Gilets jaunes, mais qu’a fait la police ?

Par Edouard Schoene

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C’était le 1er mai. Manifestation le matin, rassemblement festif au Jardin de ville puis, en début d’après-midi, « manifestation non autorisée », à l’initiative de gilets jaunes. Intervention policière et arrestations. Huit manifestants étaient convoqués, le 16 septembre, devant la justice. Compte tenu de la grève des avocats, les comparutions ont été renvoyées. Sauf une. Récits.

Un ras­sem­ble­ment avait été orga­ni­sé pour la cir­cons­tance, devant le palais de jus­tice. Ben­ja­min Mois­set, syn­di­ca­liste Soli­daires et membre du col­lec­tif anti répres­sion 38 nous raconte : « aujourd’hui sont convo­qués huit pré­ve­nus pour avoir par­ti­ci­pé à la mani­fes­ta­tion des gilets jaunes le 1er mai. Nous y étions. Nous avons vu une répres­sion rapide en centre ville, alors que la mani­fes­ta­tion était paci­fique. Notre col­lec­tif coor­donne la défense avec les dif­fé­rents avo­cats. Nous agis­sons face à la répres­sion poli­cière et judi­ciaire notam­ment en dif­fu­sant l’in­for­ma­tion sur les droits. Le col­lec­tif regroupe actuel­le­ment Soli­daires, CGT, LDH, NPA, CIIP,… Plus on se soli­da­ri­se­ra moins la répres­sion sera effi­cace.« 
Ce que la jus­tice reproche aux pré­ve­nus ? « non dis­per­sion après som­ma­tion »  et pour une per­sonne, le soup­çon d’être « meneuse » parce qu’elle s’est expri­mée devant un micro. « En fait, nous dit Ben­ja­min Mois­set, les évé­ne­ments de Paris le 1er mai, dont Alexandre Benal­la a beau­coup fait par­ler, montrent qu’il y a eu volon­té de répres­sion puisque des diri­geants syn­di­caux, ceux de la CGT et de tous les autres, ont été gazés. »

Mais com­ment les évé­ne­ments ont-ils été vécus par ceux qui doivent aujourd’­hui s’ex­pli­quer devant les juges ?

Valen­tin nous conte son aven­ture : « je suis là pour refus de quit­ter la mani­fes­ta­tion après som­ma­tion… alors que je n’ai pas enten­du de som­ma­tion. Je me suis retrou­vé là parce que je pas­sais au mau­vais endroit, au mau­vais moment. J’ai vu des gens gazés, je suis secou­riste, j’avais une mal­lette de pre­miers soins. Je n’ai pas hési­té à por­ter secours. Si je n’avais pas été témoin de ces gazages, j’aurais pour­sui­vi mon che­min. Mal­heu­reu­se­ment j’ai été embar­qué. »

A ses côtés, un autre pré­ve­nu, qui sou­haite gar­der l’a­no­ny­mat : « J’étais venu à la mani­fes­ta­tion syn­di­cale le matin. J’ai par­ti­ci­pé ensuite au ras­sem­ble­ment et aux fes­ti­vi­tés au Jar­din de ville. En début d’après midi, une mani­fes­ta­tion impro­vi­sée, non décla­rée a eu lieu. J’y suis allé. C’était paci­fiste. On était gros­so modo 150. Petit à petit on s’est fait encer­cler. Au fur et à mesure que des gens quit­taient le cor­tège, nous nous sommes retrou­vés 75 entou­rés de 250 CRS et d’a­gents de la BAC. La seule pos­si­bi­li­té de fuite était un pas­sage étroit. Nous, ceux qui ont été arrê­tés, on a lais­sé les gens pas­ser. La police nous a mis contre le mur. Je coopère. Après une fouille un poli­cier me dit : « ça va être rapide, on vous laisse tout de suite. » Une four­gon­nette arrive et là, chan­ge­ment : « entrez dans la four­gon­nette ». On arrive au com­mis­sa­riat et on a un entre­tien indi­vi­duel avec le com­mis­saire qui me ras­sure : « ça sera court pas la peine de prendre quoi que ce soit (pull ou autre), de pré­ve­nir vos proches. » Je donne mes affaires à un gar­dien et je res­sor­ti­rai 24h après ! Les condi­tions de garde à vue étaient déplo­rables et indignes sur le plan hygiène, cou­chage… Il fai­sait froid. Les nou­veaux gar­diens, ne nous connais­sant pas étaient très hos­tiles. Le len­de­main vers 13h nous sommes sor­tis. Puis nous avons été très sur­pris d’être convo­qués au tri­bu­nal. »

Maître Joëlle Ver­nay

Les pro­cès n’ont pas eu lieu. Car les avo­cats étaient en grève, ce 16 sep­tembre. A l’ouverture de l’au­dience, la repré­sen­tante du bar­reau des avo­cats de Gre­noble, maître Joëlle Ver­nay, don­nait lec­ture d’une motion adop­tée par le conseil de l’ordre des avo­cats puis par l’as­sem­blée géné­rale des avo­cats gre­no­blois, réunie le 10 sep­tembre.
« Ce pro­jet (de réforme du régime spé­cial de retraite des avo­cats, NDLR) est gra­ve­ment pré­ju­di­ciable à la pro­fes­sion… se tra­dui­sant par un dou­ble­ment des coti­sa­tions, une baisse des retraites et la confis­ca­tion des pro­vi­sions… tan­dis que le régime exis­tant ne coûte rien à la soli­da­ri­té natio­nale. … Les avo­cats exigent la pré­ser­va­tion du sys­tème exis­tant. »
Les com­pa­ru­tions ont été ren­voyées par le tri­bu­nal au 20 jan­vier à 13h30.

Toutes, sauf une. L’un des pré­ve­nus avait déci­dé de se défendre sans l’as­sis­tance d’un avo­cat. Et il décli­nait l’offre de ren­voyer son pro­cès, sûr de son bon droit.
Jona­than Bis­muth, 34 ans, se voit repro­ché d’avoir par­ti­ci­pé à une mani­fes­ta­tion non décla­rée. Le pré­ve­nu, peu habi­tué de l’am­biance des pré­toires, se retourne et remer­cie le public pour son sou­tien. Il se voit immé­dia­te­ment rap­pe­lé à l’ordre par la pré­si­dente : « vous n’avez pas à faire ici une tri­bune poli­tique ».
Le pré­ve­nu explique sa pré­sence le 1er mai à la mani­fes­ta­tion : « je dési­rais y par­ti­ci­per car je sou­tiens les reven­di­ca­tions des gilets jaunes. J’ai par­ti­ci­pé à la mani­fes­ta­tion syn­di­cale du matin puis je suis repar­ti mani­fes­ter avec les gilets jaunes l’après-midi. En sor­tant d’un res­tau­rant où j’ai pris un café j’ai vu une femme gazée. Je suis allé lui por­ter secours. Beau­coup de mani­fes­tants ont pu quit­ter le lieu, pas moi. »

La pré­si­dente demande à plu­sieurs reprises pour­quoi le pré­ve­nu n’a pas quit­té la mani­fes­ta­tion après les som­ma­tions. M. Bis­muth répond avec véhé­mence n’avoir jamais enten­du de som­ma­tion. « C’était ma pre­mière mani­fes­ta­tion. »
La pré­si­dente : « saviez vous que la mani­fes­ta­tion n’était pas auto­ri­sée ?« 
Réponse : « non. » La pré­si­dente : « vous dites être proche des gilets jaunes, ça veut dire quoi ? » M. Bis­muth : « je constate jour après jour des injus­tices. Je vou­lais pro­tes­ter pour une fois. Je suis venu seul (sans ma femme et ma fille), car je sais qu’hélas la répres­sion aux gaz est fré­quente. »
La pré­si­dente reproche alors au pré­ve­nu, de ne pas res­pec­ter le devoir de réserve lié à sa pro­fes­sion en mani­fes­tant. M. Bis­muth : « face aux injus­tices, je me sen­tais l’obligation de mani­fes­ter, ne serait ce qu’une fois. Comme citoyen, je me sens des obli­ga­tions. »

Madame le pro­cu­reur, après avoir énon­cé le motif de convo­ca­tion devant le tri­bu­nal, sou­ligne dans le même temps : « ce qui est en jeu ce n’est pas le droit de mani­fes­ter, d’avoir des opi­nions. Avec votre métier ce droit est le vôtre aus­si. »
La pro­cu­reure requiert 400 euros d’amende avec sur­sis et exclu­sion de cette amende du casier judi­ciaire.
Le juge­ment a été mis en déli­bé­ré au 30 sep­tembre à 13h30. Tan­dis que sept autres pré­ve­nus devront attendre le 20 jan­vier pour racon­ter devant les jeunes ce curieux début d’a­près-midi du 1er mai dans le centre ville de Gre­noble.

Dans la salle des pas per­dus

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