Quelles suites donner au mouvement ?
Par Luc Renaud
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Les gilets jaunes. Un mouvement sans responsables, sans unité, dont les revendications ne sont pas toujours communes. Un mouvement qui a pourtant réussi à remettre l’injustice fiscale au centre du débat. Tout comme le pouvoir d’achat. Qui pourrait s’en plaindre ? De cette mobilisation et de ses perspectives, Joao Ribeiro témoigne.
Connaissez-vous le story telling ? C’est une théorie de communication politique qui vise à inclure les éléments de langages et les politiques dans un récit. La mise en scène va permettre à chaque homme politique de remplir un rôle, de devenir un personnage. Tout est à la fois simple et haletant, au point que la politique remplace votre série préférée sur Netflix. Dans ce récit, la place la plus enviée est celle de narrateur, celui qui raconte l’histoire.
Macron est un expert de cette nouvelle communication politique, au point que depuis presque vingt-quatre mois, c’était lui le narrateur. Souvenez vous de la campagne de 2017 : l’homme seul face à l’histoire, la fin des partis politiques, le renouveau, c’était lui ! Ce n’était pas Fillon. Lui, c’était le Canard enchaîné qui racontait son histoire. Depuis l’élection présidentielle, Macron avait réussi à ne pas quitter cette posture, malgré la hausse de la CSG, les hôpitaux qui craquent, la mobilisation des cheminots. La situation a changé. Macron ne raconte plus l’histoire : il écoute. Et faute de structuration, ce ne sont pas non plus les gilets jaunes. Il n’y a plus de narrateur, ce qui brouille la lecture de la vie politique. Nous avons donc décidé de donner la parole à un gilet jaune, Joao Ribeiro, impliqué dans le mouvement.
La situation qui a conduit à l’explosion de la colère, nous dit Joao, est le ras le bol de cette classe politique surpayée (regardez les affaires, les emplois fictifs !) qui ne fait rien pour le plus grand nombre. Depuis des mois, le ton hautain et méprisant de Macron va à l’encontre du besoin de reconnaissance que nous avons tous : « il y a un écœurement ». La nouvelle taxe sur le gazole n’a été qu’un déclencheur : surtaxer la voiture ne sert qu’à taper sur les pauvres sans pour autant résoudre le problème du réchauffement climatique. Pendant ce temps, 1 % de milliardaires se gavent alors que des gens dorment dehors et meurent de faim. C’est insupportable, et il faut changer de société.
Des solutions existent, et Joao a des propositions : la première priorité est d’apporter de la justice fiscale, en rétablissant l’Impôt sur les grandes fortunes. Ensuite, il faut sentir que nos impôts servent à tout le monde : remettre de l’argent dans les hôpitaux (où il y a de la vraie souffrance au travail, des burn out, des suicides), faire de l’écologie véritable, en remettant les marchandises sur des rails plutôt que de constater une prolifération des camions sur les routes. Empêcher les entreprises de partir à l’étranger, pour créer de l’emploi et qu’un produit ne fasse pas deux fois le tour de la planète avant de terminer dans notre assiette.
« Ce que les gilets jaunes arrivent à faire mieux que l’opposition politique »
Et surtout, vivre avec 1000 euros n’est pas possible : il faut augmenter les salaires. Combien de salariés se tuent à la tâche pour permettre à un Carlos Gohn de gagner autant ? Ces revendications ne sont pas individualistes : « je suis dans la rue, mais pas pour moi. C’est pour tout le monde qu’on se bat, et surtout pour nos enfants, pour leur laisser un avenir », nous dit Joao.
Ces mesures doivent être portées collectivement. Redonner la parole au plus grand nombre passe aussi par le référendum d’initiative citoyenne : « C’est un véritable outil pour que les politiques publiques ne soient pas le fait de quelques élus, mais de nous, les 99 %. »
Pour se faire entendre, il faut déstabiliser le gouvernement, « ce que les gilets jaunes arrivent plus à faire que l’opposition politique », martèle Joao. Les première annonces de Macron, qualifiées de « fumisteries » par Joao, prouvent que la peur a changé de camp. Mais ces annonces ne changent rien : « Tant qu’il ne remet pas en place l’ISF, ça veut dire qu’il ne comprend pas nos revendications. »
Sur les perspectives de ce mouvement, Joao ne mâche pas ses mots : « Il faut que les gilets jaunes s’investissent dans la vie politique en entrant dans les partis de gauche comme le PC, car les revendications des gilets jaunes sont de gauche ! » Des violences, Joao n’en veut pas : ça coupe le mouvement d’une partie de la population, or il faut que le mouvement s’amplifie. Les infirmières, les avocats, tout le monde commence à se mobiliser. Il est possible de soutenir même si on ne peut pas être là tous les jours : c’est le nombre qui fera plier Macron.
Parole issue d’une lame de fond qui traverse et structure la société d’aujourd’hui. Et de façon durable.
Simon Lahure
Le problème n’est pas l’impôt, mais son usage
Le collectif pour la gratuité des transports organisait un débat « gilets jaunes », en décembre dernier.
Le collectif pour la gratuité des transports propose que les transports publics soient gratuits… et donc financés par l’impôt. En pleine contradiction avec les revendications des gilets jaunes ? Tel était le thème d’une soirée de débat organisée à Fontaine.
Un premier constat. Pour tous, la colère est légitime. Salaires bloqués, pensions amputées par la hausse de la CSG, APL en baisse… les dividendes et la fraude fiscale se portent bien, merci. Second constat. La hausse des taxes sur l’essence n’a rien à voir avec une quelconque ambition écologique. « Les hausses des taxes sur les carburants servent à colmater le budget de l’Etat pour continuer à enrichir les actionnaires par des subventions et autres exonérations fiscales. »
Colmater le budget de l’Etat pour financer les dividendes
Dès lors, quelles propositions ? Michel Szempruch, co-responsable du collectif, en faisait état en introduisant la soirée. Les taxes légitimes, pour lutter contre la pollution, il en existe : sur le transport routier ou aérien, aujourd’hui largement exonéré, par exemple. Ou sur des entreprises comme Total dont les bénéfices 2017 ont bondi de 39 %.
Il rappelait la position du collectif : « non aux taxes injustes, oui à l’impôt équitable, progressif selon le revenu, qui finance les services publics de qualité et de proximité ». Avec des objectifs comme la gratuité du transport dans l’agglomération grenobloise et le développement du chemin de fer, alors que 9 000 kms de lignes SNCF sont menacés de fermeture.
Le débat a été dense avec la présence de représentants de Génération’s, de plusieurs élus de Fontaine, d’un élu d’opposition de gauche de Grenoble, et d’élus communistes.
Edouard Schoene
L’impôt… pour les transports en commun
Permettre les déplacements, et notamment les déplacements domicile travail, et lutter contre le réchauffement climatique passe nécessairement par le développement des transports en commun. Un choix aux antipodes des décisions gouvernementales : les cars Macron contre le rail, par exemple.
Et moins les transports en commun sont accessibles et adaptés aux besoins, plus le coût des carburants pèse dans le budget des familles. En cause également la disparition des services publics de proximité, un autre choix des politiques gouvernementales.
Pouvoir d’achat
« Il faut résoudre les problèmes sociaux ! Je suis enseignant et des parents d’élèves me demandent des reports de paiement de chèques de 15 euros ! » Entendu au cours du débat organisé par le Comité Fontaine rive gauche.
Gratuité
Bruno, du collectif, signalait que le groupe PCF à la métro a reçu les militants du collectif et annoncé le soutien à la gratuité des transports en commun et l’action pour obtenir que la métropole commande une étude d’impact de la gratuité des transports dans l’agglomération.
Justice fiscale
« On ne peut pas demander des efforts aux citoyens sans en demander aux transporteurs, camions, porte conteneurs… », lançait un participant au débat. Sachant que le premier des impôt est la TVA, payée par tous les citoyens indépendamment de leur revenu. D’où la revendication exprimée lors de ce débat d’une forte réduction du taux de TVA sur les produits de première nécessité. Car « ce n’est pas en taxant les pauvres que l’on va améliorer le réseau de transports collectifs ».
Se rencontrer, débattre, discuter de l’intérêt de s’organiser, de se syndiquer
Mouvement social inédit, mouvement social que la CGT appelle à prolonger, dans les entreprises et les localités. Journée morte début février.
« Le mouvement des gilets jaunes, on ne va pas s’en plaindre. » Nicolas Benoit, secrétaire de l’Union départementale CGT, n’y va pas par quatre chemins. « Cela fait des mois que nous nous efforçons de faire bouger les choses, alors… » Ce qui n’empêche nullement l’analyse. « Nous avons observé avec satisfaction une évolution dans les prises de position : en faveur du rétablissement de l’ISF, la justice fiscale, le pouvoir d’achat, la démocratie », note Nicolas Benoit.
Alors plus besoin de la CGT ? « C’est comme ça que le gouvernement et les médias présentent les choses : c’est une escroquerie. » D’abord parce que ce mouvement n’est pas apparu par hasard. « Les manifestations des retraités à l’appel de la CGT – de cette ampleur, c’est du jamais vu –- ont mis la CSG en débat. » De façon plus générale, « la mobilisation se développe depuis des mois, même si nous voudrions davantage ». Et puis les syndicalistes CGT ne sont pas absents du mouvement des gilets jaunes, et le syndicat a largement pris sa part au mouvement, le 14 décembre entre autres.
« Ca ne veut pas dire que des questions ne nous sont pas posées. » Celle-ci, notamment : « comment nous adresser à tous ceux que l’injustice révolte, qui n’y arrivent plus, à se rencontrer, à agir, à se rassembler pour changer le rapport de force aujourd’hui en faveur du capital ? »
« Nos unions locales sont ouvertes pour rédiger des cahiers revendicatifs »
La CGT met ses propositions sur la table. L’augmentation du SMIC à 1800 euros, par exemple. « Quand on n’arrive pas à boucler les fins de mois, augmenter le SMIC, c’est une nécessité. » Et l’augmentation des salaires est le bon moyen de financer la Sécurité sociale, les retraites. La fiscalité, également : « Ce sont les actionnaires qui profitent de l’abandon de l’ISF, de la fraude fiscale ou des crédits d’impôts, pas les salariés ou l’investissement industriel. Et surtout pas l’environnement quand on casse le rail et favorise le tout routier ».
La CGT ne compte pas lâcher l’affaire. « Nous allons rencontrer ceux qui se sont mobilisés, débattre des revendications qui s’expriment, de nos propositions… nos unions locales sont ouvertes pour établir des cahiers revendicatifs, débattre aussi de l’intérêt de s’organiser, de se syndiquer pour un mouvement qui s’inscrira dans la durée. » Débat qui va se poursuivre dans les entreprises. « Les augmentations de salaire, ça se gagne dans les boîtes, constate Nicolas Benoît, nous sommes bien placés pour savoir que c’est dur, la pression qu’exercent les directions, mais nous savons aussi que l’on gagne lorsqu’on est uni dans la grève. »
Ce mois de janvier sera celui d’une nouvelle mobilisation. Avec en point de mire l’organisation au niveau national d’une journée morte, de grève et de manifestations, début février.