ?

Alors il reste l’annonce du président de la République le 27 novembre sur YouTube : dix réseaux de RER en France. Une déclaration d’intention parmi d’autres ? Comme le rappelle la sagesse des nations, c’est à la fin du bal qu’on paie les musiciens. Ou au pied du mur qu’on voit le maçon.

Grenoble ne fait pas la course en tête

Dix réseaux de RER dans dix grandes agglomérations ? Le coup de com du président de la République ne tombe pas du ciel. C’est que les projets sont publics depuis longtemps. A Grenoble, surtout dans les discours. Dans d’autres villes, les travaux sont terminés ou en cours.

Le Léman express a été mis en service le 15 décembre 2019. Quarante-cinq gares avec une ligne nouvelle souterraine entre Annemasse et Genève. Des accords ont été signés entre l’Etat, les régions, les métropoles, la SNCF et parfois les départements à Bordeaux, Lille, Strasbourg… Des mises en service en 2030 sont annoncées. Des réalisations sont achevées. Elles constituent les premières pierres des RER concernés : la voie L à Lyon Part-Dieu, une nouvelle gare à proximité de Bordeaux où la concertation se déroule sur les trois lignes traversantes du futur RER, une quatrième voie ouverte entre Strasbourg et Vendenheim, métropole où 800 trains supplémentaires par semaine ont été mis en service le 12 décembre dernier… A Lille, les études de faisabilité sont en cours.

A Grenoble, on en est à souhaiter obtenir un tour de table financier et des études techniques sur la globalité du projet.

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