La CGT démontre comment s’opère le pillage d’EDF

Par Travailleur Alpin

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La délégation CGT au CSE central du groupe EDF se réunissait ce mardi 28 juin en Isère, avant une visite du barrage de Grand’Maison.

Ce mercredi 29 juin sera le jour de la présentation devant le CSE central d’EDF de l’expertise commanditée par les élus CGT dans le cadre d’un droit d’alerte économique. Expertise qui montre comment EDF est contrainte de vendre à perte… et d’acheter au « prix du marché ».

Comme une réponse aux diri­geants des mul­ti­na­tio­nales Total Ener­gie, EDF et ENGIE… Ces der­niers signaient le dimanche 26 juin une tri­bune dans le Jour­nal du Dimanche, pour appe­ler les Fran­çais à se ser­rer encore la cein­ture face à la crise éner­gé­tique. « Une pro­vo­ca­tion », pour Rudy Pro­ples­ki, res­pon­sable de la FNME-CGT en Isère, alors que « la flam­bée des prix est pré­ci­sé­ment la consé­quence des choix poli­tiques de libé­ra­li­sa­tion, appli­qués depuis une ving­taine d’années en France et en Europe ! », disait-il en accueillant ses cama­rades des quatre coins de la France.
Propleski-Giono/

Rudy Pro­pels­ki, res­pon­sable de la CGT mine éner­gie en Isère, et Jéré­mie Gio­no, secré­taire dépar­te­men­tal du PCF.

Gwé­naël Plagne, délé­gué syn­di­cal à Cor­de­mais (44) com­plète en pré­ci­sant que « suite à ces décla­ra­tions, plu­sieurs sites de sto­ckage gaziers sont blo­qués par les agents mobi­li­sés, qui reven­diquent non seule­ment des hausses de salaire – le bas de la grille des indus­tries élec­triques et gazières étant désor­mais sous le niveau du SMIC – mais aus­si une autre poli­tique éner­gé­tique pour le pays ». A la divi­sion tech­nique géné­rale, uni­té d’ingénierie basée à Saint-Mar­tin-le-Vinoux (38), les agents ont quant à eux tenu une assem­blée géné­rale ce mar­di, en par­tie sur site et en par­tie par visio­con­fé­rence.

Le méca­nisme de l’étranglement finan­cier d’EDF

Si le gou­ver­ne­ment Macron entend pro­lon­ger son « bou­clier tari­faire » jusqu’à fin 2022, les syn­di­ca­listes pointent que ce « bou­clier » pro­tège sur­tout les acteurs pri­vés du sec­teur, en contri­buant à faire cou­ler l’entreprise his­to­rique. Pour com­prendre ce qu’il se passe, il faut se pen­cher sur le mode de cal­cul des tarifs d’électricité… Expli­ca­tion. Aujourd’hui, le « tarif régu­lé de vente d’électricité » (TRVE) ne dépend pas des coûts de pro­duc­tion d’EDF – seul opé­ra­teur du mar­ché qui four­nit à ce tarif, les autres appli­quant des « prix de mar­ché » fluc­tuants. Au contraire, le TRVE dépend des coûts d’approvisionnement des four­nis­seurs alter­na­tifs, ceux-là même qui ne le pra­tiquent pas. Et pour cause, puisqu’il s’agit de… garan­tir la com­pé­ti­ti­vi­té de ces four­nis­seurs pri­vés ! C’est comme ça qu’EDF se retrouve à leur livrer chaque année un volume impor­tant de l’électricité pro­duite par ses cen­trales nucléaires, ven­due à perte via le méca­nisme de l’ARENH (« accès régu­lé à l’énergie nucléaire his­to­rique »). Le TRVE dépend pour 67 % de ce « prix ARENH », et à 33 % d’une une for­mule cal­cu­lée sur une moyenne des prix de mar­ché sur les deux der­nières années. Mais si les four­nis­seurs concur­rents d’EDF font davan­tage appel à l’ARENH – c’est à dire au-delà de ce que la loi leur attri­bue, et qui repré­sente déjà près d’un quart de la pro­duc­tion nucléaire fran­çaise –, ces demandes com­plé­men­taires sont « écrê­tées » : le prix d’achat à EDF n’est alors plus le même, et cet écrê­te­ment est réper­cu­té l’année sui­vante sur… le TRVE, pro­dui­sant une aug­men­ta­tion de ce der­nier. En gros, le prin­cipe est simple : le tarif grimpe méca­ni­que­ment pour assu­rer le taux de marge des four­nis­seurs alter­na­tifs, ren­ta­bi­li­té qui repose sur la vente à perte de l’électricité des cen­trales nucléaires par EDF à ces mêmes four­nis­seurs !

La guerre en Ukraine a bon dos…

Et comme les four­nis­seurs alter­na­tifs ne sont que des spé­cu­la­teurs n’ayant pas ou très peu de moyens de pro­duc­tion, la spi­rale est infer­nale. C’est ain­si que la pro­po­si­tion d’augmentation des tarifs datant de jan­vier 2022 s’est chif­frée à +44 %, dont 7,7 % dépen­dait de la fluc­tua­tion du mar­ché, et 41,6 % à cette fameuse « demande com­plé­men­taire » d’électricité nucléaire… bien avant l’invasion russe de l’Ukraine, donc !
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Les élus CGT du per­son­nel au Comi­té social et éco­no­mique cen­tral du groupe EDF.

Quelques mois avant les élec­tions, le gou­ver­ne­ment a donc agi face à ce risque de flam­bée des prix, de deux (des pires des) manières : en aug­men­tant le volume de l’ARENH, donc le volume d’électricité ven­due à perte par EDF à ses concur­rents ; et en pla­fon­nant à 4 % la hausse du TRVE pour les par­ti­cu­liers, sans impact direct sur les tarifs de mar­ché qui sont pour­tant ceux aux­quels les col­lec­ti­vi­tés locales sont contraintes de faire appel, par exemple. EDF se retrouve donc obli­gée, d’un côté de bra­der sa propre élec­tri­ci­té à ses concur­rents qui eux ne pro­duisent presque pas, et de l’autre d’acheter au prix fort de l’électricité sur les mar­chés, qu’elle revend à tarif pla­fon­né aux par­ti­cu­liers… condui­sant l’entreprise publique dans une impasse à très court terme, impasse qui per­met­tra alors au gou­ver­ne­ment de reve­nir à la charge avec ses pro­jets d’éclatement de l’entreprise. On risque donc de revoir sur­gir le « pro­jet Her­cule », reje­té grâce à la mobi­li­sa­tion des éner­gé­ti­ciens, et qui consis­tait à écla­ter l’entreprise en pri­va­ti­sant l’ensemble de ses sec­teurs ren­tables (réseau de trans­port, éner­gies renou­ve­lables, etc.) pour lais­ser le reste à la charge du contri­buable. Tout bénèf’ pour les spé­cu­la­teurs, qui pour­ront se par­ta­ger le gâteau !

Face au déman­tè­le­ment d’EDF, la CGT défend le ser­vice public

Ces méca­nismes per­vers sont par­fai­te­ment démon­trés dans le rap­port de SECAFI, cabi­net d’expertise man­da­té par le CSEC, dont nous avons pu consul­ter la syn­thèse qui sera pré­sen­tée le mer­cre­di 29 juin. L’expertise démontre du reste que « la flam­bée des prix résulte d’abord d’un défaut de régu­la­tion. L’ouverture à la concur­rence a conduit à la décon­nexion crois­sante des prix du mar­ché du mix de pro­duc­tion de la France. Le gaz fos­sile est deve­nu le prix direc­teur du mar­ché alors qu’il ne contri­bue qu’à envi­ron 10 % des consom­ma­tions d’électricité ». Et c’est là que la guerre entre en jeu, le prix du gaz fai­sant bon­dir arti­fi­ciel­le­ment celui de l’électricité…
Grève-EDF-GrandMaison/

Grève au bar­rage de Grand-Mai­son, en 2020.

Pour­tant, des solu­tions existent, y com­pris dans l’urgence actuelle, dans le cadre des lois exis­tantes. C’est ce que démontre le cabi­net, en for­mu­lant trois pro­po­si­tions concrètes.
  • 1. Sus­pendre l’ARENH, au motif des condi­tions excep­tion­nelles actuelles liées à la guerre en Ukraine. L’option est pré­vue dans le Code de l’énergie, cette sus­pen­sion per­met­trait de sup­pri­mer le fameux « écrê­te­ment », méca­nisme arti­fi­ciel res­pon­sable de la flam­bée des prix.
  • 2. Revoir le cal­cul du TRVE pour l’asseoir sur la pro­duc­tion de base de la France, incluant l’hydraulique, éner­gie à bas coût. Et sur­tout, le décon­nec­ter des méca­nismes spé­cu­la­tifs euro­péens. L’Espagne et le Por­tu­gal ont d’ores et déjà opté pour ce fonc­tion­ne­ment, pré­ci­sé­ment pour stop­per des hausses ver­ti­gi­neuses de leurs propres prix…
  • 3. Reve­nir à un mode de cal­cul des prix sur la base des coûts de pro­duc­tion. La Cour des comptes éva­lue ce coût pour le nucléaire his­to­rique à 60€/MWh (contre 174 € pour le TRVE appli­qué au 1er juin 2022…).

Res­pec­ter une concur­rence « non faus­sée », comme dit l’Eu­rope

Le plus cocasse, c’est que ces pro­po­si­tions ne sont pas du tout incom­pa­tibles avec le droit de la concur­rence euro­péen, elles per­mettent au contraire de reve­nir à une concur­rence réel­le­ment « non faus­sée », là où aujourd’hui les modes de cal­culs font d’EDF la « vache à lait » des opé­ra­teurs pri­vés, qui ne sont y com­pris pas inci­tés à déve­lop­per leurs propres moyens de pro­duc­tions, puisqu’ils ont sim­ple­ment à se ser­vir au gui­chet de l’énergie pro­duite par EDF… Le gou­ver­ne­ment pour­rait donc les appli­quer en un décret. Bien évi­dem­ment, la CGT reven­dique par ailleurs la créa­tion d’un pôle public de l’Énergie, qui sor­ti­rait défi­ni­ti­ve­ment ce sec­teur essen­tiel des griffes du mar­ché et per­met­trait seul d’engager les inves­tis­se­ments d’un vraie tran­si­tion éco­lo­gique pour sor­tir des éner­gies car­bo­nées, une tran­si­tion qui implique un déve­lop­pe­ment sans pré­cé­dent de l’électrification des usages, repo­sant sur un mix de pro­duc­tion décar­bo­né… Mais avec la pré­sen­ta­tion de ce rap­port com­plet et docu­men­té, le conseil d’administration d’EDF va devoir se posi­tion­ner offi­ciel­le­ment – et donc l’État, action­naire majo­ri­taire d’EDF SA. Et répondre de sa poli­tique de des­truc­tion de l’outil pro­duc­tif fran­çais.

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  • « Créer un pôle public de l’énergie incluant EDF et Engie rena­tio­na­li­sés ain­si que des coopé­ra­tives locales » est une pro­po­si­tion du pro­gramme de la NUPES