Dans la rue, le passé et le présent de l’histoire franco algérienne
Par Edouard Schoene
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Ce samedi 17 octobre, l’hommage pour le 17 octobre 1961 a été un moment fort à Grenoble. Plus de 250 personnes y ont participé, ce qui est à remarquer dans le contexte particulier de pandémie et restrictions de circulation.
De nombreux élus étaient présents, dont le maire d’Echirolles, Renzo Sulli, et le maire de Grenoble, Eric Piolle. Le maire de Grenoble a annoncé qu’il y allait y avoir une initiative publique avec d’autres élus en France pour demander que la France reconnaisse le 17 octobre comme crime d’Etat et que le 17 octobre fasse partie des dates officielles de commémoration.
Le large rassemblement grenoblois, annuel depuis 1996 est en effet assez unique en France. Une réflexion est engagée pour un moment fort, dans toute la France, en 2021.
Mariano Bona au nom du « collectif du 17 octobre 61 » soutenu par une quarantaine d’associations, syndicats, partis a pris la parole.
Il entamait son intervention en soulignant que « cet hommage se fait depuis 2016 à côté de la plaque commémorative posée par la ville de Grenoble, qu’il faut chaleureusement remercier car c’est un geste d’engagement et de solidarité que trop peu de villes ont fait. » En effet le soir même, le collectif grenoblois du 17 octobre 61 était représenté à la table ronde « Mémoire ouverte » à l’opéra de Lyon avec la biennale Traces, pour une soirée consacrée au massacre de 1961, avec la présence de l’historien Gilles Manceron.
Dans son intervention, Mariano Bona rappelait : « Le 17 octobre 1961, des dizaines de milliers de travailleurs algériens et leurs familles ont manifesté pacifiquement à Paris pour le droit à l’indépendance de l’Algérie, pour leur droit à l’égalité et à la dignité, contre le couvre-feu raciste qui leur était imposé. Les manifestantes et les manifestants étaient essentiellement des travailleurs de la région parisienne, accompagnés de leurs familles, venus des quartiers populaires et des bidonvilles, notamment celui de Nanterre. Alors que la manifestation était pacifique, la répression qui s’est abattue sur les manifestants fut d’une grande violence : 11 000 arrestations, 300 victimes, frappées à mort, jetées à la Seine, tuées par balles. Le préfet de police de Paris qui conduisait les opérations était Maurice Papon, condamné en 1998 pour complicité de crimes contre l’humanité pour des actes commis entre 1942 et 1944. »
Mariano Bona rappelait les objectifs de la manifestation : exiger de l’État français qu’il reconnaisse officiellement sa responsabilité dans les massacres liés à la colonisation ; exiger la reconnaissance des massacres du 17 octobre comme crime d’État ; réclamer l’ouverture des archives de la Guerre d’Algérie et de la colonisation aux chercheurs français et étrangers, sans restrictions, ni exclusives ; refuser les discours xénophobes, racistes, colonialistes.
Mais comme chaque année depuis toujours la manifestation grenobloise est ancrée aussi sur le présent. Le porte parole des organisateurs et soutiens a ainsi précisé :
« Cet hommage ne serait pas complet si on ne faisait pas le lien avec notre présent, car les motivations des manifestantes et des manifestants du 17 octobre 1961 sont d’une brûlante actualité.
Il faut refuser la banalisation des violences policières, dont est notamment victime depuis bien trop longtemps la jeunesse des quartiers populaires et des populations issues de l’immigration. La violence utilisée contre les mouvements sociaux, contre les jeunes lycéens et étudiants, provoquant des blessés graves et même des morts doit nous interpeller. Le 17 octobre 1961 nous alerte sur ce qui peut se produire lorsque l’Etat est prêt à utiliser tous les moyens pour obtenir « Un pays qui se tient sage », selon le titre du documentaire de David Dufresne que je vous invite a aller voir.
Le 17 octobre 1961, les Algériennes et les Algériens manifestaient contre un couvre-feu raciste. Que la date du 17 octobre ait été choisie par le gouvernement pour débuter un couvre-feu est un court-circuit saisissant entre les événements, et montre le chemin qui reste a parcourir pour la prise en compte réelle et complète de cette partie de l’Histoire dans toutes ses dimensions.
Le 17 octobre 1961, les Algériennes et les Algériens manifestaient pour affirmer le droit des migrants a vivre dans la dignité sans subir de discriminations. Cela a donc beaucoup de sens qu’il y ait aujourd’hui à Paris une marche des sans-papiers, la « marche nationale pour l’égalité », convergence de cortèges partis d’un peu partout en France, avec la présence de Grenoblois. Au départe de la Marche nationale pour l’égalité, une prise de parole est prévue sur le massacre du 17 octobre 1961, et une délégation de la Marche sera présente lors de la commémoration qui se tient a 18h au Pont Saint Michel a Paris. C’est une jonction entre le passé et le présent qui se fait à l’occasion de cette marche.
Depuis le 22 février 2019, sur (‘ensemble du territoire algérien, le peuple s’est levé en masse et pacifiquement, pour obtenir des changements politiques et sociaux. Jeunes, femmes, étudiants.… progressistes et démocrates, manifestent pour une nouvelle société plus libre, plus démocratique et plus juste, débarrassée de la corruption.
La jeunesse algérienne n’est pas oublieuse de son Histoire et s’inscrit dans la continuité du combat pour Ia libération de l’Algérie. Des dizaines d’Algériennes et d’Algériens sont actuellement en prison pour délit d’opinion ou avoir voulu informer. Les questions soulevées par ce mouvement ne se résoudront pas par la répression, mais par la pleine prise en compte des demandes du peuple algérien.
La solidarité internationale s’organise, avec par exemple la campagne de Amnesty International « Libérez les détenus d’opinion », la prise de position publique des villes de Paris et de Lyon au sujet du cas emblématique du journaliste Khaled Drareni, condamné a une peine de prison de deux ans pour avoir couvert une manifestation à Alger.
Bien sûr, c’est au peuple algérien et a lui seul de déterminer le chemin qu’il souhaite suivre. Mais cela ne doit pas nous empêcher d’agir pour amplifier la solidarité avec le peuple algérien dans son combat démocratique.
J’ai une pensée émue pour Samuel Paty, professeur d’Histoire-Géographie assassiné hier soir pour avoir voulu enseigner ce qu’est la liberté d’expression à ses élèves.
« II fait toujours nuit, sinon on n’aurait pas besoin de lumière » disait le grand musicien de jazz Thelionous Monk. Nos actions, diverses, comme celle qui nous rassemble ici, contribuent à faire reculer la nuit. »