Marie-Pierre Répécaud et Pierre Berthet, agriculteurs à Velanne, en Dauphiné.
Un climat qui se réchauffe et se réchauffera. Une gestion de l’eau qui doit évoluer. Dans un contexte où l’accès à une alimentation de qualité devient un enjeu, et pas seulement au Sud de la planète. Des réalités qui posent non seulement la question d’une adaptation du modèle agricole, mais aussi d’un changement global. Reportage.
« Le problème dépasse l’agriculture. Il faut tout à la fois changer nos habitudes alimentaires et le mode de production agro-industriel ». Marie-Pierre Répécaud et Pierre Berthet sont paysans à Velanne, près de Saint-Geoire-en-Valdaine, en Isère. Et militants de la Confédération paysanne, dont Marie Pierre Répécaud est secrétaire nationale.
Le changement climatique, ils en constatent les effets dans leur exploitation d’une cinquantaine d’hectares. Ils y produisent des céréales et élèvent une dizaine de vaches pour la viande. En bio, bien sûr, avec rotation des cultures, production de farines et de pains, vente directe… « Nous avons fait les foins en mai, avec quinze jours à trois semaines d’avance sur ce qui se pratiquait il y a une dizaine d’années. » Il fait plus chaud au printemps, l’herbe pousse plus vite. Mais il ne s’agit pas que de récoltes plus précoces. « En Languedoc-Roussillon, une étude a montré une baisse globale des rendements de 11 % en dix ans », relève Pierre Berthet.
Car c’est bien le défi : nourrir la population. Alors que « nous sommes et nous allons être confrontés à un climat que nous ne connaissons pas ». Ce qui pose – mais pas seulement – le problème de l’eau. « Il ne s’agit pas d’être pour ou contre l’irrigation, elle s’est toujours pratiquée, la question posée est celle de la gestion de l’eau et des modes de prélèvement. » L’irrigation par pompage massif dans les nappes phréatiques, c’est reculer pour mieux sauter : une solution de court terme qui aggrave la situation à moyen terme.
Pour Marie-Pierre et Pierre, la solution réside dans une modification des modes de culture et d’organisation des exploitations. Il faudra sans doute modifier les variétés cultivées. Mais surtout limiter la croissance des exploitations et développer un modèle d’agriculture plus intensive en ce sens qu’elle sera plus économe et saura tirer partie des ressources naturelles – à rebours des clichés. « Cela veut dire des haies ; une complémentarité entre les cultures végétales, le maraîchage et l’élevage ; un soin des sols ; une gestion des eaux de ruissellement pour en retarder l’écoulement et l’utiliser pour l’irrigation, d’une manière générale retarder l’écoulement des eaux pour en faciliter l’infiltration dans les sols. » Cela implique aussi des créations d’emploi – la ferme des Pierres gardées emploie trois salariés – pour tirer un meilleur parti des ressources naturelles, une relocalisation des productions. Des techniques nouvelles sont à inventer ; « l’agriculture de demain a besoin d’ingénierie ».
Le projet d’une Sécurité sociale alimentaire
Toutes choses qui passent par des choix politiques. « Les petits gestes de chacun, c’est bien, mais ce n’est pas ça qui résoudra le problème, ce sont les politiques publiques qui sont en cause. » Ainsi de la destination des dix milliards de la politique agricole commune. « Cet argent favorise la concentration des exploitations, une agriculture industrielle de court terme ; on ne construit pas l’avenir en favorisant l’épuisement des nappes souterraines et de la fertilité des sols, en restant piloté par les grands groupes de l’industrie agro-alimentaire. » Sortir d’un modèle incompatible avec le changement climatique, c’est une décision politique.
Une agriculture du futur inaccessible en ces temps de baisse du pouvoir d’achat ? La Confédération paysanne défend un projet, celui d’une Sécurité sociale alimentaire. « C’est quelque chose que nous travaillons depuis quelques années à l’échelon national et européen », avec la Coordination européenne via campesina – qui regroupe en France la Confédération paysanne et le Modef. Il s’agirait d’attribuer à chaque Français une carte alimentaire de 150 euros par mois qui donnerait accès à des points de vente eux-mêmes liés par convention à des exploitations agricoles de proximité autant que possible. Une façon d’éloigner la nourriture du marché capitaliste et des stratégies de recours à l’arme alimentaire dans les rapports internationaux. Et de donner accès à tous à une alimentation saine, un enjeu de santé publique. Tout en garantissant un revenu décent aux producteurs. « Il y a des expérimentations en cours en Normandie, à Dieulefit dans la Drôme », note Marie-Pierre. « A Sassenage, ce que fait Emmaüs va dans le même sens », ajoute Pierre. L’initiative de la fédération communiste de l’Isère mettant en relation producteurs et consommateurs pour des fruits et légumes solidaires – cette année du 7 au 10 octobre – témoigne d’un projet similaire.
Le changement climatique et l’un de ses corollaires, l’évolution nécessaire de la gestion de l’eau, pose le problème politique d’une organisation de la société respectueuse du bien commun.
Météo France, des milliards de données
Plusieurs fois par jour, le centre Météo France de Grenoble correspond et échange ses observations avec le centre de Toulouse, coordonateur national, et celui de Lyon, d’un point de vue régional, afin de coordonner et traduire les données recueillies. Le tout visant à assurer une bonne cohérence entre les analyses locales et leur expression nationale.
Le centre isérois reçoit également tous les quarts d’heure une photo aérienne de la zone Sud-Est, et particulièrement de la région alpine, prise par un satellite géostationnaire.
Toutes ces pratiques contribuent à tisser un réseau d’informations susceptibles d’assurer une fiabilité d’analyse renforcée.
Pour les météorologues prévisionnistes, l’analyse du réchauffement climatique doit se faire par observations, analyses et comparaisons. Des modèles climatiques sont utilisés, qui permettent de faire des estimations en fonction des incertitudes et des développements. Car si l’évaluation est liée à des outils, elle rencontre également beaucoup d’incertitudes inhérentes aux réactions de la société. Les certitudes sont indiquées par des fourchettes liées aux outils et aux politiques développés.
De nombreuses avancées techniques sont réalisées et elles permettent progressivement d’améliorer la qualité des analyses, de leur donner une plus grande fiabilité, même si celle-ci est désormais à neuf jours.
Un établissement public
Météo France est un établissement public administratif. A ce titre il reçoit une subvention de l’État qu’il doit compléter par des contrats commerciaux avec des sociétés (comme avec l’Area), des collectivités (départements ou communes). Sa mission première : développer une vigilance climatique pour assurer la sécurité des biens et des personnes.
Le centre de Grenoble est situé sur le domaine universitaire. Il comprend quatre services à missions différentes : centre d’étude de la neige, centre de météorologie Alpes du Nord, service maintenance, coordination des risques d’avalanche. Fort d’une cinquantaine de spécialistes, il comprend quatre directions et s’appuie sur trois stations d’observation et de mesures (Grenoble, Bourg-Saint-Maurice et Chamonix).
Un satellite envoie une photo tous les quinze minutes.
L’été devrait être chaud. Et sec. C’est ce qui transpire des estimations publiées par le ministère de la Transition écologique sur la base des observations de Météo France.
Certains alarment. Parfois avec raison. Mais « il faut être prudent dans les affirmations », tempère Denis Roy, météorologue responsable du centre météorologique des Alpes du Nord de Météo France. « Réchauffement climatique, c’est sûr, mais pour étudier la sécheresse, il y a beaucoup de paramètres à prendre en compte. »
La chaleur est un élément, mais il faut également apprécier la quantité d’eau tombée, l’exposition et la nature des sols, aussi bien que l’état des nappes phréatiques, les circulations souterraines, et ce qui est puisé. « II faut faire un lien entre les différents éléments et leur interaction. » Et tenir compte des situations locales. L’archivage des données et les comparaisons sont pour ce faire des outils d’appréciation.
L’importance de la neige
« Dans notre région, nous devons étudier la place de la neige : les chutes diminuent, sa nature évolue car elle est désormais plus liquide, mais aussi plus lourde en densité. Simultanément avec la fonte des glaciers. » Un facteur de sécheresse estivale.
Ce sont ces données qui sont collectées, analysées et transmises. « Nous avons une mission d’État pour la vigilance : nos travaux doivent aider les préfectures à prendre ou non des arrêtés sécheresse. »
Max Blanchard
Le goudron a laissé place au sable, aux pavés disjoints, aux copeaux de bois et aux arbres.
C’est intuitif. Pour faire du frais, il faut plus d’eau, moins de béton, du courant d’air, de l’ombre… Et ce n’est pas faux. Là où c’est un peu plus compliqué, c’est de déterminer ce qu’il faut faire et où pour que ce soit le plus efficace possible.
Ce qu’a fait la ville d’Échirolles avant de réaliser l’îlot de fraîcheur du quartier de la Luire. L’aboutissement de longs mois d’études qu’expliquait Christophe Romero, directeur adjoint ville durable, à ses collègues de collectivités de l’agglomération, lors d’une rencontre organisée par l’Agence locale de l’énergie et du climat.
Il a fallu d’abord mesurer : trente-deux capteurs ont été installés dans la commune. Cartographier en croisant les critères : la température, bien sûr, mais aussi les vents et leur circulation, le couvert végétal, l’impact des déplacements… Le tout pour établir une liste de points chauds dont on appréhende la gravité… la nuit. Là où la température ne parvient pas à baisser parce que la chaleur du jour est restituée la nuit.
Dans le quartier, + 3,5 degrés
Des études, et la décision. Le choix s’est porté sur l’école Marcel David à la Luire pour en faire un îlot de fraîcheur. Le quartier ressortait en rouge : 3,5 degrés de plus qu’à la Frange verte. Et à l’école, il y avait de quoi faire : une grande cour de goudronnée plein sud, pas loin de 10 000 m2 en comptant les accès.
Le projet a été élaboré avec les enseignants, les parents et les riverains. Les surfaces ont été désimperméabilisées : l’eau s’infiltre et peut rafraîchir les sols. Quatre-vingt dix arbres – en plus des platanes existants – ont été plantés : ils feront de l’ombre. Une marre a été créée, de même qu’un jardin pédagogique : ils sont alimentés par la récupération des eaux de pluie sur les toitures des bâtiments. Un espace public pour les habitants du quartier a été aménagé, avec ses arbres qui lui procureront une ombre salvatrice. Le tout – avec reprise au passage des réseaux d’assainissement – pour près d’un million d’euros, financé pour près de la moitié par l’Agence de l’eau.
L’un des projets qui a valu à la ville d’Echirolles d’être labellisée CIT’ergie niveau or.
Échirolles, l’une des trois
En septembre dernier, la ville d’Echirolles a reçu le label CIT’ergie or. Trois collectivités françaises ont été distinguées à ce niveau : la ville et la métropole de Brest, la ville de Lorient et Echirolles. Ce label est décerné tous les quatre ans par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (Ademe). L’îlot de fraîcheur de la Luire et l’équipement en photovoltaïque, entre autres, ont été salués par l’Ademe.
Une réalisation utile pour la suite
Daniel Bessiron, adjoint à l’environnement durable, aux transitions, aux éco-quartiers, n’est pas peu fier de faire découvrir une réalisation issue d’une vraie concertation. Et il note aussi que le travail réalisé pour concevoir cet îlot de fraîcheur est utile pour une réflexion plus large sur l’aménagement durable de la ville : l’implantation des bâtiments, leur orientation, l’aménagement des espaces publics… autant de décisions à prendre dans lesquelles le critère fraîcheur peut aujourd’hui être intégré.