1957, mon père en prison

Par Edouard Schoene

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Annie Brion est lectrice de notre journal. Notre numéro de novembre dernier comprenait un article, « Guerre d’Algérie, 1956, l’année charnière ». « Louis Seyve, dont vous parlez dans cet article, c’est mon père », nous a‑t-elle dit. Histoire bien émouvante que celle contée par la fille d’un agriculteur communiste, condamné à un an de prison en 1957.

Né en 1907 dans la mai­son fami­liale à Epi­nouze dans la Drôme, non loin de Saint-Mar­cel­lin, Louis est orphe­lin à 7 ans. Son père est mort à 34 ans en juin 1914, dans la grande guerre. Louis sait qu’il devra aider la famille dans l’exploitation agri­cole : deux vaches, des vignes, des patates, du tabac… « A l’époque, après la Libé­ra­tion, nous ramas­sions les fruits et légumes entre voi­sins agri­cul­teurs. Mon père avait repris l’exploitation agri­cole après une école d’agriculture à la Côte-Saint-André. Il avait arrê­té les vaches et plan­té des pêchers et poi­riers sur l’exploitation de sept hec­tares. Les fruits étaient ven­dus à la coopé­ra­tive, par­fois au mar­ché. Les récoltes se fai­saient de juillet à sep­tembre. Ma mère tra­vaillait à la ferme. En été, des ouvriers espa­gnols venaient par­fois en ren­fort. Mes deux frères et moi aidions tout l’été au tra­vail agri­cole. Mes parents ne pre­naient pas de vacances », se sou­vient Anne Brion.

Louis Seyve, un père com­mu­niste, dès avant la Seconde guerre mon­diale. « Louis était révol­té depuis le décès de son père à la guerre de 14. Il se décla­rait volon­tiers disait paci­fiste, non violent, un peu anar­chiste. Il avait adhé­ré jeune au PCF et il a par­ti­ci­pé à la la résis­tance armée, dans la Drôme. Très logi­que­ment, il était oppo­sé à la guerre en Algé­rie, contre les guerres colo­niales. En 1956, un de ses amis l’informe d’une mani­fes­ta­tion le 2 mai à Beau­re­paire, pour la paix en Algé­rie : un train emme­nant des appe­lés est annon­cé. Ils partent à plu­sieurs en direc­tion de la gare. Un train d’appelés ne s’arrête pas sus­ci­tant la décep­tion des familles de cer­tains appe­lés. Un autre, plein d’armements, s’arrête en gare. Le ton monte. Colère des mani­fes­tants. Ils font appel à mon père pour cal­mer la foule. Il monte sur une loco­mo­tive et fait un court dis­cours de paix. Il ramène au calme les mani­fes­tants. La mani­fes­ta­tion se ter­mine dans le calme. La police judi­ciaire enquête dis­crè­te­ment pour connaître le-la ou les orga­ni­sa­teurs. Le 27 juin 1956, mon père est arrê­té par la bri­gade de Moras. Ils seront trois de Beau­re­paire, quatre de Romans, quatre d’Aubenas à être empri­son­nés à la pri­son de Saint-Paul à Lyon. Ils devaient être empri­son­nés à Mont­luc, mais dans cette pri­son se tour­nait un film, Un condam­né à mort s’est échap­pé, de Robert Bres­son. »

Lors de cette pre­mière déten­tion, une cam­pagne de pro­tes­ta­tion, de soli­da­ri­té est lan­cée par le Secours popu­laire et le PCF. Un peu avant le 14 juillet 1956, Louis béné­fi­cie­ra d’une libé­ra­tion pro­vi­soire. En mars 1957 se tient le pro­cès des mani­fes­tants de Beau­re­paire. Louis Seyve est condam­né à un an de pri­son par le tri­bu­nal mili­taire de Lyon.

Il se retrouve en pri­son au fort Mont­luc (Lyon) avec des jeunes insou­mis mais éga­le­ment des pri­son­niers de guerre nazis. Une grande cam­pagne de dénon­cia­tion de cette condam­na­tion est lan­cée. Sur les murs, « Libé­rez Louis Seyve ». « Mon père, raconte Annie Brion, aida les gar­diens de pri­son à mon­ter un syn­di­cat. Pen­dant sa déten­tion, il écri­vit des poèmes. Il rece­vait beau­coup de cour­riers. Les gar­diens lui pas­saient dis­crè­te­ment des jour­naux. Depuis la pri­son, il père don­nait des conseils à ma mère, pour s’occuper de l’exploitation agri­cole. En 1957, toutes les semaines, la famille allait le voir. Mais le temps était limi­té. Un jour, fai­sant fi du règle­ment, les gar­diens m’ont auto­ri­sé à appro­cher mon père. Nous nous sommes fait des bises. Arrive le temps des récoltes. La soli­da­ri­té s’est orga­ni­sée pour aider ma famille. Le Secours popu­laire m’a offert un mois de vacances à la mer. Mes pre­mières vacances. Un mois, c’était long. J’ai cru ne jamais revoir mes parents. En ren­trant à Epi­nouze, j’al­lais dor­mir dans le lit de ma mère jusqu’au retour de mon père. J’ai repris les visites en pri­son. Avec la mobi­li­sa­tion impor­tante pour deman­der sa libé­ra­tion — cent vingt maires lui avaient appor­té leur sou­tien -, mon père a obte­nu une remise de peine de trois mois. Il est sor­ti le 20 novembre 1957. Je me sou­viens avoir vécu ces mois dans la bonne humeur des mili­tants-es. »

En 1962, Louis Seyve a reçu des menaces de mort de l’OAS. Des mili­tants fai­saient la garde, la nuit, pour pro­té­ger sa mai­son.

Louis Seyve a été long­temps diri­geant du PCF dans la Val­loire — tout au Nord de la Drôme -, plu­sieurs fois can­di­dat aux élec­tions can­to­nales. Il s’est éteint en jan­vier 1982.

Une lettre de menace de mort à l’or­tho­graphe incer­taine adres­sée en février 1962 à « Mon­sieur Louis Seyve, Culti­va­teur Com­mu­niste tra­vaillant à la solde de la Rus­sie à EPINOUZE Drôme ». Elle est signée « Des­truc­tion des com­mu­nistes et assi­mi­lés pour l’Al­gé­rie fran­çaise, orga­nisme de sou­tien à l’OAS. On peut notam­ment y lire : « Pour gar­der l’Al­gé­rie fran­çaise, par­ti (sic) inté­grante du ter­ri­toire, nous devons par tous les moyens sup­pri­mer les antis (resic) patriotes, et antis fran­çais, et toutes per­sonnes pre­nant leurs ordres à l’é­tran­ger, et par la (rere­sic) même vous ».
La carte de résis­tant déli­vrée à Louis Seyve le 12 décembre 1944.
La mobi­li­sa­tion contre l’emprisonnement de Louis Seyve au fort Mont­luc, à Lyon, là où nombre de résis­tants ont été fusillés.

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