Energies. HLM, commerces, particuliers… comment ils essaient de s’en sortir

Par Travailleur Alpin

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L’explosion des prix de l’énergie frappe l’ensemble de l’activité économique. Le commerce de proximité, par exemple. Yann Guérin, traiteur restaurateur, est un militant de l’économie d’énergie. Le bouclier tarifaire mis en œuvre par l’État devrait se traduire par un doublement du coût de l’électricité qui lui est indispensable.

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Les grands « petits gestes » d’un traiteur engagé et la réalité des prix.

Yann Gué­rin était infor­ma­ti­cien dans une com­mune, puis char­gé de mis­sion en matière de déve­lop­pe­ment durable. L’écran, ça ne fait pas une vie : il a choi­si de se recon­ver­tir dans la res­tau­ra­tion après l’obtention de son CAP cui­sine. Fini « les sauces en poudre » vues au centre de for­ma­tion ! Yann réa­lise lui-même les plats avec des ingré­dients de pro­duc­teurs locaux (fruits, légumes, pois­sons, viandes, bois­sons…). Il se four­nit prin­ci­pa­le­ment en Isère, Savoie et Hautes-Alpes. Dans son com­merce, le coin épi­ce­rie locale fait hon­neur aux pro­duits du Ver­cors.

Ain­si va, depuis 2017, La part de Jeanne, le nom de son éta­blis­se­ment de trai­teur res­tau­ra­tion, sur la place com­mer­çante de La Fau­con­nière à Seys­si­net-Pari­set. Un ser­vice bio de qua­li­té. Loca­taire du local com­mer­cial pri­vé, Yann Gué­rin est com­mer­çant indé­pen­dant, pas­sion­né par son nou­veau métier. Il n’a pas de sala­rié et fait appel si besoin à des extras.

Ouvert du mar­di au same­di, avec seule­ment deux semaines de fer­me­ture en août, Yann Gué­rin effec­tue entre vingt-cinq et trente repas par jour, en moyenne men­suelle. Contraint d’avoir aug­men­té ses tarifs entre dix et quinze pour cent, le plat du jour en bio est entre treize et quinze euros. Il constate déjà une baisse de la fré­quen­ta­tion de la clien­tèle et s’attend à un pre­mier tri­mestre 2023 dif­fi­cile, comme les autres com­mer­çants.

Pour­tant, les fac­tures devront être payées. Celles de l’électricité, notam­ment. Dans son com­merce, tout est élec­trique et son four­nis­seur (Gaz et élec­tri­ci­té de Gre­noble) lui a annon­cé une aug­men­ta­tion de 334 %. GEG lui conseille de mettre fin au contrat. A ce jour, il dis­pose d’un tarif « vert », plu­tôt avan­ta­geux. Il béné­fi­ciait d’une légère réduc­tion avec le Syn­di­cat des res­tau­ra­teurs. Celle-ci n’existe plus. « La mise en place par l’État du bou­clier tari­faire, c’est en fait 25 % d’augmentation mais par rap­port à quoi ? Je pense avoir 100 % d’augmentation si je signe un contrat avec Engie », s’inquiète-t-il. Beau­coup d’incertitude pour Yann Gué­rin et l’avenir de La Part de Jeanne.

334 % de hausse annoncée

Réduire sa consom­ma­tion d’énergie, c’est pour­tant son che­val de bataille depuis long­temps, sou­cieux qu’il est de notre pla­nète et de son habi­ta­bi­li­té. L’éclairage de sa bou­tique est assu­ré par des LED et il uti­lise des bocaux consi­gnés pour les plats à empor­ter ou à consom­mer sur place. Il a fait l’achat d’un véhi­cule élec­trique. Les bat­te­ries élec­triques de ces véhi­cules n’appartiennent pas au pro­prié­taire de la voi­ture, c’est de la loca­tion men­suelle. Pour lui, c’est une dépense de cin­quante huit euros hors taxe. Il effec­tue envi­ron sept cents kilo­mètres par mois. Domi­ci­lié dans une mai­son, il peut rechar­ger son véhi­cule en heures creuses pour quinze à vingt euros par mois, et roule en mode éco­no­mique.

Tou­jours inves­ti en matière éco­lo­gique, Yann Gué­rin a par­ti­ci­pé au défi 2022 « Gre­noble, capi­tale verte », sur la thé­ma­tique des éco­no­mies d’énergie. Il a inves­ti dans son éta­blis­se­ment. Cela concerne le chan­ge­ment du chauffe eau avec des réser­voirs deux fois plus petits et plus effi­caces. Celui-ci s’adapte aux besoins d’une consom­ma­tion spé­ci­fique par volume selon les besoins du jour. Ses vitrines sont équi­pées de filtres anti UV, ce qui limite la consom­ma­tion des étals pré­sen­tant les plats et bois­sons. Il a chan­gé le cli­ma­ti­seur et ne l’utilise pas à moins de vingt-six degrés dans la bou­tique. Il a per­çu, pour ces actions, une aide finan­cière de Gre­noble Alpes métro­pole au vu de la per­for­mance du maté­riel ache­té.

Yann Gué­rin pense avoir déjà réduit sa consom­ma­tion élec­trique d’au moins vingt pour cent, mal­gré l’achat d’une petite cave à vin. Il ne s’en tient pas là. Désor­mais, l’après-midi, il vide sa vitrine réfri­gé­rée pour sto­cker les plats dans les fri­gos de l’arrière bou­tique. Les fours, le lave-vais­selle… sont allu­més au der­nier moment.

Tout cela suf­fi­ra-il ? Il est en per­ma­nence à la recherche des dis­po­si­tifs publics aux­quels il a droit, y ajoute la mise à jour de connais­sances comp­tables, le sui­vi constant de l’évolution des régle­men­ta­tions et des lois. La moindre éco­no­mie pour gérer son com­merce est pri­mor­diale.

Enga­ge­ment pour l’environnement et les éco­no­mies d’énergie, diver­si­té de ses com­pé­tences tech­niques et admi­nis­tra­tives… autant d’atouts pour faire face aux dif­fi­cul­tés. Toutes choses qui doivent être pré­ser­vées, non seule­ment pour Yann Gué­rin mais aus­si pour ce que repré­sente un com­merce de proxi­mi­té de qua­li­té.

Clau­dine Didier

Une agression au long cours

1946. Natio­na­li­sa­tion de 1 550 réseaux de dis­tri­bu­tion, pro­duc­tion trans­port et com­mer­cia­li­sa­tion d’électricité en France. Rever­se­ment annuel à leurs diri­geants de 1 % de la vente en France pen­dant 50 ans envi­ron.

1996. Loi de déré­gle­men­ta­tion, écla­te­ment de l’établissement public indus­triel et com­mer­cial (EPIC) EDF-GDF.

1999. Pour­suite de l’éclatement. Trois socié­tés : EDF, GDF et RTE (réseau de trans­port de l’électricité).

2004. Trans­for­ma­tion en socié­té ano­nyme avec ouver­ture du capi­tal d’EDF au pri­vé. Créa­tion de la filiale ERDF, renom­mée Ene­dis, char­gée de l’acheminement de l’électricité aux usa­gers ; RTE étant char­gé de four­nir l’électricité aux dis­tri­bu­teurs.

2010. Adop­tion de la loi Nomé (nou­velle orga­ni­sa­tion du mar­ché élec­trique) qui pré­voit la créa­tion de l’Accès régu­lé à l’énergie nucléaire his­to­rique (ARENH). EDF est contrainte de vendre à bas coût son élec­tri­ci­té d’origine nucléaire aux dis­tri­bu­teurs dit alter­na­tifs (Total éner­gie, Leclerc, CD Dis­count…) EDF pro­duit bon mar­ché mais doit vendre à bas coût et ache­ter au prix du mar­ché euro­péen pour répondre à la demande.

Emploi

Avec une cen­trale nucléaire (6800 emplois en comp­tant la sous-trai­tance) et de nom­breux équi­pe­ments hydro­élec­triques, le dépar­te­ment est pro­duc­teur net d’électricité. Les sup­pres­sions d’emploi se pour­suivent.

Les propositions de la CGT

Le gou­ver­ne­ment Macron annonce la rena­tio­na­li­sa­tion d’EDF. Une éta­ti­sa­tion, en fait, EDF devant res­ter une socié­té ano­nyme. Le rachat de ce qui avait été ven­du en 2004 repré­sente dix mil­liards d’euros d’argent public.

La CGT demande la créa­tion d’un ser­vice public glo­bal de l’énergie qui soit l’outil de lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique. Avec l’objectif de sor­tir de la concur­rence la pro­duc­tion, le trans­port, la dis­tri­bu­tion et la com­mer­cia­li­sa­tion de l’énergie. La CGT pro­pose de struc­tu­rer cet ensemble en éta­blis­se­ments publics (EPIC) gérés démo­cra­ti­que­ment avec la par­ti­ci­pa­tion de repré­sen­tants des sala­riés et des citoyens. Par ailleurs, s’agissant d’un bien de pre­mière néces­si­té, la CGT demande la baisse de la TVA sur la consom­ma­tion de l’électricité et du gaz (actuel­le­ment de 20 %) à 5,5 % dans un pre­mier temps.

Rudy-Propelski/
Rudy Pre­po­les­ki secré­taire du syn­di­cat éner­gie C.G.T Isère.

19 degrés et col roulé… pourquoi, au fait

Défaut de production, explosion des prix… le fruit de décennies de déréglementation.

L’origine de l’explosion des prix de l’électricité ? Cer­tai­ne­ment pas les coûts de pro­duc­tion. La France pro­duit l’électricité la moins chère en Europe.

La hausse, c’est une consé­quence de la déré­gle­men­ta­tion au niveau euro­péen. Le prix des mar­chés est basé sur le der­nier kWh pro­duit pour assu­rer l’équilibre entre la pro­duc­tion et la demande. La der­nière cen­trale mise en route pour évi­ter la rup­ture : elle fonc­tionne au gaz, tech­nique de pro­duc­tion qua­si immé­diate. Or le gaz était majo­ri­tai­re­ment russe, en Europe. Il a fal­lu l’acheter plus cher, aux Etats-Unis, entre autres.

EDF, un pillage en règle

La déré­gle­men­ta­tion, c’est aus­si… une nou­velle règle. Celle de l’ARENH, comme Accès régu­lé à l’électricité nucléaire his­to­rique. Cette règle, c’est de contraindre EDF à vendre son élec­tri­ci­té peu chère à ses concur­rents pri­vés qui, eux, ne sup­portent pas le coût des inves­tis­se­ments pour la construc­tion des cen­trales. Sans comp­ter que ces concur­rents achètent pas cher en 2021 et revendent au prix du mar­ché de 2022… tan­dis qu’EDF achète au prix 2022 pour com­pen­ser ce qu’elle a dû vendre en 2021…

Au point qu’EDF, notée comme les entre­prises et les États par des cabi­nets finan­ciers, craint la dégra­da­tion… ce qui aug­men­te­rait encore le coût des emprunts aux­quelles elle pour­rait accé­der.

Mar­tine Briot

Immeuble/
La réno­va­tion ther­mique des loge­ments sociaux est plus que jamais l’enjeu du moment.

Bailleurs sociaux. Comme un lapin dans les phares

Face à la crise, les bailleurs conseillent les éco-gestes… tout en s’inquiétant du niveau d’investissement dans le logement social.

« Mon loyer ou mes charges vont-ils aug­men­ter ? » « Vais-je devoir cou­per mon chauf­fage cet hiver ? » Des ques­tions de ce type, Reda Sli­ma­ni, ani­ma­teur CNL à Gre­noble, y est régu­liè­re­ment confron­té. « La remise en route du chauf­fage se fait pro­gres­si­ve­ment, pla­fon­né à 19°, dans des condi­tions par­fois très com­pli­quées du fait de loge­ments mal iso­lés », pré­cise Réda Sli­ma­ni, qui regrette « un manque de visi­bi­li­té » concer­nant l’anticipation des bailleurs sociaux sur les coûts éner­gé­tiques. Et il s’inquiète d’un « ajus­te­ment par la régu­la­ri­sa­tion des charges ».

La crainte d’un ajustement par les charges

Les bailleurs sociaux et leurs par­te­naires annoncent, eux, avoir au contraire fait beau­coup pour la réha­bi­li­ta­tion ther­mique et la maî­trise de l’énergie, en interne et auprès des loca­taires. Si Per­rine Joli­vet (ACTIS) sou­ligne que son orga­nisme a mis en place une pla­te­forme « pré­ca­ri­té éner­gé­tique » visant à repé­rer et accom­pa­gner socia­le­ment les ménages en dif­fi­cul­té, pour Jean-Jérôme Cal­vier (Ulisse Ener­gie) et Karine Renard (Plu­ra­lis) « l’enjeu est de rendre le loca­taire auto­nome et res­pon­sable » en le sen­si­bi­li­sant et le for­mant aux éco-gestes ain­si qu’à la maî­trise tech­nique.

Audrey Schem­bri (Alpes Isère Habi­tat) abonde en expli­quant com­ment ont été mis en place des achats grou­pés d’énergie inter bailleurs pour obte­nir un tarif en-des­sous du tarif régle­men­té et en faire béné­fi­cier les loca­taires… Avec un suc­cès fina­le­ment rela­tif suite aux effets du mar­ché spé­cu­la­tif euro­péen sur les prix…

Arthur Lhuis­sier (Un Toit pour tous) insiste, lui, sur la néces­si­té et l’urgence de l’investissement public dans le loge­ment social pour faire face aux défis sociaux et éner­gé­tiques. Car oui, au final, c’est quand même bien le pro­blème.

Didier Gos­se­lin

85000

loge­ments sociaux

c’est ce que compte le dépar­te­ment de l’Isère. 70 % des ménages sont éli­gibles à un loge­ment social. Depuis la Loi Duf­flot de 2014, les com­munes de plus de 3500 habi­tants doivent avoir au moins 25% de loge­ments sociaux.

Agglo

Echi­rolles et Saint-Martin‑d’Hères accueillent res­pec­ti­ve­ment 41 % et 42% de loge­ments sociaux (sta­tis­tiques de 2018, pour­cen­tages en hausse par rap­port à 2012). D’autres comme Mey­lan, Claix ou Sas­se­nage font de la résis­tance ou sont dites « en rat­tra­page » avec des taux de loge­ments sociaux entre 11 et 15 %…

Nord Isère

Dans le Nord-Isère, 85% des loge­ments sociaux de la Capi (com­mu­nau­té d’agglomération des Portes de l’Isère) se concentrent à Bour­goin-Jal­lieu (15 % de taux de loge­ments sociaux), L’Isle d’Abeau (41 %) et Vil­le­fon­taine (60 %).

France

En 2016, 10,7 mil­lions de per­sonnes sont loca­taires d’un loge­ment social – 4,5 mil­lions de loge­ments, soit 16 % de l’ensemble du parc de loge­ments occu­pés. Le taux de pau­vre­té y atteint 35 %, contre 23 % pour les loca­taires du sec­teur libre et 7 % chez les pro­prié­taires occu­pants.

« Le gaz et l’électricité sont des biens essen­tiels de pre­mière néces­si­té. Leurs prix doivent être blo­qués et fixés en rap­port avec la réa­li­té des coûts de pro­duc­tion. Ils doivent être sor­tis des mar­chés et ne plus faire l’objet de spé­cu­la­tion ».

Fabien Rous­sel, secré­taire natio­nal du PCF.

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