Comment la CGT grandit dans le mouvement social
Par Luc Renaud
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Du monde dans les manif, des entreprises, des professions en grève... un bol d’air pour tous les syndicalistes. Y compris là où le syndicat en est à ses débuts. Delphine Bouyaud nous raconte ses combats dans cette entreprise métallurgique de la banlieue grenobloise où les salariés se tournent aujourd’hui vers elle. Entretien.
« Les manifs, quelle énergie ça nous apporte ! » Delphine Bouyoud en a pourtant à revendre, de l’énergie. Mais là, ça fait du bien. Du bien pour faire grandir son syndicat CGT, dans l’entreprise de la métallurgie de plus d’une centaine de salariés où elle travaille, à Seyssinet. Car le mouvement social, ça encourage. Elle, mais pas seulement. Tous les salariés avec lesquels elle discute, aussi.
Sa carte à la CGT, elle l’a prise en juillet 2018. Elle n’est pas du genre à avaler les couleuvres. Alors ça devenait un peu tendu, avec la direction de l’entreprise. « J’ai eu un arrêt maladie pour une opération et la DRH n’arrêtait pas de me mettre la pression ; j’ai compris que ce ne serait pas forcément simple à la reprise. » Delphine a donc décidé de se syndiquer. « J’en prenais plein la gueule ; j’allais pouvoir me défendre ».
Dans la foulée, le syndicat l’a désignée comme déléguée. Et Delphine s’est lancée dans les élections professionnelles – en mars 2019 –, candidate dans son collège de techniciens et agents de maîtrise au conseil social et économique de l’entreprise. Où elle a été élue. « Franchement, je n’y croyais pas du tout. »
Ce qui a changé beaucoup de choses dans l’entreprise. « Avant ma candidature, les candidats aux élections n’avaient pas d’étiquette syndicale ; comme je me suis affichée CGT, les autres sont devenus CFDT, la direction avait besoin d’un pare-feu. » CFDT par conséquent majoritaire au CSE, puisque présente dans les trois collèges. « Aux prochaines, la CGT sera aussi dans les trois collèges », sourit Delphine.
Ce qui a changé aussi, c’est le déroulement des négociations annuelles obligatoires. « Nous n’avons pas signé, contrairement à la CFDT, parce qu’il n’était pas question de cautionner leur prime au « savoir-faire et au savoir-être » – c’est quoi, le savoir être pour un patron ? – mais ils ont dû intégrer quelques-unes de nos revendications, comme les jours pour enfant malade. » En fait, la création de la CGT a eu comme effet que d’autres propositions que celles de la direction puissent faire partie des négociations. Et de réveiller la fibre syndicale des adhérents de la CFDT.
Ils prennent des congés pour aller manifester
« Maintenant, il faut développer la CGT, informer les salariés sur leurs droits, construire nos revendications et les faire aboutir. » La tranquille détermination de Delphine fait bouger. L’ampleur du mouvement social aussi. « Dans les manifs, j’ai vu une dizaine de personnes de la boîte et tout le monde me dit que c’est super. » Il y a aussi l’aide de l’union départementale et de l’union de la métallurgie (USTM). « Quand les salariés voient les militants au portail, ça veut dire quelque chose pour eux. » Comme pour la direction, d’ailleurs.
Reste le travail de fond. « Il y a des salariés qui me demandent comment justifier une absence pour aller à une manif ; ils ne savent pas qu’ils ont le droit de grève et qu’ils sont couverts par le préavis de l’UD, d’autres qui prennent des congés pour aller à la manif… », note Delphine.
Car c’est la crainte qui domine. « Le patron m’a dit qu’il n’aimait pas la CGT et je lui ai répondu que je prenais ça comme un compliment, mais c’est sûr que ce n’est pas bien vu de se montrer avec la CGT. » Là encore, il faut reprendre à la base l’information sur les droits. Les questions sont variées : est-ce qu’une adhésion à la CGT se voit sur la fiche de paie ? Est-ce que je peux être licencié si je me syndique ? Est-ce que je vais perdre du salaire ? Interrogations dans la France des libertés d’aujourd’hui. La peur du patron, et puis aussi l’image d’un « syndicalisme dur » accolée médiatiquement à la CGT. Le défaitisme, aussi, « l’idée qu’on n’y arrivera pas, que le patron n’est pas responsable de tout et qu’il ne faut pas gêner la direction ».
Alors Delphine explique, inlassablement. Certes, la bataille est plus rude pour un syndicat qui n’est pas lié au patron. Mais elle a un sens. Et la solidarité peut être un moyen de défense efficace pour les salariés. Avec des résultats, au fil des mois. Plus particulièrement depuis décembre. « J’ai des retours : « comment peut-on faire pour t’aider, il n’y a que toi qui bouge, il faudrait faire quelque chose » ; le climat n’est plus le même dans la boîte. »
L’énergie du mouvement social en renfort de la vitalité de Delphine Bouyot. Et des futurs adhérents du syndicat CGT de cette entreprise.
Le syndicalisme élargit son terrain de jeu
Le mouvement pour la retraite a fait émerger une nouvelle forme d’organisation. L’interprofessionnel, l’interusagers, à la base.
Ils se sont croisés, à un moment où un autre. Devant la sécu, par exemple, lors des rassemblements organisés pour la défense des antennes de la CPAM. La question s’est posée naturellement. Pourquoi ne pas faire des choses ensemble ? Ainsi est né le collectif de la Villeneuve, du Village olympique et d’entreprises du secteur. Collectif qui associe les militants syndicaux (CGT, Solidaires FSU) qui travaillent à la sécu, à la direction du travail, l’institut de géographie et à la CAF, à des habitants de ces quartiers, des associations comme Femmes égalité…
Objectif, bien sûr, la mobilisation pour le droit à la retraite. Des départs en cortège ont été organisés depuis Grand place. Pierre, Karen, Mathilde et Alexandre racontent. « Le 17 décembre, nous étions une centaine au départ et 300 au départ de la manif générale, à la gare, après des arrêts devant les lycées Guynemer et Mounier. » Ce que font aussi syndicalistes et militants du collectif, ce sont des distributions de tracts sur le marché de la Villeneuve, devant les écoles et les entreprises associant les syndiqués de la boîte, des réunions d’information, des assemblées générales régulières, collages…
Une garderie les jours de manif
Ce que ça change ? « Plus sympa de se retrouver ensemble pour faire quelque chose, plutôt qu’isolé dans sa boîte. » Cri unanime. Mais ce n’est pas que le confort de la chaleur humaine dans la – relative – froidure de l’hiver. « A la sécu, voir tout ce monde à la sortie pour discuter, ça a eu un écho formidable », explique Karen. Et cela permet à l’expression syndicale de s’élargir. « Habitants, syndicalistes, usagers ensemble, ça permet de toucher des gens différents ; ça change tout devant une école quand ce sont des parents qui soutiennent la grève. » Et personne n’aurait eu l’idée d’aller voir étudiants et profs de l’Institut de géographie alpine ou d’aller diffuser avec les syndicalistes de Caterpillar si ce « collectif territorial » ne s’était pas constitué.
L’autre aspect, ce sont les relations nouées entre militants de différentes organisations, entre syndicalistes et usagers. Tous confrontés aux mêmes questions (déshumanisation de l’accueil des usagers, suppressions d’emplois…) et pourtant peu coutumiers d’une intervention commune, d’une expression en dehors de l’entreprise. Des pratiques différentes, aussi, comme l’organisation d’une garderie les jours de manif.
Toutes choses efficaces, s’agissant d’élargir la mobilisation.
Une démultiplication de l’action syndicale
L’organisation territoriale contre l’organisation syndicale traditionnelle ? Les militants ne voient pas la question comme ça. D’abord parce que l’intersyndicale départementale appuie l’émergence de ce nouveau type d’intervention. Six secteurs ont été définis dans l’agglomération grenobloise pour constituer ces réseaux d’échange et de mobilisation. Ensuite parce que cela remet du sens au mouvement : « Nous agissons ensemble, parce que nous sommes confrontés aux mêmes réalités ». Ce qui apparaît clairement dans le cadre d’un mouvement comme celui des retraites. Et que c’est au fond dans le débat avec les citoyens que se gagne la bataille de l’opinion publique. La bataille pour gagner.
Adhésions, contacts nouveaux, nouveaux syndicats… janvier à la CGT
Cent cinq nouvelles adhésions à la CGT au cours des trois premières semaines de janvier dans l’Isère. « Les salariés adhèrent dans les entreprises, dans la métallurgie notamment, mais ce sont aussi beaucoup des salariés de PME, isolés, qui se syndiquent dans les unions locales », commente Elisa Balestrieri, secrétaire de l’union départementale. Et notamment via un contact par internet.
Ce mouvement d’adhésions s’accompagne de questionnements quotidiens, soit directement auprès des militants, soit par les réseaux sociaux et le site de l’UD. « On nous demande comment on peut faire grève ou comment rejoindre la CGT après avoir quitté la CFDT », relève la responsable départementale. Dans le Nord Isère, un syndicat CFDT d’une entreprise de logistique a décidé de rejoindre la CGT. Dans plusieurs PME, des adhérents jusqu’alors sans section syndicale d’entreprise, ont décidé de la créer. De la même manière que des collectifs engagés dans des luttes spécifiques se tournent aujourd’hui vers « les syndicats », c’est-à-dire la CGT.
Et puis il y a la vitalité de l’organisation. « Tout le monde est à fond », constate Elisa Balestrieri. La bataille pour le droit à la retraite est par définition interprofessionnelle. Elle est logiquement le cadre d’un développement du syndicalisme à la base, dans les territoires.
De bonnes nouvelles, en somme.
Le SNAPEC décide du principe d’une adhésion à la CGT
Le syndicat national des professionnels de l’escalade et du canyon (SNAPEC) a décidé de rejoindre la CGT. Le principe de cette adhésion a été adopté lors de l’assemblée générale extraordinaire qui s’est tenue le 10 décembre de l’année dernière à Chateauneuf-sur-Isère dans la Drôme. Il reste maintenant à définir les modalités de cette adhésion avec la fédération de l’enseignement, de la recherche et de la culture (FERC-CGT). Le SNAPEC estime que « le projet syndical de la FERC apparaît compatible avec celui du SNAPEC » et que « la FERC a réservé le meilleur accueil et a témoigné d’un grand intérêt pour notre syndicat et ses luttes ». Le SNAPEC regroupe sept cents moniteurs et son siège national est à Grenoble.