Retraites : la forme et le fond

Par Travailleur Alpin

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Le pré­sident de la Répu­blique, éga­le­ment Pre­mier ministre, ministre des Finances, ministre du Tra­vail… a déci­dé d’im­po­ser une nou­velle réforme des sys­tèmes de retraite. Le but : ins­tau­rer un régime unique et donc sup­pri­mer les régimes spé­ciaux, des fonc­tions publiques et des entre­prises publiques en par­ti­cu­lier, pré­sen­tés comme des pri­vi­lèges à abo­lir alors que les tra­vaux du Conseil d’o­rien­ta­tion des retraites (COR) ont éta­bli que les dif­fé­rents sys­tèmes exis­tant actuel­le­ment donnent des taux de rem­pla­ce­ment équi­va­lents. Ce que ne dit pas le COR, c’est que le bas niveau des salaires dans les fonc­tions publiques et entre­prises publiques débouche mathé­ma­ti­que­ment sur un bas niveau des retraites dans ces sec­teurs.

Tout doit donc être mis sur la table. Mais pas une table de négo­cia­tions puisque depuis long­temps déjà il n’y a plus de négo­cia­tions entre l’E­tat et l’en­semble des orga­ni­sa­tions syn­di­cales, où chaque par­tie entend ce que disent les autres par­ties, mais des ren­contres bila­té­rales, des « concer­ta­tions », au cours des­quelles le gou­ver­ne­ment s’in­forme seule­ment de quel os à ron­ger se satis­fe­raient cer­taines orga­ni­sa­tions pour appo­ser leur signa­ture au bas du par­che­min. Et tout n’est pas mis sur cette table, hors le rap­port Dele­voye qui, comme les nom­breux rap­ports Tar­tem­pion ou de com­mis­sion Bidule suc­ces­sifs, sys­té­ma­ti­que­ment sol­li­ci­tés par ceux qui nous gou­vernent, sert de leurre pour les orga­ni­sa­tions syn­di­cales, pour trom­per le grand public et ten­ter de réduire le débat à un débat tech­nique sur les moda­li­tés de la réforme. Le pro­jet de réforme n’est tou­jours pas connu hors le prin­cipe de base, rela­ti­ve­ment impré­cis, d’un sytème de retraite par points fon­dé sur l’axiome : « pour chaque euro coti­sé, le même droit à pen­sion pour tous ». Enon­cé déma­go­gique pro­fé­ré au mieux par un ignare, au pire par un VRP en rideaux de fumée.

L’axiome de Macron

Pour que cet axiome de Macron recouvre une réa­li­té, il fau­drait que tout le monde parte à la retraite au même âge avec la même espé­rance de vie indi­vi­duelle, ou bien que, par exemple, les femmes aient des retraites plus faibles car elles vivent plus long­temps, que les ouvriers aient des retraites pro­por­tion­nel­le­ment plus éle­vées que les cadres car ceux-ci vivent plus long­temps. Il fau­drait aus­si que l’es­pé­rance de vie soit fixée une fois pour toutes pour les géné­ra­tions qui se suc­cèdent… Ce bel axiome, sous son masque d’é­qui­té, cache bien mal une remise en cause des pres­ta­tions non contri­bu­tives, en par­ti­cu­lier les « avan­tages » fami­liaux et conju­gaux (boni­fi­ca­tions et majo­ra­tions pour enfants, pen­sions de réver­sion …). De leur côté, la plu­part des médias relaient un dis­cours visant à pré­pa­rer l’o­pi­nion à de nou­velles régres­sions pré­sen­tées comme iné­luc­tables.

Ce pro­jet de réforme ne relève pas de la géné­ra­tion spon­ta­née, il ne s’a­git pas d’une illu­mi­na­tion qu’au­rait eue Jupi­ter au som­met de son Olympe. Rap­pe­lons qu’en 2010 des par­le­men­taires avaient pris l’i­ni­tia­tive sans pré­cé­dent, cer­tai­ne­ment télé­gui­dée, de char­ger le COR d’une mis­sion d’é­tude sur les sys­tèmes de retraite comme le sys­tème « de comptes notion­nels » qui vena­nit d’être ins­tau­ré en Suède, en Ita­lie, en Pologne, dans les pays Baltes. Sys­tème de comptes notion­nels et sys­tème par points, c’est bon­net blanc et blanc bon­net. Au même moment, la CNAV (caisse du régime géné­ra) avait fait une étude sur ce que don­ne­rait un régime par points. Quelle coïn­ci­dence !

L’union sacrée des illusionnistes

Les par­ti­sans d’un régime par points ou de comptes notion­nels (de Made­lin à Tho­mas Piket­ti en pas­sant par le Medef et la Cfdt) mettent en avant les « avan­tages » : un sys­tème uni­fiant les sys­tèmes de base face à l’  »opa­ci­té » des sys­tèmes actuels, un sys­tème plus juste à l’é­gard des car­rières longues et des car­rières modestes, qui pren­drait mieux en compte la ques­tion des poly-pen­sion­nés, qui per­met­trait de dis­tin­guer clai­re­ment les élé­ments contri­bu­tifs des élé­ments non contri­bu­tifs (« avan­tages fami­liaux » par exemple) qui pour­raient être finan­cés par l’im­pôt.

Or, un tel sys­tème est un sys­tème par répar­ti­tion à coti­sa­tions défi­nies, c’est à dire que le futur retrai­té sait ce qu’il aura coti­sé, mais ignore com­plè­te­ment ce qu’il per­ce­vra comme retraite (bon­jour la transparence!).Les coti­sa­tions ver­sées consti­tue­ront un capi­tal indi­vi­duel de points sur la base duquel sera cal­cu­lée la pen­sion en pre­nant en compte l’âge de départ à la retraite, l’es­pé­rance de vie de votre géné­ra­tion, et évi­dem­ment les coti­sa­tions encais­sées ou qu’il est pré­vu d’en­cais­ser pen­dant les années de retraite cor­res­pon­dant à l’es­pé­rance de vie de votre géné­ra­tion. Dans la fonc­tion publique par exemple, où il existe des car­rières plus ou moins rapides (à l’an­cien­ne­té, au choix ou autre dis­po­si­tif) les pen­sions seraient dif­fé­rentes selon la rapi­di­té de la car­rière pour un même grade dans une même caté­go­rie. Il n’y a donc plus de réfé­rence à une retraite en pour­cen­tage du salaire (le salaire des 6 der­niers mois dans la fonc­tion publique par exemple). Au mieux, on connaî­tra les condi­tions exi­gées pour une retraite « com­plète » : ne pas par­tir avant 65 ans, avoir 168 tri­mestres de coti­sa­tion pour évi­ter une décote …

Une pension proportionnelle aux cotisations

D’autre part, l’axiome de Macron implique une pen­sion de retraite pro­por­tion­nelle aux coti­sa­tions accu­mu­lées. Or, il y a des périodes dans la vie d’un sala­rié où il n’y a pas de coti­sa­tions : congés de mala­die, chô­mage, congés de mater­ni­té … Elles n’ou­vri­raient plus aucun droit alors que, actuel­le­ment, ces périodes sont vali­dées afin de mini­mi­ser les consé­quences pour les retraites des aléas de car­rière subis par les sala­riés.

Et comme Macron annonce vou­loir réduire les coti­sa­tions ver­sées par les sala­riés « sans que cela revienne plus cher aux employeurs » et aider « les entre­prises à embau­cher en bais­sant les coti­sa­tions sociales des employeurs » en rédui­sant « leurs charges », le pire est à craindre d’un sys­tème où la pen­sion serait pro­por­tion­nelle aux coti­sa­tions.

Le non contributif

Der­rière la pro­mo­tion du sys­tème, il y a aus­si l’i­dée de sor­tir le non contri­bu­tif du finan­ce­ment par les coti­sa­tions. Cela condui­rait à un affai­blis­se­ment de l’at­té­nua­tion des inéga­li­tés (de car­rière, de salaire …) résul­tant du sys­tème par répar­ti­tion tel qu’il existe actuel­le­ment. La retraite mini­mum garan­tie par exemple pour­rait dis­pa­raître pour être rem­pla­cée par une allo­ca­tion. Ce mini­mum contri­bu­tif concerne aujourd’­hui 38% des retrai­tés ayant effec­tué une car­rière com­plète, mais avec de (très) faibles salaires.

L’ac­cen­tua­tion de la dimen­sion contri­bu­tive et le décompte de points de retraite indi­vi­duel contri­bue­rait à pro­pa­ger l’i­dée que cha­cun cotise pour sa propre retraite et non plus pour finan­cer les pen­sions de ceux qui sont déjà pen­sion­nés. Ce qui par­ti­ci­pe­rait de la des­truc­tion des soli­da­ri­tés sur la base d’une idée intrin­sè­que­ment fausse.

Récapitulation

Ce qui se trame der­rière les décla­ra­tions en trompe l’oeil de nos gou­ver­nants et de leurs relais c’est

* la dis­pa­ri­tion de la réfé­rence aux salaires d’ac­tif pour déter­mi­ner le mon­tant de la pen­sion, ce qui confirme l’a­ban­don de l’ob­jec­tif du main­tien d’un niveau de vie des retrai­tés com­pa­rable à celui des actifs

* une aug­men­ta­tion des inéga­li­tés dans le cadre d’une redis­tri­bu­tion réduite

* une péna­li­sa­tion accrue des car­rières chao­tiques (chô­mage, bas salaires, inter­rup­tions liées aux enfants …) donc une péna­li­sa­tion des femmes en par­ti­cu­lier. Cette péna­li­sa­tion est déjà une réa­li­té avec les réformes Bal­la­dur, Fillon, Hol­lande, Sar­ko­sy, par le biais de la décote, de l’aug­men­ta­tion du nombre d’an­nées de salaire de réfé­rence, de l’aug­men­ta­tion du nombre de tri­mestres requis pour une pen­sion com­plète … Dans le sys­tème par points, toutes les années sont prises en compte, donc les plus mau­vaises aus­si.

*la prise en charge du non contri­bu­tif par l’im­pôt, sous forme d’al­lo­ca­tion, d’aide sociale, de fonds de soli­da­ri­té …

*Une absence de lisi­bi­li­té : le sys­tème étant à coti­sa­tions défi­nies, on sau­ra sans doute où en est son compte de points indi­vi­duel à tout moment, mais on ne sau­ra pas quelle pen­sion en décou­le­ra. Les retraites seront dif­fé­rentes selon l’an­née de départ, avec le même stock de points accu­mu­lés

* un sys­tème où l’on pour­rait « choi­sir » son âge de départ alors que l’on sait qu’une telle pos­si­bi­li­té n’existe pas en géné­ral, sur­tout dans le sec­teur pri­vé où l’on se débar­rasse des « séniors » avant 60 ans. On pour­rait ne pas tou­cher à l’âge auquel le sala­rié pour­rait faire valoir son droit à la retraite (actuel­le­ment 62 ans). Cet âge légal devien­drait pure­ment for­mel car, pour échap­per à une baisse impor­tante des pen­sions, il fau­drait tra­vailler jusque 67 ans et au-delà, alors qu’au­jourd’­hui plus de la moi­tié des sala­riés qui liquident leur pen­sion sont déjà sans tra­vail, chô­meurs, « béné­fi­ciaires » de « plans sociaux » leur inter­di­sant de tra­vailler … Et un cadre et un ouvrier qui ont un dif­fé­ren­tiel de 6,4 ans d’es­pé­rance de vie n’ont pas les mêmes pos­si­bi­li­tés de tra­vailler plus long­temps, lors­qu’ils ont encore un tra­vail.

* une baisse conti­nue des pen­sions ver­sées sur la base de la répar­tir­tion « jus­ti­fiant » un recours accru à la capi­ta­li­sa­tion (pour ceux qui le pour­raient). Les socié­tés d’as­su­rance, les banques, les fonds de pen­sion anglo-saxons sont à l’af­fut. La ques­tion fon­da­men­tale, celle du finan­ce­ment des retraites comme salaire socia­li­sé et conti­nué, la ques­tion poli­tique serait éva­cuée pour ne faire place qu’à un débat « tech­nique ».

Le fond

L’ob­jec­tif de la réforme, dont on ne connaît pas le détail, dont on ne sait pas ce qui sera mis en oeuvre dans un pre­mier temps, est, comme pour celles qui ont été impo­sées depuis 1993, de dimi­nuer les pen­sions, de blo­quer, voire de dimi­nuer la part des richesses pro­duites par le tra­vail consa­crée aux retraites afin, corol­lai­re­ment, d’aug­men­ter la part qui revient aux capi­tal. Mais au-delà, il s’a­git d’en finir avec le modèle soli­daire, uni­ver­sel et par répar­ti­tion du sys­tème de retraite inven­té et ins­tau­ré à par­tir de 1946. Une des pièces du puzzle macro­nien a été créée par Hol­lande : le Comi­té de sur­veillance des retraites(CSR) qui a pour mis­sion d’as­su­rer l’é­qui­libre finan­cier à moyen et long terme des régimes de retraite.

A cette fin,les pro­po­si­tions du CSR (mon­tant des coti­sa­tions des sala­riés, valeur du point, moda­li­tés d’in­dexa­tion, « bud­get » des retraites …) seraient inté­grées au pro­jet de loi de finan­ce­ment de la Sécu­ri­té sociale. Au pas­sage, la fis­ca­li­sa­tion des retraites, en fili­grane, est aus­si por­teuse de dérives déjà consta­tées comme les ponc­tions sur le bud­get de la sécu­ri­té sociale, ou sur la CASA pré­le­vée sur les retraites, à des fins étran­gères à leur des­ti­na­tion « légale », pour « ren­flouer » le bud­get de l’E­tat. C’est aus­si Hol­lande qui a mis en place le compte retraite unique indi­vi­duel consti­tuant un pas de plus vers la conver­gence des régimes.

La réforme envi­sa­gée par Macron répond aux recom­man­da­tions régres­sives et aus­té­ri­taires de la Com­mis­sion euro­péenne et au pro­gramme de réforme struc­tu­relle des retraites de la Banque mon­diale. Avec le FMI et l’OCDE, ces ins­ti­tu­tions prônent la mise en place d’un sys­tème de retraite repo­sant sur trois piliers : retraite obli­ga­toire de base, publique, retraite d’en­tre­prise par capi­ta­li­sa­tion, retraite indi­vi­duelle par capi­ta­li­sa­tion. La simi­li­tude est frap­pante avec ce qui a été ins­ti­tué pour les com­plé­men­taires san­té dans le cadre de l’A­NI du 11 jan­vier 2013 dont l’a­dop­tion a été qua­li­fiée par le patro­nat de vic­toire his­to­rique. Le sys­tème de pro­tec­tion sociale mis en place en 1946 pour pro­té­ger les tra­vailleurs devient un sys­tème de pro­tec­tion de l’en­tre­prise, de sa com­pé­ti­ti­vi­té, de ses marges. Cette évo­lu­tion est à relier à l’in­ver­sion des normes légis­la­tives fai­sant de l’ac­cord d’en­tre­prise la norme ultime.

La réforme des retraites vou­lue par Macron serait bien le der­nier clou enfon­cé dans le cou­vercle du cer­cueil de la Sécu­ri­té sociale soli­daire. La bataille qui s’an­nonce sera une bataille pour un autre pro­jet de socié­té. Tous nous devons contri­buer à la construc­tion de la lutte et y par­ti­ci­per.

Jean-Claude Lamarche

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