Pandémie, réformes, ministre… l’école n’en peut plus

Par Didier Gosselin

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Ils et elles ont 17 ans, sont en terminale au lycée, et ont vécu la pandémie et la réforme du baccalauréat… Faire la part des choses entre deux maux ? Pas toujours simple. Un point commun entre les deux, peut-être : la distanciation. Rencontre et explications avec Rémi, élève au lycée l’Oiselet de Bourgoin-Jallieu.

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Pandémie, réforme... Rémi compte bien faire valoir ses choix.

Comme les 715 000 autres lycéens des trois filières, Rémi pré­pare les épreuves du bac­ca­lau­réat, dans un contexte une nou­velle fois tout par­ti­cu­lier, après deux ans d’une pan­dé­mie qui, dit-il, « a impac­té [sa] vie lycéenne et per­son­nelle. D’abord sur les cours avec le dis­tan­ciel et des condi­tions d’étude plus dures, mais aus­si ma vie en dehors du lycée. Dif­fi­cile de ne pas pou­voir retrou­ver ses ami(es) ou pra­ti­quer son sport favo­ri », sou­pire-t-il…

Lors du confi­ne­ment, pour­suit Rémi, « j’ai eu beau­coup de mal à me concen­trer face à mon ordi­na­teur, avec les cours en PDF et à dis­tance… Oui, j’ai res­sen­ti un manque. Ecou­ter un prof par­ler et expli­quer, pour com­prendre c’est pour moi beau­coup plus facile que de se confron­ter seul à des expli­ca­tions écrites avec un sché­ma… L’ambiance d’une classe, avec tous les cama­rades, a été aus­si un manque ».

La der­nière vague Omi­cron ne semble pas avoir per­tur­bé l’organisation des cours. « L’intermittence des élèves n’a pas ren­du plus dif­fi­ciles les choses qu’elles ne l’étaient déjà. Nous avons eu une semaine de dis­tan­ciel après laquelle on a pu revoir les cours en classe. Nous n’avons par ailleurs pas eu à subir tel­le­ment d’absences de pro­fes­seurs. »

Sur la ques­tion de savoir si le bac­ca­lau­réat de sa géné­ra­tion est spé­ci­fique ou dif­fé­rent du fait de la pan­dé­mie et de ses consé­quences, Rémi dit ne pas « avoir l’impression que le Bac ait été modi­fié ». « Certes, pré­cise-t-il, des épreuves ont été annu­lées et repor­tées, mais rien de plus. Peut-être que le Bac est plus « facile », plus acces­sible du fait de la pan­dé­mie, mais son conte­nu ne me semble pour­tant pas moins appro­fon­di vu les pro­grammes char­gés des matières et les exi­gences de tra­vail qui nous sont posées », insiste-t-il.

Et pour­tant Rémi a bien conscience des effets de la pan­dé­mie et de la dis­con­ti­nui­té péda­go­gique en termes de perte d’acquisition de connais­sances tou­jours plus nom­breuses et com­plexes. « Oui, évi­dem­ment, il serait utile de ral­lon­ger le temps de cours pour revoir les notions non acquises. Oui, la pan­dé­mie nous a obli­gés à bâcler quelques notions. Et je pense que ce sont les profs qui ont dû faire des choix pour esti­mer le temps à pas­ser sur telle ou telle notion… Mais même si la pan­dé­mie n’avait pas eu lieu, déclare-t-il, je pense qu’il serait néces­saire de ral­lon­ger le temps sco­laire. »

Après le Bac nouvelle version et la pandémie, l’étape Parcoursup

Sur la réforme conçue pour « sim­pli­fier » le Bac et « mieux pré­pa­rer à la pour­suite d’études », Rémi n’a pas d’avis tran­ché. « N’ayant pas d’éléments de com­pa­rai­son je n’ai aucune idée sur la sim­pli­fi­ca­tion ou non du Bac. Je ne pense pas qu’il pré­pare mieux aux études supé­rieures, indique-t-il, et si la réforme a peut-être per­mis un choix plus large de matières, encore faut-il que ce choix puisse être cohé­rent avec le pro­jet d’avenir. Sur cette der­nière ques­tion, les pro­fes­seurs concer­nés ont tou­jours été à l’écoute et nous ont tou­jours aidés dans notre réflexion ».

« Pour ma part, sou­ligne Rémi, j’ai réus­si à déter­mi­ner la voie qui me va le mieux. J’ai choi­si en fonc­tion de mon centre d’intérêt, le sport. J’ai pro­cé­dé par éli­mi­na­tion, mais comme je suis vrai­ment inté­res­sé par ça, j’ai conser­vé cette voie. » Rémi dit ne pas craindre Par­cour­sup qui lui « semble éga­li­taire dans le choix des places et l’offre qu’il pro­pose aux élèves. Je ne sais pas si je suis opti­miste mais en tous les cas je sais que j’ai mes chances d’y arri­ver », dit-il. Et ce mal­gré le fait que la spé­cia­li­té EPS ait été tar­di­ve­ment mise en place au lycée l’Oiselet et qu’il n’a donc pas pu la choi­sir en classe de Pre­mière…

Un opti­misme tem­pé­ré par son père, Joa­quim, qui dit « avoir sen­ti son fils dému­ni et iso­lé, per­du par­mi ses mul­tiples classes dues aux spé­cia­li­tés » et qui se pose la ques­tion de savoir si les choix de son fils ont été faits en « connais­sance de cause » ou « par défaut ». Selon lui, « Par­cour­sup pose un pro­blème majeur car il n’y a aucune réelle trans­pa­rence des uni­ver­si­tés sur les cri­tères de recru­te­ment. On a l’impression que celui ou celle qui sou­haite vrai­ment s’engager dans une voie se fera prendre la place par un autre can­di­dat qui l’aurait choi­sie par défaut… ». Il conclut en sou­li­gnant que son fils appar­tient à « une géné­ra­tion sacri­fiée ; des années de lycées gâchées, par la pan­dé­mie, mais aus­si par une réforme non pré­pa­rée et pas concer­tée ».

N’empêche. Il en faut davan­tage pour enta­mer la déter­mi­na­tion de Rémi, 17 ans et tout l’avenir du monde devant lui.

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Kevin Dorel, pro­fes­seur des écoles et direc­teur d’école à Annoi­sin-Cha­te­lans.

Sous la pandémie, les effets d’une politique

Comme à l’hôpital, la pandémie a révélé l’état réel de l’école. Derrière la communication ministérielle, la politique mise en œuvre réduit les moyens et attaque la liberté pédagogique.

Les soixante-qua­torze élèves de l’école élé­men­taire Les Lauzes, à Annoi­sin-Cha­te­lans – près de Cré­mieu –, ont hâte de quit­ter leurs masques et de retrou­ver une vie sco­laire nor­male. « Ça devient lourd pour eux », sou­ligne Kevin Dorel, pro­fes­seur des écoles et direc­teur, qui ne tarit pas d’éloges sur ces enfants qui « ont bien joué le jeu ».

Pour­tant tout n’a pas été rose… « Lors du pre­mier confi­ne­ment, les non-retours en classe ont péna­li­sé la sco­la­ri­té de cer­tains élèves. » L’école numé­rique, « faute de maté­riels, de maî­trise, de sui­vi paren­tal, de connexion », n’a fait que mettre en relief les inéga­li­tés sco­laires et sociales. « Les mêmes inéga­li­tés que l’on retrouve sur les devoirs à la mai­son », sou­ligne Kevin Dorel, qui sou­tient la pro­po­si­tion de Fabien Rous­sel à ce sujet : « les devoirs doivent être faits à l’école ! »

Une année d’école perdue

Ni les vacances appre­nantes – « du vent pour se don­ner bonne conscience » – ni l’injonction de l’école numé­rique – « sans moyens ni for­ma­tion » – n’ont per­mis de com­bler les effets du confi­ne­ment. « Ce sont les professeur(e)s, insiste Kévin Dorel, qui ont, en concer­ta­tion, adap­té leurs pro­grammes » pour limi­ter les dégâts.

« Il y a urgence à reve­nir aux 27h/semaine ! Dans le 1er degré le pas­sage aux 24h équi­vaut à la perte d’une année de sco­la­ri­té. »

« À qui fera-t-on croire qu’il est pos­sible d’apprendre mieux et plus avec moins d’école ? » demande Kevin Dorel. « L’école à l’ancienne, qui féti­chise les savoirs fon­da­men­taux, pré­sen­tée comme le remède miracle, s’oppose en tous points à l’école démo­cra­tique et éman­ci­pa­trice, indis­pen­sable pour affron­ter les défis du XXIe siècle », conclut-il.

Le cas de la lecture

L’apprentissage de la lec­ture illustre bien les obses­sions du ministre Blan­quer : pres­crire une méthode offi­cielle unique pré­ten­du­ment vali­dée par la science…

Selon Paul Devin (Ins­ti­tut de recherches de la FSU), cette pres­crip­tion cen­sée pro­té­ger l’enseignant « en l’épargnant de la com­plexi­té et du doute » conduit à en faire « un exé­cu­tant de pres­crip­tions », figé dans une pra­tique et empê­ché de consi­dé­rer les réa­li­tés sociales et cultu­relles de ses élèves. Or sou­ligne Paul Devin, « c’est au contraire dans la contro­verse, l’échange, l’hésitation, que la qua­li­té des actes d’enseignement se forge ». Recen­trer « l’apprentissage de la lec­ture sur le déco­dage d’énoncés arti­fi­ciels plu­tôt que sur l’accès à la culture de l’écrit est un choix poli­tique qui pré­sume d’une ambi­tion peu éman­ci­pa­trice ».

S’il n’y a offi­ciel­le­ment pas d’obligation d’utiliser la méthode syl­la­bique, tout un dis­po­si­tif mana­gé­rial est mis en place pour convaincre les ensei­gnants de l’adopter, alors même que la légi­ti­ma­tion scien­ti­fique de cette méthode fait débat.

« Réduire la fina­li­té de l’apprentissage à des com­pé­tences de déchif­frage » et cher­cher jusqu’à impo­ser un manuel de lec­ture pro­duit par le minis­tère – Légo, je décode – en disent long sur le ren­for­ce­ment du pou­voir ins­ti­tu­tion­nel sur les ensei­gnants.

L’é­cole des contrac­tuels

« Alors qu’on a affai­bli la for­ma­tion ini­tiale, on a en même temps fait croire, notam­ment pen­dant le confi­ne­ment, que tout le monde pou­vait faire notre métier. La mon­tée en puis­sance des contrac­tuels à l’école pri­maire témoigne d’une vraie désaf­fec­tion. Il y a néces­si­té de reva­lo­ri­ser les salaires pour rendre réel­le­ment attrac­tif ce métier », s’alarme Kevin Dorel.

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Alex Sena de Frei­tas, co-secre­taire du syn­di­cat CGT Educ’action de l’Isère.

Un plan de recrutement massif

La pandémie a montré que, comme de nombreux services publics, l’école ne tient que par ses agents. Point de vue et propositions avec Alex Sena de Freitas, syndicaliste CGT.

« L’Education natio­nale n’était pas pré­pa­rée à cette crise en mars 2020, sou­ligne Alex Sena de Frei­tas, et les élèves se sont retrou­vés inégaux devant l’apprentissage numé­rique mais aus­si devant les équi­pe­ments dis­po­nibles ou selon les ter­ri­toires. »

Le ministre Blan­quer a choi­si de main­te­nir les écoles ouvertes en pleine pan­dé­mie en lais­sant aux éta­blis­se­ments la charge de l’organisation. « Sans réels moyens sup­plé­men­taires, pré­cise le syn­di­ca­liste, et tout en éco­no­mi­sant fiè­re­ment plu­sieurs cen­taines de mil­lions d’euros sur le bud­get de l’éducation… Sans comp­ter le scan­dale des masques et l’attente d’une grève mas­sive pour four­nir des masque chi­rur­gi­caux, même pas FFP2 », s’indigne-t-il.

Lycée polytechnique, où tous les jeunes pourraient se côtoyer

« Cette ges­tion nous montre que le minis­tère n’agit que par à‑coups, sans solu­tion viable. La CGT Educ’Action, insiste Alex Sena de Frei­tas, exige un plan de recru­te­ment mas­sif pour sou­la­ger l’école et réduire les effec­tifs par classe, à contre-pied du recul du nombre de postes offerts aux concours depuis plu­sieurs années. De nom­breux can­di­dats res­tés sur liste com­plé­men­taire et de nom­breux contrac­tuels peuvent être titu­la­ri­sés afin de répondre à l’immédiateté de la situa­tion. Nous avons besoin d’enseignants, AESH, AED, per­son­nels admi­nis­tra­tifs et infir­mières et méde­cins sco­laires. »

Face aux enjeux du XXIe siècle, éco­no­miques, sociaux et cli­ma­tiques, « la CGT reven­dique une refonte de l’école avec une garan­tie du sta­tut de fonc­tion­naire pour tous les per­son­nels édu­ca­tifs, un réel dédou­ble­ment des classes pour l’ensemble des niveaux. Nous reven­di­quons éga­le­ment un lycée unique poly­tech­nique où tous les jeunes pour­raient se côtoyer et où tous pro­fi­te­raient de phi­lo­so­phie, de science et de sciences sociales d’une part et des pla­teaux tech­niques per­met­tant une reva­lo­ri­sa­tion de la créa­tion manuelle. Le tra­vail de la main est une créa­tion qui favo­rise l’émancipation de l’individu au même titre que l’apprentissage de l’esprit cri­tique », conclut Alex Sena de Frei­tas.

Réforme dévastatrice

La réforme du lycée géné­ral se tra­duit par 2 500 postes en moins. La forte baisse des dota­tions horaires contri­bue à dégra­der encore les condi­tions d’enseignement : tou­jours moins de dédou­ble­ments, des « groupes » de tronc com­mun et de spé­cia­li­té sou­vent à 35 élèves. En lycée Pro, la réforme conduit à un grave appau­vris­se­ment du conte­nu de la for­ma­tion aux métiers, en même temps que se met pro­gres­si­ve­ment en place le tout appren­tis­sage…

Parmi les moins bien payés

Les per­son­nels, récem­ment mobi­li­sés, exigent que le gou­ver­ne­ment mette fin au déclas­se­ment subi depuis des années, avec des rému­né­ra­tions par­mi les plus faibles des pays de l’OCDE. Avec la CGT Éduc’action, les per­son­nels exigent une aug­men­ta­tion immé­diate de 400 euros pour tous, un SMIC à 2000 euros brut, le dégel du point d’indice avec rat­tra­page des pertes anté­rieures, indexa­tion sur l’indice des prix à la consom­ma­tion et éga­li­té sala­riale femmes/hommes.

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