L’accès au logement est aujourd’hui une des préoccupations majeures des habitants de l’agglomération grenobloise.

Nicolas Beron-Perez était co-chef de file des communistes grenoblois aux dernières élections municipales. Depuis quatre mois à peine, il occupe des fonctions de premier plan sur les questions de logement et d’habitat. Un des dossiers majeurs du début de mandat est celui du devenir d’ACTIS, l’office HLM grenoblois devenu métropolitain : nous l’avons rencontré pour faire le point et aborder un autre dossier, celui de l’Abbaye.

On se souvient qu’il y a deux ans maintenant, une large mobilisation avait permis d’ajourner le projet de fusion entre ACTIS et Grenoble-Habitat. Les communistes étaient en première ligne de ce combat, et aujourd’hui vous êtes vice-président à l’habitat de la Métro et conseiller délégué au logement à la ville de Grenoble : comment abordez-vous ce dossier ?

Nicolas Beron Perez : « Effectivement, avec une majorité à la métropole qui a fini de s’organiser fin octobre et une date butoir initiale posée par la loi Élan au 1er janvier 2021, on peut dire que ce dossier était tout en haut de la pile !

Dès le lendemain de ma prise de fonction, j’ai demandé un état des lieux précis du patrimoine d’Actis, et j’ai cherché à voir s’il était possible d’atteindre le seuil fatidique des 12000 logements au dessus duquel les obligations de rapprochements devenaient caduques. L’idée était de voir si en achetant rapidement des logements (dans le parc privé diffus, sur les logements communaux dispersés, voir à d’autres bailleurs), on pouvait dépasser ce seuil.

Mais le comptage a finalement révélé que c’était près de 900 logements familiaux qui manquaient. Autant dire que c’était irréalisable en si peu de temps. La question du délai se posait aussi, pour éviter qu’au 1er janvier l’État nous dise « Ok, vous n’avez rien fait donc on prend la main ». Et une mise sous tutelle sur cette question n’aurait rien apporté de bon, le pouvoir en place n’est pas connu pour son amour du service public… Crise sanitaire aidant, nous avons obtenu un délai de trois mois supplémentaires… »

Il fallait donc prendre une décision, dans un sens ou dans l’autre. On entend que le scénario du printemps 2019 (fusion sèche de Actis et Grenoble habitat sous la forme d’une SEM) était de nouveau sur la table, qu’en est-il ?

N. B.P.: (rires) « Effectivement, je ne dirais pas que cette option n’a pas été évoquée par certains ! Mais que les choses soient claires, nous n’avons pas été élus sur cette base, et il n’était pas question pour moi de faire revenir par la fenêtre un scénario que nous avions contribué à écarter par la porte, fut-ce au motif de l’urgence.

Lors de la mobilisation de 2019, les associations de locataires et les anciens administrateurs avaient porté l’option alternative d’une SAC (société de coordination), c’est aujourd’hui celle qui est retenue. Cette option permet de sécuriser les structures, et de travailler sereinement à l’avenir. Car l’enjeu n’est pas seulement de préserver l’existant, mais bien de tout remettre à plat pour construire un outil du logement public métropolitain qui remplisse ses missions.

Dire que Actis ou Grenoble Habitat seraient aujourd’hui des modèles parfaits n’est pas vrai ; beaucoup de choses sont à améliorer, à repenser. Il faut aussi réfléchir à la question du Logement du pays vizillois, « petit » bailleur à prendre en compte dans nos réflexions. Sur tous ces sujets, il faut écouter les premiers concernés, les locataires, et aussi les salariés. »

Et pourquoi ne pas avoir suivi la voie d’un intégration d’Actis à la SAC du Département, qui regroupe actuellement AlpIsere Habitat et ADVIVO (l’OPH de Vienne) ?

N. B.P.: « Il faut bien saisir que les SAC sont des structures transitoires dans l’esprit du législateur. Dans ces conditions, aller avec le Département reviendrait à faire fusionner à terme ces OPH dans un seul super-organisme.

Plusieurs risques se présentent alors. À court terme, on ne peut que constater que les orientations politiques du Département ne sont pas celles que nous portons, il suffit de lire les déclarations du nouveau président de l’établissement public foncier local (EPFL) : rien ou si peu pour le logement public, tout pour les promoteurs. À moyen terme, le risque est encore plus grand : nous ne sommes pas à l’abri d’une évolution législative qui pousserait les Départements à se défaire de leurs organismes de logement, ce qui intégrerait ACTIS dans un consortium national bien loin de la proximité que nous voulons défendre. C’est la logique même que sous-tend la loi Élan : aller vers des super-organismes nationaux technocratiques, pour « donner une visibilité accrue du marché », et à terme se calquer sur les modèles allemands ou hollandais où des fonds de pensions tel que Black Rock prennent la place des collectivités dans le capital de ces organismes.

Les locataires assument plus de 80% du coût du logement public

Donc non, ce ne sont pas des positions « politiciennes » mais bien des divergences majeures, de fonds idéologiques que j’ai, que nous avons à Grenoble, à la Métropole avec la droite départementale ou avec le gouvernement Macron. »

Mais face à ce tableau bien noir, comment construire une autre voie ?

 N. B.P.: « Effectivement, l’évolution induite par les politiques libérales n’augure rien de bon. Face à ça, certains pensent qu’il faut se couler dans le moule pour survivre. Ce n’est pas ma conviction : nous devons au contraire « innover », puisque le mot est à la mode (rires).
Mon objectif est de construire un modèle qui place les locataires au centre, sur tous les plans. Puisque l’État s’attaque à la propriété collective qu’est le service public du logement, et qu’il fait tout pour qu’à terme les collectivités locales n’aient plus les moyens de garantir cette propriété collective, et bien ouvrons la voie de la socialisation !

Aujourd’hui, les locataires assument plus de 80% du financement du logement public, pourquoi demain ne pourraient-ils pas en assurer une partie de la maîtrise réelle, en termes de pouvoir politique concret et partagé ?

Attention, ce que je propose n’est pas d’aller vers le découpage « à l’anglaise » du logement public, où chaque locataire devient propriétaire individuellement de son logement : ce modèle, c’est Thatcher, et on voit bien qu’il a conduit à la liquidation du parc social, à sa privatisation et sa dégradation. Non, ce que nous devons inventer, c’est une forme de propriété collective inaliénable qui permette à chaque locataire d’avoir voix au chapitre à tous les niveaux, c’est bien d’imaginer le logement public à vocation sociale comme un bien commun.

Clairement, mon objectif est de construire ce chemin original avec les fédérations de locataires, pour conforter leur expertise et leur rôle de porteurs de la parole des habitants. Parce qu’aucun sujet ne doit être tabou : proximité, renouvellement urbain et rénovations, espaces collectifs de décisions, place et droits des salariés… tout doit être abordé, tout doit être entendu et pris en compte !

De même pour les salariés il faut garantir aussi bien les conditions de travail que leur donner la possibilité de forger leurs outils de travail dans la construction de l’outil métropolitain.

Le passage en SAC va permettre de sécuriser les choses juridiquement, de montrer les limites, les coûts/avantage et parfois les impasses, mais où chaque partie prenante du débat pourra poser ses impératifs, ses limites, ses objectifs, et de se donner le temps du dialogue sur la durée, pour tous ensemble construire le service public du logement dont nous avons besoin. »

Propos recueillis par Robert W. Ewellnes

Abbaye : un épilogue en forme de victoire pour les sans-logis

Alors que l’occupation par des militants du DAL d’une montée dans le quartier de l’Abbaye a mis en évidence les besoins en terme de prise en charge des sans-logis, Nicolas Beron-Perez avait proposé de mettre en chantier un projet d’hébergement transitoire sur le quartier.


Aujourd’hui, ce projet est en passe de voir le jour : se ne sont pas moins de 80 places d’hébergement qui vont être créées pour accueillir les plus précaires.
Élément important : une partie de ces logements sera dédiée à l’accueil et à l’accompagnement des jeunes majeurs étrangers isolés, public qui jusqu’alors était mis de côté par les dispositifs existants.
Les services de l’État, mais aussi du CCAS de Grenoble et des associations engagées au quotidien, comme l’Apardap ou la Cimade, auront été mobilisés pour la concrétisation de ce projet solidaire et concret.

En parallèle, la commune annonce la relocalisation de plusieurs services sociaux municipaux sur le quartier, au plus près des habitants.

Un bel exemple du passage entre d’une alerte citoyenne légitime à une concrétisation politique concrète !

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