Grenoble. L’hommage aux victimes algériennes du 17 octobre 1961

Par Maryvonne Mathéoud

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Plusieurs centaines de personnes se sont retrouvées pour cet hommage.

Cérémonie en hommage aux victimes algériennes de la manifestation du 17 octobre 1961 à Paris pour sortir de l’ombre la mémoire collective. Organisée par le collectif du « 17 octobre 1961 » et la ville de Grenoble soutenue par 43 organisations iséroises.

Ce 17 octobre 2022, plus de 300 per­sonnes étaient ras­sem­blées pour rendre hom­mage aux vic­times algé­riennes tom­bées sous les balles et les coups de la police fran­çaise, en plein cœur de Paris, il y a 61 ans. Le tris­te­ment célèbre pré­fet de police Mau­rice Papon, condam­né en 1998 pour com­pli­ci­té de crimes contre l’humanité pour des actes com­mis entre 1942 et 1944, venait d’instaurer un couvre-feu qui ne s’appliquait qu’aux « Fran­çais musul­mans d’Algérie » qui n’avaient plus le droit de sor­tir de chez eux entre 20h30 et 5h30 du matin. En réponse, 30 000 Algé­riens, femmes et hommes, venus de Paris et des bidon­villes de ban­lieue, apprê­tés dans leurs plus beaux habits, mani­festent paci­fi­que­ment à l’initiative du FLN, le 17 octobre 1961, pour dénon­cer le couvre-feu inique qui ne s’applique qu’à eux.
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Le 17 octobre 2022, dans les rues de Gre­noble

Une répres­sion poli­cière inouïe s’abat sur ces mani­fes­tants désar­més fai­sant des mil­liers d’arrestations, des cen­taines de morts ou dis­pa­rus, des hommes et des femmes frap­pées à mort, jetées à la Seine, tuées par balles, mas­sa­crés dans l’enceinte même de la pré­fec­ture ou du Palais des sports . On a inven­té alors cette expres­sion ter­rible : « noyés par balles ». Le len­de­main les rap­ports offi­ciels ne firent état que de deux morts, la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire fut blo­quée par des manœuvres dila­toires, les diverses lois d’amnistie ache­vèrent d’installer le silence sur ce mas­sacre. Nous savons aujourd’hui que l’État savait. Mais aucun poli­cier, aucun res­pon­sable de cette bar­ba­rie n’a eu à répondre de ses actes. Aucune condam­na­tion. Aucune jus­tice.
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Eric Piolle, maire de Gre­noble.

Le maire de Gre­noble Eric Piolle dans son allo­cu­tion sou­ligne « l’obstination et le cou­rage de quelques-uns ! Et on pense, bien évi­dem­ment, au tra­vail de l’historien Jean-Luc Einau­di, qui a mis en lumière le rôle de l’État fran­çais dans la répres­sion des luttes et dans cet évè­ne­ment tra­gique. Grâce à l’engagement du Col­lec­tif « 17 octobre 1961 », Gre­noble a été l’une des pre­mières villes à appo­ser une plaque en mémoire des vic­times, à l’endroit même où nous sommes aujourd’hui ». « En octobre 2021, le pré­sident de la Répu­blique a enfin décla­ré que « les crimes com­mis cette nuit-là sous l’autorité de Mau­rice Papon sont inex­cu­sables pour la Répu­blique ». C’est un pre­mier pas vers la récon­ci­lia­tion des mémoires… Il est temps enfin de recon­naître nos trau­ma­tismes de la colo­ni­sa­tion, des hor­reurs de la guerre, de la ter­reur, de la tor­ture, de la répres­sion et du silence, afin de bri­ser l’amertume et de construire une his­toire com­mune, entre nos deux pays ».
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L’in­ter­ven­tion de Maria­no Bona devant notam­ment le séna­teur Gon­tard, le maire de Gre­noble et Clau­dine Kahane, maire-adjointe à Saint-Mar­tin-d’Hères.

Maria­no Bona pré­sident de l’association « le 17 octobre 1961 » déclare : « Depuis plus de trente ans, le sou­ve­nir du 17 octobre 1961 est hono­ré chaque année à Gre­noble par des ras­sem­ble­ments. Il y eut un pre­mier ras­sem­ble­ment dès le 18 octobre 1961, où notre ami Jo Briant par­ti­ci­pait, avec déjà des jets de fleurs dans l’Isère pour rendre hom­mage aux vic­times. Depuis 2016, nous tenons cet hom­mage à côté de la plaque com­mé­mo­ra­tive posée par la ville de Gre­noble… Le sou­tien de tous les acteurs et par­ti­ci­pants à cette mani­fes­ta­tion est extrê­me­ment impor­tant, car c’est l’action mili­tante et votre pré­sence qui a per­mis de pro­gres­ser et de fis­su­rer la chape de plomb du secret impo­sé par l’État. Nous pou­vons mesu­rer le che­min consi­dé­rable qui a été par­cou­ru depuis toutes ces années. Nous mani­fes­tons pour : exi­ger de l’É­tat fran­çais qu’il recon­naisse offi­ciel­le­ment sa res­pon­sa­bi­li­té dans les mas­sacres liés à la colo­ni­sa­tion ; exi­ger la recon­nais­sance des mas­sacres du 17 octobre comme crime d’État ; récla­mer l’ou­ver­ture des archives de la guerre d’Al­gé­rie et de la colo­ni­sa­tion aux cher­cheurs fran­çais et étran­gers, sans res­tric­tions, ni exclu­sives ; refu­ser les dis­cours xéno­phobes, racistes, colo­nia­listes. »
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Maria­no Bona tient à sou­li­gner l’importance de la lutte des femmes : « Les femmes prirent une grande part dans la mani­fes­ta­tion du 17 octobre 1961… De la lutte pour l’indépendance à aujourd’hui, les femmes algé­riennes menèrent un com­bat inces­sant pour l’égalité des droits : mani­fes­ta­tions, com­bat contre le code de la famille, luttes fémi­nistes pen­dant la décen­nie noire. Dès les pre­mières mani­fes­ta­tions du Hirak, il se consti­tua un car­ré fémi­niste qui s’est ins­crit dans cette his­toire des luttes pour l’émancipation… Com­ment ne pas faire le lien avec les luttes menées avec un grand cou­rage en Iran contre l’oppression de l’État contre les femmes ? L’hommage aux manifestant.es du 17 octobre 1961 per­drait de son sens s’il ne per­met­tait pas de dire notre soli­da­ri­té avec les Ira­niennes et les Ira­niens en lutte contre l’oppression ».
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Maria­no Bona pour­suit : « Cet hom­mage ne serait pas com­plet sans expri­mer notre soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien. Depuis le 22 février 2019, dans l’ensemble du ter­ri­toire algé­rien, le peuple s’est levé en masse et paci­fi­que­ment, pour obte­nir une nou­velle socié­té plus libre, plus démo­cra­tique et plus juste, débar­ras­sée de la cor­rup­tion. 300 Algé­riennes et Algé­riens sont actuel­le­ment en pri­son pour délit d’o­pi­nion ou avoir vou­lu infor­mer. Nous deman­dons la libé­ra­tion immé­diate de tous les pri­son­niers poli­tiques, et le res­pect des droits des orga­ni­sa­tions démo­cra­tiques algé­riennes. Les ques­tions sou­le­vées par ce mou­ve­ment ne se résou­dront pas par la répres­sion, mais par la pleine prise en compte des demandes du peuple algé­rien. »
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Place Notre-Dame, la cho­rale des Bar­ri­cades inter­prète Min Dji­ba­li­na et La Casa del Mou­ra­dia. Sur la pas­se­relle Saint-Laurent, Ama­zig Kateb, chan­teur du groupe Gna­wa Dif­fu­sion, musi­cien, inter­prète, lit des poèmes de son père Kateb Yacine, en hom­mage aux Algé­riens assas­si­nés le 17 octobre 1961 à Paris et des fleurs sont jetées dans l’Isère.
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L’al­lo­cu­tion de Maria­no Bona Je vous remer­cie pour votre pré­sence nom­breuse en ce 61eme anni­ver­saire du mas­sacre com­mis le 17 octobre 1961 à Paris. Je tiens au nom du « col­lec­tif 17 octobre 1961 Isère » à remer­cier les nom­breuses élues et nom­breux élus ici pré­sents. 2022 est aus­si le aus­si le 60e anni­ver­saire de l’indépendance de l’Algérie, un évé­ne­ment consi­dé­rable qui fut une défaite majeure du colo­nia­lisme, et donc c’est aus­si une vic­toire pour tous les peuples. C’est pour­quoi nous pou­vons nous féli­ci­ter que se tienne dans l’agglomération gre­no­bloise un cycle d’initiatives « Algé­rie 1962 2022, fin de la guerre et indé­pen­dance, des récits et des soli­da­ri­tés en par­tage », por­té par sept villes (Échi­rolles, Eybens, Gières, Gre­noble, La Tronche, Saint Egrève), et un ensemble d’associations (Amal, ASALI, « Col­lec­tif 17 octobre 1961 Isère », Algé­rie au coeur Isère, SMH His­toire Mémoire vive). Conscient qu’il y a encore beau­coup de tra­vail à réa­li­ser pour pou­voir lire notre His­toire, mais aus­si que les nou­velles géné­ra­tions apportent de nou­veaux regards, le col­lec­tif 17 octobre 1961 a déci­dé de se struc­tu­rer en asso­cia­tion loi 1901 pour deve­nir « col­lec­tif 17 octobre 1961 Isère, Algé­rie, regar­der le pas­sé, agir au pré­sent, pour construire un futur soli­daire ». Depuis plus de trente ans, le sou­ve­nir du 17 octobre 1961 est hono­ré chaque année à Gre­noble par des ras­sem­ble­ments. Il y eut un pre­mier ras­sem­ble­ment dès le 18 octobre 1961, où notre ami Jo Briant par­ti­ci­pait, avec déjà des jets de fleurs dans l’Isère pour rendre hom­mage aux vic­times. Depuis 2016, nous tenons cet hom­mage à côté de la plaque com­mé­mo­ra­tive posée par la ville de Gre­noble, qu’il faut cha­leu­reu­se­ment remer­cier car c’est un geste d’engagement et de soli­da­ri­té que trop peu de villes ont fait. Cette ques­tion des plaques n’est pas anec­do­tique. Il est impor­tant que les murs des rues et les murs des places portent d’autres traces que celles des mas­sa­creurs de la Com­mune de Paris ou des Géné­raux qui « s’illustrèrent » de façon san­glante lors de la colo­ni­sa­tion. Per­met­tez-moi de dire quelques mots en mémoire de Chris­tian Borg, qui nous a quit­té une semaine après le 17 octobre 2021. Chris­tian était un homme de convic­tion, un ami de l’Al­gé­rie. Né à Alger, il fut très tôt dans sa vie soli­daire du com­bat du peuple algé­rien pour conqué­rir sa liber­té et le droit de maî­tri­ser son des­tin. Il l’af­fir­ma de façon cou­ra­geuse, à Alger en pleine guerre d’Al­gé­rie. Il res­ta toute sa vie avec de pro­fondes convic­tions anti­ra­cistes et anti­co­lo­niales. Il était sou­riant, cha­leu­reux, tou­jours dis­po­nible pour com­battre une injus­tice. Il nous manque beau­coup. L’appel invi­tant au ras­sem­ble­ment est à l’i­ni­tia­tive de 1. Algé­rie au coeur, 2. Amal, 3. Asso­cia­tion Natio­nale des Pieds Noirs Pro­gres­sistes et de leurs Amis (ANPNA), 4. Asso­cia­tion de Soli­da­ri­té des Algé­riens de l’I­sère (ASALI), 5. Comi­té de sou­tien aux réfu­giés algé­riens (CSRA), 6. Coup de Soleil Rhône-Alpes, 7. La Libre Pen­sée, 8. Mou­ve­ment de la Paix-Isère, 9. Ras L’Front Isère Il faut sou­li­gner que les sou­tiens ont été cette année excep­tion­nel­le­ment nom­breux. Per­met­tez-moi de les citer : 1. Asso­cia­tion natio­nale pour la pro­tec­tion de la mémoire des vic­times de l’OAS (ANPROMEVO), 2. asso­cia­tion tis­ser les liens soli­daires (ATLLAS), 3. col­lec­tif des Algé­riens de Gre­noble, 4. asso­cia­tion dau­phi­noise d’amitiés fran­co-liba­naises (ADAFL), 5. asso­cia­tion des Tuni­siens de l’Isère Citoyens des deux rives (ATI-CDR), 6. actions de soli­da­ri­té avec les peuples d’Amérique latine et pour la dif­fu­sion des cultures d’origine (ACIP-ASADO), 7. Asso­cia­tion France Pales­tine soli­da­ri­té Isère (AFPS 38), 8. Asso­cia­tion isè­roise des ami.es des Kurdes (AIAK), 9. ATTAC 38, 10. cercle Ber­nard Lazare, 11. cercle laïque de l’agglomération gre­no­bloise, 12. col­lec­tif contre la traite négrière et l’esclavage (CTNE), 13. ligue des droits de l’Homme Métro­pole Gre­noble (LDH), 14. ligue de défense des droits de l’Homme en Iran (LDDHI), 15. ligue inter­na­tio­nale des femmes pour la paix et la liber­té (LIFPL), 16. Maroc Soli­da­ri­tés Citoyennes, 17. mou­ve­ment contre le racisme et pour l’amitié entre les peuples (MRAP), 18. Nil Isère, 19. réseau édu­ca­tion sans fron­tières (RESF 38), 20. réseau uni­ver­si­tés sans fron­tières (RUSF 38), 21. Sur­vie Isère, 22. Union juive fran­çaise pour la paix (UJFP 38), 23. FSU 38, 24. Soli­daires 38, 25. SUD Lutte de Classes édu­ca­tion, 26. UD CGT 38, 27. Syn­di­cat CGT des tra­vailleurs sans-papiers, 28. action anti­fas­ciste Gre­noble, 29. Asso­cia­tion Démo­cra­tie, Eco­lo­gie, Soli­da­ri­té (ADES), 30. Europe‑Écologie Les Verts 38 (EE-LV 38), 31. Ensemble ! Isère, 32. Generation·s, 33. Go Citoyen­ne­té, 34. la France Insou­mise 38, 35. Lutte Ouvrière, 36. Nou­veau Par­ti Anti­ca­pi­ta­liste (NPA 38), 37. Fédé­ra­tion de l’Isère du Par­ti Com­mu­niste fran­çais (PCF 38), 38. Par­ti Com­mu­niste des Ouvriers de France (PCOF), 39. Pour une éco­lo­gie Popu­laire et sociale (PEPS Isère), 40. Par­ti Ouvrier Indé­pen­dant (POI 38), 41. Fédé­ra­tion de l’Isère du Par­ti Socia­liste (PS 38), 42. Réseau Citoyen de Gre­noble, 43. Union com­mu­niste liber­taire Gre­noble (UCL Gre­noble). Ce sou­tien est extrê­me­ment impor­tant, car c’est l’action mili­tante et votre pré­sence qui a per­mis de pro­gres­ser et de fis­su­rer la chape de plomb du secret impo­sé par l’État. Nous pou­vons mesu­rer le che­min consi­dé­rable qui a été par­cou­ru depuis toutes ces années. Il reste impor­tant de rap­pe­ler les faits, à un moment où le pré­sident de la Répu­blique déclare depuis Alger (quel sym­bole!) que l’histoire entre la France et l’Algérie fut « une his­toire d’amour qui a sa part de tra­gique ». Que signi­fie le fait de devoir rap­pe­ler en 2022 que la colo­ni­sa­tion est une vio­lence faite aux peuples, faite de conquête bru­tale, acca­pa­re­ment des res­sources, asser­vis­se­ment ? Le 17 octobre 1961, il y eut un crime colo­nial com­mis en plein Paris. En octobre 1961, le pré­fet de police de Paris Mau­rice Papon décide d’instaurer un couvre-feu pour les « Fran­çais musul­mans d’Algérie », terme uti­li­sé à l’époque pour dési­gner les Algé­riens tra­vaillant en métro­pole. Il leur est inter­dit de cir­cu­ler dans les rues de Paris et de la ban­lieue entre 20h30 et 5h30 du matin. Cela se passe dans le contexte de l’état d’urgence qui per­met aux pré­fets « d’in­ter­dire la cir­cu­la­tion des per­sonnes ou des véhi­cules dans les lieux et aux heures fixés par arrê­té ». Rap­pe­lons à pro­pos de l’état d’urgence qu’il s’agit d’ une loi colo­niale votée en 1955 comme outil de répres­sion. Le soir du 17 octobre 1961, des dizaines de mil­liers d’Algériennes et d’Algériens, de toutes géné­ra­tions, jeunes et moins jeunes, ont mani­fes­té paci­fi­que­ment à Paris pour le droit à l’indépendance de l’Al­gé­rie et pour leur droit à l’égalité et à la digni­té, contre un couvre-feu raciste qui leur était impo­sé. Les mani­fes­tantes et les mani­fes­tants étaient essen­tiel­le­ment des tra­vailleurs de la région pari­sienne, issus des quar­tiers popu­laires et des bidon­villes, notam­ment celui de Nan­terre. Ils ne por­taient pas d’armes, c’était une mani­fes­ta­tion paci­fique. La répres­sion qui s’est abat­tue sur les mani­fes­tants fut d’une grande vio­lence : 11.000 arres­ta­tions, 300 vic­times, frap­pées à mort, jetées à la Seine, tuées par balles, mas­sa­crés dans l’enceinte même de la pré­fec­ture ou du Palais des sports . On a inven­té cette expres­sion ter­rible : « noyés par balles ». Mau­rice Papon a une res­pon­sa­bi­li­té écra­sante dans ce mas­sacre, lui qui avait assu­ré aux poli­ciers pari­siens : « Vous serez cou­verts, je vous en donne ma parole. ». Mais il  n’est pas le seul à por­ter la res­pon­sa­bi­li­té de ce mas­sacre. Qui peut croire qu’il ait agi sans l’accord du ministre de l’intérieur, Roger Frey, et du Pre­mier ministre, Michel Debré, oppo­sé aux dis­cus­sions en cours en vue de l’indépendance de l’Algérie ? Quand au Géné­ral de Gaulle, alors pré­sident de la Répu­blique, des docu­ments retrou­vés cette année montrent qu’il connais­sait l’étendue du crime com­mis. Le pou­voir de l’époque fit le choix de la chape de plomb et du bâillon. Le livre Raton­nades à Paris de Pierre et Pau­lette Péju, publié chez Mas­pé­ro quelques semaines après le mas­sacre, fut sai­si chez l’im­pri­meur par la police judi­ciaire. Le film de Jacques Pani­jel Octobre 1961 fut sai­si dès sa pre­mière pro­jec­tion. Les rap­ports offi­ciels ne firent état que de deux morts, la com­mis­sion d’enquête par­le­men­taire fut blo­quée par des manœuvres dila­toires, les diverses lois d’amnistie ache­vèrent d’installer le silence sur ce mas­sacre. La ques­tion n’est plus de savoir ce qui s’est pas­sé. L’action de citoyens, his­to­riens, écri­vains, asso­cia­tions, les ini­tia­tives mili­tantes, comme ce ras­sem­ble­ment ici-même, ont per­mit que l’es­sen­tiel de la véri­té sur ce mas­sacre soit aujourd’hui connu. La ques­tion aujourd’hui est que le pou­voir fran­çais, par la voix du Pré­sident de la Répu­blique, doit recon­naître ses res­pon­sa­bi­li­tés dans ce crime colo­nial com­mis en plein Paris. Certes, le pré­sident de la Répu­blique a fait un geste en 2021, en se ren­dant en per­sonne à une céré­mo­nie au pont de Bezons. Mais il n’a pas pro­non­cé un seul mot, se conten­tant de publier par la suite un bref com­mu­ni­qué qui dit que le chef de l’État « a recon­nu les faits : les crimes com­mis cette nuit-là sous l’au­to­ri­té de Mau­rice Papon sont inex­cu­sables pour la Répu­blique ». Qu’est-ce, sinon se déchar­ger sur un cou­pable idéal ? Comme si Mau­rice Papon avait agit seul, sans direc­tives et que la répres­sion exer­cée était de son seul choix. Mais le choix de Mau­rice Papon comme pré­fet de Police de Paris et ses méthodes bru­tales ne doivent rien au hasard. Rap­pe­lons que Mau­rice Papon fut condam­né en 1998 à dix ans de réclu­sion pour son impli­ca­tion dans la dépor­ta­tion des juifs de la région bor­de­laise entre 1942 et 1944. Le pou­voir de l’époque connais­sait for­cé­ment le pas­sé vichys­sois de Mau­rice Papon. Mau­rice Papon exer­ça ses talents en tant que pré­fet de la région de Constan­tine entre 1954 et 1958, lais­sant der­rière lui la ter­rible ferme Ame­ziane, sinistre centre de tor­ture. C’est en connais­sance de cause qu’il est nom­mé pré­fet de police de Paris en 1958. Sa mis­sion est bien d’importer en France ses méthodes et son savoir-faire si par­ti­cu­liers ! En fait, pour l’instant, au sujet du mas­sacre du 17 octobre 1961, si le crime inex­cu­sable est recon­nu, la res­pon­sa­bi­li­té de l’État n’est pas recon­nue, ni même évo­quée. En somme, c’est un crime sans véri­table auteur ! Plus de 60 ans après, c’est un geste qui est atten­du par la socié­té fran­çaise dans toute sa diver­si­té. Nous mani­fes­te­rons tout à l’heure pour : • exi­ger de l’É­tat fran­çais qu’il recon­naisse offi­ciel­le­ment sa res­pon­sa­bi­li­té dans les mas­sacres liés à la colo­ni­sa­tion ; • exi­ger la recon­nais­sance des mas­sacres du 17 octobre comme crime d’État ; • récla­mer l’ou­ver­ture des archives de la Guerre d’Al­gé­rie et de la colo­ni­sa­tion aux cher­cheurs fran­çais et étran­gers, sans res­tric­tions, ni exclu­sives ; • refu­ser les dis­cours xéno­phobes, racistes, colo­nia­listes. Nous ne ren­drions pas réel­le­ment hom­mage si nous n’inscrivions pas les com­bats des mani­fes­tantes et mani­fes­tants du 17 octobre 1961 dans la longue liste des com­bats pour la liber­té et l’égalité. De la mani­fes­ta­tion du 17 octobre 1961 aux luttes pour l’émancipation d’aujourd’hui, c’est une trame de com­bats tis­sée d’échos et de réso­nances. Le 17 octobre 1961 ce fut aus­si une lutte menée par les immi­grés, pour leur digni­té. Cette lutte est loin d’être finie, sur­tout au moment ou les dis­cours xéno­phobes et isla­mo­phobes se répandent, impul­sés depuis le som­met de l’État. Ce dont nous avons besoin c’est d’égalité et de jus­tice, pas de répres­sion. Rap­pe­lons que l’an pro­chain, en 2023, ce sera le 40ème anni­ver­saire de la marche pour l’égalité et contre le racisme. C’est un long com­bat. Les femmes prirent une grande part dans la mani­fes­ta­tion du 17 octobre 1961. Un grand nombre d’entre elles osa mani­fes­ter le 20 octobre 1961, défiant la répres­sion qu’elles avaient pour­tant vue à l’oeuvre 3 jours avant. De la lutte pour l ‘indé­pen­dance à aujourd’hui, les femmes algé­riennes menèrent un com­bat inces­sant pour l’égalité des droits : mani­fes­ta­tions, com­bat contre le code de la famille, luttes fémi­nistes pen­dant la décen­nie noire. Dès les pre­mières mani­fes­ta­tions du Hirak, il se consti­tua un car­ré fémi­niste qui s’est ins­crit dans cette his­toire des luttes pour l’émancipation, en bran­dis­sant une ban­de­role mêlant des por­traits de résis­tantes à la colo­ni­sa­tion à des por­traits de fémi­nistes algé­riennes comme celui de Nabi­la Djah­nine, assas­si­née durant la décen­nie noire. Com­ment ne pas faire le lien avec les luttes menées avec un grand cou­rage en Iran contre l’oppression de l’État contre les femmes ? L’hommage aux manifestant.es du 17 octobre 1961 per­drait de son sens s’il ne per­met­tait pas de dire notre soli­da­ri­té avec les Ira­niennes et les Ira­niens en lutte contre l’oppression. Cet hom­mage ne serait pas com­plet sans expri­mer notre soli­da­ri­té avec le peuple algé­rien. Depuis le 22 février 2019, sur l’ensemble du ter­ri­toire algé­rien, le peuple s’est levé en masse et paci­fi­que­ment, pour obte­nir une nou­velle socié­té plus libre, plus démo­cra­tique et plus juste, débar­ras­sée de la cor­rup­tion. 300 Algé­riennes et d’Al­gé­riens sont actuel­le­ment en pri­son pour délit d’o­pi­nion ou avoir vou­lu infor­mer. En sep­tembre 25 pri­son­niers se sont mis en grève de la faim au centre péni­ten­tiaire de Koléa. Nous deman­dons la libé­ra­tion immé­diate de tous les pri­son­niers poli­tiques, et le res­pect des droits des orga­ni­sa­tions démo­cra­tiques algé­riennes. Les ques­tions sou­le­vées par ce mou­ve­ment ne se résou­dront pas par la répres­sion, mais par la pleine prise en compte des demandes du peuple algé­rien. Mer­ci de votre atten­tion.

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