La piscine Jean Bron, à Grenoble.

Le Conseil d’État a confirmé la décision du tribunal administratif de Grenoble qui suspendait l’autorisation du port du burkini dans les piscines municipales. Les juges indiquent que si l’adaptation du service public à des convictions religieuses n’est pas contraire à la laïcité, il n’en va pas de même pour une dérogation à la règle commune autorisant cette tenue de bain.

« Son caractère très ciblé et fortement dérogatoire à la règle commune. » L’ordonnance du 21 juin rendue par le Conseil d’État s’appuie sur cette appréciation : le règlement des piscines adopté le 16 mai par le conseil municipal de Grenoble pour autoriser le port du burkini est « très ciblé » et « fortement dérogatoire ». Il reviendra à la jurisprudence de s’interroger sur ces deux adverbes : où commencent le « très » et le « fortement » ? Courage.

Car le Conseil d’État rappelle qu’un service public, « pour satisfaire à l’intérêt général qui s’attache à ce que le plus grand nombre d’usagers puisse accéder effectivement au service public » a la possibilité « d’adapter ce service, y compris pour tenir compte de convictions religieuses ». Il ajoute : « une telle adaptation du service public pour tenir compte de convictions religieuses n’est pas en soi contraire aux principes de laïcité et de neutralité du service public ». C’est le cas pour les menus de cantines qui proposent des possibilités hallal ou cascher, par exemple.

Près du corps et mi-cuisse

Mais le burkini est jugé par le Conseil d’État comme allant au-delà de ce qui est admissible, considérant que la possibilité de dérogation par rapport aux règles, si elle est excessive, peut rendre « plus difficile le respect de ces règles par les usagers ne bénéficiant pas de la dérogation » et se traduire « par une rupture caractérisée de l’égalité de traitement des usagers ». Et donc porter « gravement atteinte au principe de neutralité des services publics ».

Mais quelle est donc cette dérogation prévue par l’article 10 du règlement municipal ? Ce texte stipulait que « pour des raisons d’hygiène et de sécurité (…) les tenues de bain doivent être faites d’un tissu spécifiquement conçu pour la baignade, ajustées près du corps, et ne doivent pas avoir été portées avant l’accès à la piscine. Les tenues non prévues pour un strict usage de la baignade (short, bermuda, sous-vêtements etc.), les tenues non près du corps plus longues que la mi-cuisse (robe ou tunique longue, large ou évasée) et les maillots de bain-short sont interdits. (…) ». La dérogation, c’était donc l’autorisation de porter des « tenues non près du corps » ne dépassant pas la mi-cuisse. Tandis que la règle commune était « le près du corps ». L’autorisation dérogatoire de porter le burkini, en somme. De porter un burkini comprenant une jupe, par nature flottante : des maillots couvrants près du corps, c’est-à-dire dépourvu de cette « jupette », sont commercialisés sous l’appellation « burkini ».

Voilà pour le fait. Mais le Conseil d’État développe une seconde batterie d’arguments. Et il prend position dans le débat politique.

Satisfaire une revendication religieuse

L’ordonnance du 21 juin note ainsi que « cette dérogation à la règle commune, édictée pour des raisons d’hygiène et de sécurité, de port de tenues de bain près du corps, est destinée à satisfaire une revendication de nature religieuse ». Le communiqué publié par le Conseil d’État pour annoncer la décision est explicite : « le juge des référés constate que, contrairement à l’objectif affiché par la ville de Grenoble, l’adaptation du règlement intérieur de ses piscines municipales ne visait qu’à autoriser le port du « burkini » afin de satisfaire une revendication de nature religieuse ». La modification du règlement est suspendue car la ville de Grenoble est réputée avoir cédé à une pression religieuse et le Conseil d’État récuse l’argumentation aux termes de laquelle cette évolution allait dans le sens d’une égalité d’accès au service public.

Reste désormais une question posée au débat politique. Le combat émancipateur – des femmes notamment – implique-t-il l’interdiction au risque de l’exclusion, ou l’autorisation au risque de la banalisation ?

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