L’autre 8 mai 45, hommage aux victimes des massacres en Algérie

Par Edouard Schoene

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Cent cinquante personnes pour commémorer les massacres de Sétif du 8 mai 45.

Ce 8 mai, à Fon­taine à 15h, face à l’hôtel de ville, envi­ron 150 per­sonnes ont ren­du hom­mage aux vic­times des mas­sacres en Algé­rie qui ont eu lieu le 8 mai 1945 et les jours qui ont sui­vi.

Des fleurs ont été dépo­sées devant la plaque, inau­gu­rée il y a deux ans, avec l’équipe muni­ci­pale de l’ancienne majo­ri­té : « à la mémoire des mil­liers de vic­times du colo­nia­lisme qui mani­fes­taient le 8 mai 1948 à Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta . Pas­sant sou­viens-toi »

Maria­no Bona au nom du col­lec­tif d’organisation et des 40 asso­cia­tions, syn­di­cats et par­tis ayant appe­lé au ras­sem­ble­ment sou­li­gnait l’importance de ce tra­vail de mémoire à pour­suivre en France et en Algé­rie.

Marie Thé­rès Llo­ret a don­né lec­ture de l’appel

Alors que l’Al­gé­rie est consti­tuée de trois dépar­te­ments fran­çais, la célé­bra­tion de la vic­toire des Alliés contre le nazisme le 8 mai 1945 est l’oc­ca­sion pour les Algé­riennes et les Algé­riens de faire entendre les reven­di­ca­tions d’é­ga­li­té des droits et d’in­dé­pen­dance. A Sétif, des mil­liers d’Al­gé­riens mani­festent et bran­dissent des pan­cartes « Libé­rez Mes­sa­li » (Mes­sa­li Hadj, lea­der natio­na­liste empri­son­né), « Nous vou­lons être vos égaux », « À bas le colo­nia­lisme », « Vive l’Al­gé­rie libre et indé­pen­dante », et un dra­peau qui devien­dra le dra­peau algé­rien. La répres­sion contre les Algé­riens dure­ra des mois et sera féroce : 10 000 à 40 000 vic­times selon les his­to­riens, à Sétif, Guel­ma et Kher­ra­ta.
C’est un véri­table mas­sacre et un crime d’État : il s’a­gis­sait pour le pou­voir fran­çais de l’é­poque de main­te­nir à tout prix l’Al­gé­rie sous domi­na­tion colo­niale. Cet évé­ne­ment tra­gique a été occul­té par tous ceux qui veulent mas­quer la réa­li­té du colo­nia­lisme, faite de vio­lence, d’inégalités et d’op­pres­sion.
L’oc­cul­ta­tion ou la néga­tion des crimes colo­niaux d’hier expliquent lar­ge­ment la per­ma­nence des dis­cri­mi­na­tions d’aujourd’hui. Alors que la xéno­pho­bie et la haine de l’autre sont prô­nées par des nos­tal­giques de l’ordre colo­nial et de la col­la­bo­ra­tion nazie, il est urgent de com­prendre que notre ave­nir est com­mun et qu’il est essen­tiel de construire des ponts plu­tôt que des murs.
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Plu­sieurs élus de l’agglomération (Gre­noble, Echi­rolles, St Mar­tin d’Hères) étaient pré­sents.
La nou­velle majo­ri­té muni­ci­pale fon­tai­noise de droite a bou­dé ce ras­sem­ble­ment.
Emma­nuel Car­roz, adjoint au maire de Gre­noble, a salué l’initiative du 8 mai, sou­li­gné l’importance de celle-ci et don­né ren­dez vous à l’hommage des vic­times du mas­sacre pari­sien, le 17 octobre pro­chain, 60e anni­ver­saire.

« Mal nom­mer, c’est ajou­ter du mal­heur au monde »

Jac­que­line Madrennes, adjointe au maire d’Echirolles :

Je sou­haite indi­quer tout d’abord que lors de la céré­mo­nie tra­di­tion­nelle du 8 Mai à Échi­rolles, le Maire Ren­zo Sul­li a évo­qué dans son inter­ven­tion ce moment de notre his­toire : « Si nous fêtons aujourd’hui la vic­toire des Résis­tants et des alliés sur les régimes fas­cistes et nazi, sur la guerre et l’horreur des camps, je me dois d’évoquer les mas­sacres de Setif, Guel­ma, Kher­ra­ta en Algé­rie et ain­si sor­tir de l’oubli cet autre 8 mai 1945. Nos villes sont plu­rielles et ces ques­tions mémo­rielles sont des élé­ments impor­tants pour faire cohé­sion sociale qui ne peut se satis­faire d’un cadre répu­bli­cain se satis­fai­sant du non-dit et du déni. Je remer­cie l’engagement du Col­lec­tif du 17 octobre pour mettre son action forte sue ces enjeux .
« Mal nom­mer les choses, c’est ajou­ter au mal­heur du monde » disait Camus.
Occul­ter cette page his­to­rique, en fai­sant comme si rien n’avait exis­té, fait tou­jours le jeu de ceux qui cherchent à nous divi­ser et nous oppo­ser, en par­ti­cu­lier dans cette période poli­tique par­ti­cu­liè­re­ment dan­ge­reuse pour nos popu­la­tions. De quelles pro­messes répu­bli­caines parle t‑on – sou­vent au nom de nos popu­la­tions — quand dès le départ on est ren­du invi­sible et ampu­té d’une par­tie de véri­té ? Et com­ment alors s’approprier sa vie de citoyen, être libre en tant que sujet poli­tique, social, cultu­rel ?
Recon­naître notre his­toire com­mune ‑aus­si dou­lou­reuse soit-elle- c’est se don­ner du pou­voir d’agir ensemble, contre les dis­cri­mi­na­tions et pour plus d’égalité. C’est essen­tiel dans nos quar­tiers où les habi­tant-es, leurs enfants et petits-enfants issus de cette mémoire mépri­sée, sont ceux qui sont sou­vent pré­ca­ri­sés, assi­gnés et dans grande indi­gni­té par rap­port au tra­vail.
« Dans le monde où je che­mine, je me crée inter­mi­na­ble­ment » disait Franz Fanon.

Jamal Zaï­mia a don­né lec­ture d’un témoi­gnage émou­vant  (extraits) :

Guel­ma est une ville de 30000 habi­tants envi­ron à l’époque, située à l’est d’Algérie à 60 kms de Anna­ba ex : Bone.
Je vous pré­sente la famille Zaï­mia. Mon grand-père était arti­san confi­seur, déco­ré de la pre­mière guerre mon­diale dans l’armée fran­çaise, membre des Oula­mas musul­mans et sym­pa­thi­sant des amis du mani­feste et de lali­ber­té, marié avec 7 enfants 3 gar­çons et 4 filles. Mon oncle Ali, était céli­ba­taire et âgé de 27 ans tra­vaillait avec son père dans la confi­se­rie, il était membre du PPA Par­ti du peuple algé­rien de Mes­sa­li Hadj et chef scout.
…Ces faits m’ont été rela­tés par ma grande mère El Kam­la Zaï­mia et mon père Smaïn Zaï­mia (paix à leurs âmes).
Au len­de­main de la mani­fes­ta­tion du 8 mai 1945, à 5h du matin, des poli­ciers accom­pa­gnés d’un col­la­bo­ra­teur, ont inves­ti la mai­son de mon grand père située à la citée indi­gène de Guel­ma (actuelle citée Mos­te­fa Ben­bou­laid). Ils ont ligo­té mon oncle Ali, c’é­tait l’aîné des gar­çon et l’ont embar­qué. Mon père Smain avait 10 ans et mon autre oncle Azze­dine 8 ans et 4 tantes. Avant, ils avaient fouillé toute la mai­son et pris toutes les affaires de mon grand père et de mon oncle, y com­prit l’argent de mon grand-père , des corans manus­crits, des docu­ments admi­nis­tra­tifs et toutes les pho­tos de famille.
.Mon grand père tenait un maga­sin de confi­se­rie à Guel­ma et était absent ce jour là, il était dans les mon­tagnes, à 25 kms de Guel­ma, fief de notre tri­bu. Ma grande mère et mon père 10 ans à l’é­poque, pas­saient des jour­nées entières devant le com­mis­sa­riat de police de Guel­ma en espé­rant sa libé­ra­tion. Un poli­cier « arabe » qui les connais­sait et qui les voyait chaque jour reve­nir, dira dis­crè­te­ment à ma grande mère que son fils n’é­tait pas là et que ce n’é­tait pas la peine d’at­tendre. Tous les jeunes scouts musul­mans du groupe « Ennoud­joum » (les étoiles) et mon oncle, soit 32 per­sonnes, avaient été arrê­tés et exé­cu­tés les jours qui sui­virent dans la caserne de Guel­ma, sur ordre des sinistres Géné­ral Duval, du sous pré­fet de Guel­ma André Achia­ry et du Pré­fet de Constan­tine André Les­trade-Car­bon­nel. Ce n’é­tait que le début d’un mas­sacre qui va durer jusqu’au mois de juin 1945.
Mon grand père qui a par­ti­ci­pé à la pre­mière guerre mon­diale et a été déco­ré, a reçu le 10 mai 1945 des nou­velles inquié­tantes de Guel­ma. Il des­cen­dit en che­val de la cam­pagne et prit le train à Nador. Arri­vé à la gare de Guel­ma, il sera arrê­té sur indi­ca­tion d’un col­la­bo­ra­teur Gaïd Hocine Mal­lek et conduit à Hélio­po­lis à 5 kms de Guel­ma. Il sera exé­cu­té et jeté dans le four à chaux (appar­te­nant à Mar­cel Lavie, pro­prié­taire ter­rien de la région et dépu­té dont le fils orga­ni­sa et par­ti­ci­pa aux mas­sacres dans les cam­pagnes avoi­si­nantes avec la milice).Ce sinistre Lavie et son four à chaux qui ser­vi­ra à faire dis­pa­raître les corps des hommes assas­si­nés jus­qu’au mois de juin 1945.

La cho­rale « les bar­ri­cades » a chan­té deux chants algé­riens, un chant patrio­tique, puis « Casa del Moua­dia » chant qui est deve­nu l’un des hymnes emblé­ma­tiques de la contes­ta­tion en cours contre le pou­voir algé­rien.

Bona

Maria­no Bona.

Jamal

Jamal Zaï­mia.

MT

Marie Thé­rès Llo­ret.

J

Jac­que­line Madrennes.

Fleurs/

Une gerbe a été dépo­sée.

Chorale/

La cho­rale « les bar­ri­cades » a chan­té deux chants algé­riens, dont l’un est deve­nu l’un des hymnes de la contes­ta­tion en cours contre le pou­voir algé­rien.

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