Villeneuve de Grenoble. L’envers du décor médiatique

Par Luc Renaud

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La Villeneuve de Grenoble. Une ville dans la ville, un éco-quartier avant l’heure, une utopie post-soixante-huit, un quartier « politique de la ville », un chantier de grande ampleur, des équipements collectifs... La Villeneuve, c’est tout cela et plus encore. La parole à ses habitants pour évoquer leur vie, leur Villeneuve et son avenir.

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La Villeneuve de Grenoble. Un "quartier chaud", affirme la réputation médiatique.

«Pour circuler dans la cité, il faut recourir à un protecteur, comme en zone de conflit. » Ca, c’est ce qu’écrit le grand reporter en banlieue. Il travaille pour Valeurs actuelles, un hebdo de droite, bien à droite. Alors, la Villeneuve, ses trafics et ses fusillades ?

Rencontre avec une amoureuse du quartier, la jeune chanteuse Léa Dessene. Originaire du Village olympique, elle apprend la musique dès son plus jeune âge au sein d’une annexe du conservatoire rattachée à l’école des Frênes, en plein cœur de la Villeneuve. Dès lors, le chant ne la quittera plus.
Marquée par l’histoire de son enfance au milieu des HLM, elle décide de rester. En compagnie de l’accordéoniste Norbert Pignol, elle crée la compagnie Mégaptère du nom du grand mammifère marin. Elle rend ainsi hommage aux origines malgaches de sa famille et se lance dans la composition de spectacles de rue ou en intérieur, basés sur l’univers marin. Baleine à bosse est un concert pour le jeune public. Pour les enfants plus petits encore, dès l’âge de quatre mois, la compagnie propose un spectacle innovant, La balade de Baleineau, qui retrace l’histoire d’un petit baleineau à la découverte de l’océan sur fond de musiques du monde. L’ensemble est joué au sol et les familles sont installées sur des tapis colorés aux multiples textures.

La compagnie organise également de nombreux ateliers au sein des MJC, MDH, associations d’insertion. Objectif, apprendre la musique à tout type de public sans qu’aucune base de solfège ne soit nécessaire. Léa se produit régulièrement dans le quartier et fréquente assidûment un studio d’enregistrement aménagé dans l’appartement HLM d’un locataire d’Actis où elle rencontre d’autres musiciens aux esthétiques variées. Cette richesse créatrice inspirés par les origines de chacun, c’est pour Léa le signe de la vitalité de la scène musicale à la Villeneuve. Qu’elle souhaite vivement continuer de développer en y impliquant le plus grand nombre.

La vitalité de la scène musicale

La musique, mais pas seulement. La conception architecturale du quartier, la diversité de ses habitants, ce grand parc qui a reçu les Grenoblois pour les dernières festivités du 14 juillet… Son endroit préféré ? Le « lac », le bassin au centre du parc où elle se pose régulièrement en bordure. « Cela me rappelle la mer », dit-elle dans un sourire. Toujours la mer…

En remontant les chemins arborés vers le sud, on atteint le 100 de la place des Géants. Nouvelle ambiance, celle du salon de thé, Le Rhumel, où il suffit de s’arrêter une fois pour faire partie du décor.

Djalil se rend là-bas tous les jours après ses heures de travail. Le week-end, aussi. Il aime se poser sur la terrasse et discuter de tout et de rien à proximité des sculptures qui ont donné leur nom à ce « quartier dans le quartier », celui des Géants. Djalil remplace même le patron quand celui doit s’absenter.

Il n’habite plus sur place depuis quelques années. Mais il revient systématiquement au café car il est attaché à ses amis, aux gens et aux jeunes qui le fréquentent. Pour lui, Le Rhumel est l’un des endroits où les jeunes peuvent se retrouver. Ils y croisent des anciens. « Des conseils et des pistes pour avancer dans la vie », dit-il. Ce n’est donc pas seulement un lieu de consommation mais un vrai lieu de socialisation, à ce titre essentiel. La plus grande crainte de Djalil, c’est que le café soit démoli dans le cadre de l’opération de rénovation urbaine à l’étude dans ce secteur de la Villeneuve. « Les gens seraient orphelins, chacun retournerait chez soi seul devant sa télé. »

À la Villeneuve, tout n’est pas rose mais tout n’est pas noir non plus. Les problèmes sont nombreux. On pense à la pauvreté, aux incivilités, aux déterminismes sociaux, à l’insalubrité de certaines montées. À cette image de « quartier » qui lui colle à la peau.

Une réalité qui en cache une autre. Un projet architectural initial remarquable dotée d’une esthétique fabuleuse, de petites places, des jardins partagés, des collines, de sublimes vues sur les montagnes, des associations, des artistes et surtout des habitants souvent très chaleureux. « J’ai tout de suite été invitée par les voisins », témoigne Ema Pointet, étudiante qui a aménagé à l’Arlequin cet été et qui ajoute : « Je me fais siffler ou suivre à Chavant, pas à la Villeneuve ».

La Villeneuve, une ville de plus de dix mille habitants, avec ses contrastes, ses solidarités. Une ville de la France d’aujourd’hui, en somme.

Marion Bottard

10000

habitants

Plus de dix mille personnes habitent la Villeneuve. Davantage qu’à Crolles, Roussillon ou Saint-Marcellin. Comme dans ces communes, la Villeneuve a ses quartiers : l’Arlequin ou les Géants, entre autres.

Équipements

La Villeneuve de Grenoble compte quatre écoles élémentaires, deux maternelles et deux collèges. On y trouve également le Patio, maison des habitants où l’on trouve des permanences juridiques, emploi, santé… ou encore l’Espace 600, une salle de spectacles conventionnée d’intérêt national art, enfance, jeunesse. Le quartier est desservi par le tram A et plusieurs lignes de bus.

Villeneuve-web/
Le lac

L’objectif est qu’il soit baignable… ce qui passe par le respect de normes sanitaires. Le projet est à l’étude, tant au niveau technique (recyclage de l’eau…) que réglementaire – où se pose par exemple la question de son barriérage rendu obligatoire pour en réguler la fréquentation et empêcher les chiens d’y barboter.

191

millions d’euros

vont être investis à la Villeneuve de Grenoble et au Village olympique, majoritairement dans la rénovation de l’habitat. Les financeurs sont l’Anru, l’Anah, la métropole, la ville de Grenoble et les bailleurs sociaux.

La démolition, c’est pas automatique

« Adapter les logements, leur superficie, leur accès… aux réalités actuelles, c’est nécessaire. Cela n’implique pas de multiplier les démolitions », souligne Chloé Pantel. Pour l’ANRU, il faut au contraire supprimer des logements dans un quartier estimé trop dense. L’inverse de la ville écologique. Et des logements dont tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité architecturale.

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Chloé Pantel, maire adjointe de secteur (VO Villeneuve…).

Réhabilitations démolitions… à la revoyure

Le sort de plusieurs bâtiments est suspendu aux négociations en cours de la « clause de revoyure ».

« L’ANRU finance, la métropole dispose de la compétence et la ville doit se battre pour faire valoir ses arguments face à ces décideurs. » Chloé Pantel est l’élue référente du quartier. Et, avec le maire Eric Piolle et le concours de Renzo Sulli, vice-président métropolitain chargé du dossier, elle se bat pour que la réhabilitation de la Villeneuve corresponde aux choix municipaux.

La politique de l’ANRU, c’est la réduction de la taille des quartiers dits « politique de la ville ». Les démolitions, donc. Le 50 nord de la galerie de l’Arlequin a été détruit en 2013. Le 160 en 2019. Celle du 20 (et de l’ancien bâtiment du CCAS) devrait avoir lieu prochainement. Reste sur la sellette le sort des 90, 110 et 120 : l’ANRU souhaite leur disparition. Plusieurs autres bâtiments sont concernés – au début de la galerie de l’Arlequin au Nord et dans le quartier des Géants au Sud-Est – par la « clause de revoyure » qui doit celer leur avenir. Tout cela devrait se décider d’ici la fin de l’année… à Paris. « Nous n’avons pas l’intention de lâcher sur le 90, insiste Chloé Pantel, de toute façon nous n’avons pas à Grenoble les terrains disponibles pour construire massivement. » Et les démolitions suscitent une large opposition dans le quartier.

Le sort des 90, 110 et 120

Ne pas démolir, c’est aussi réhabiliter. Outre ce qui a été fait, « nous en avons encore pour une dizaine d’années de travaux », précise Chloé Pantel. Travaux qui ne concernent pas uniquement les logements. « Les espaces publics vont être réaménagés, le parc notamment. » Réaménagement également de la place du marché de l’Arlequin et de ses commerces ainsi que de la dalle de la place des Géants.

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Ema Pointet, étudiante. Un balcon, de la vue, des plantes, de l’espace…

Pourquoi la Villeneuve a dû se reconstruire

La Villeneuve, c’est d’abord un beau rêve de mixité et de quartier vert. Carignon et Sarkozy sont passés par là. La réhabilitation, ce n’est pas qu’une affaire de bâtiments.

30 juillet 2010. Le discours de Grenoble, prononcé par le président de la République, Nicolas Sarkozy. La Villeneuve désignée comme un « repaire » où les truands espèrent « bénéficier de l’impunité du quartier ». Une tache qui perdure : l’image du quartier reste marquée de la violence de cette stigmatisation.

Mais tout n’a pas commencé en 2010. Après le souffle qui animait les bâtisseurs vint l’époque Carignon. 1983. Pour la nouvelle équipe municipale, un quartier qui comporte des logements sociaux, c’est une zone vouée à l’accueil des populations les plus en difficulté. Une zone de concentration de la misère. Les conséquences, on les connaît. Ici comme ailleurs. Isabelle Métral, qui habite aux Géants, le confirme. « Une spirale de l’appauvrissement a été enclenchée. »

Panser les plaies ouvertes par Nicolas Sarkozy

1983, 2010… depuis, de l’eau a passé sous les ponts. Rénovations, restructurations, isolation thermique… les réhabilitations ont débuté en 2012, sont en cours et se poursuivront une dizaine d’années. Avec une évolution : « Les habitants veulent revenir après les travaux qui les ont temporairement éloignés », remarque Chloé Pantel. Ema Pointet, étudiante en coloc à l’Arlequin avec une amie, est toute heureuse de sa nouvelle adresse : « après avoir habité en cité U, ça fait du bien d’avoir de l’espace, de la vue sur la montagne…»

Tout va bien ? Certes non. Isabelle Métral constate que la sous-traitance du ménage par les bailleurs sociaux entraîne une dégradation du service. Des parties communes trop souvent sales, pour tout dire. « Les difficultés des commerces, c’est un vrai sujet », note Antoine Back, élu municipal et habitant du quartier.

Et la Villeneuve n’échappe pas aux trafics, avec quelques points de deal et leurs guetteurs. « Ça existe, note Ema, mais pas plus qu’en ville ». Plutôt moins prégnant que dans d’autres secteurs de l’agglomération.

Ce qui reste, ce qui pèse, ce sont les difficultés sociales de nombreux habitants. Payer les factures, les loyers, se nourrir, se chauffer… un quotidien qui, en ces temps de crise – et de grandes fortunes –, ne concerne pas que la Villeneuve.

L’air le plus pur de l’agglomération

« J’ai regardé les cartes ; c’est ici que l’air est le moins pollué avec en plus un peu d’air l’été du fait des arbres. » C’est l’une des raisons qui a motivé le choix d’Antoine Back, conseiller municipal, d’aller habiter du côté des Géants. Une qualité de l’air constatée par les relevés atmosphériques qui s’explique : le quartier est piéton, construit autour d’un parc arboré. Mais le nouvel habitant apprécie aussi le côté « vie de village » de la Villeneuve.

« Le soir, tout le monde se retrouve sur la place. » Antoine Back insiste : « il y a certes le mythe fondateur qui parle à un homme de gauche, mais la Villeneuve aujourd’hui, ce sont de beaux appartements, une rénovation en cours et une vraie vie de quartier populaire. »

Back-web/
Antoine Back.

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