Deux Iséroises témoignent de la tension qui règne en Turquie
Par Edouard Schoene
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Maryvonne Mathéoud et Gulistan Akhan sont rentrées mardi 26 juin de leur mission en Turquie, comme observatrices des élections qui avaient lieu le dimanche 24 juin dans ce pays. Une mission éprouvante dans la région de Diyarbakir, dans l’Est de la Turquie, région à majorité kurde.
L’Association iséroise des amis des Kurdes (Aiak) avait répondu à la demande du Parti démocratique des peuples (HDP) de l’envoi d’observateurs européens pour témoigner des conditions dans lesquelles s’étaient déroulées ces élections. Gulistan, franco-kurde, et Maryvonne, coprésidente d’Aiak ont été marquées par le climat de guerre qui règne à Diyarbakir. En quelques années, quartier après quartier, le pouvoir central démolit les habitations.
La phrase qui a marqué ces deux déléguées et la représentante d’EELV, Sandra Regol, qui ont à trois, accompagnés de militants et d’un avocat, tenté d’observer les élections est la suivante : « vous faites quoi à part nous laisser mourir ?».
Ce cri est prononcé à l’égard des gouvernants des pays européens et de celles et ceux qui restent silencieux en Europe.
La population locale n’en peut plus du couvre feu, des violences, des arrestations, de la vie très difficile au quotidien.
« Le quartier du Sur, largement détruit par les affrontements, est à ce jour inaccessible et le simple fait de chercher à en prendre des photos appelle la réaction immédiate et intimidante des forces de l’ordre, même (ou surtout ?) quand vous êtes européen-nes« , précise Sandra.
Au siège du HDP qui accueille les observateurs – des dizaines d’étrangers, Européens mais également d’Amérique latine-, une large proportion de femmes dans les diverses délégations. Et pour cause : le courage et la force des femmes kurdes est un exemple partout dans le monde.
Garo Paylan, député de Diyarbakir, candidat tête de liste à la réélection et membre de la direction du HDP, trouve le temps de recevoir la délégation française constituée par des Marseillais, des grenoblois et des Parisiens.
« Le deuxième village de notre périple dans la campagne au Nord de Diyarbakir étant très conservateur, la présence d’une délégation de trois femmes étrangères n’y passe pas vraiment inaperçu. L’agitation soudaine des “gardiens de village” amassés devant l’école où se déroulent les votes en est un signal faible mais tangiblement indicateur. (« les gardiens du village » sont des milices armées mises en place par le pouvoir AKP, ndlr). Première surprise de la journée : non seulement les urnes ne sont pas scellées (et le simple fait que l’avocat qui nous accompagne le signale suffit à faire monter d’un cran une tension pourtant déjà fort lourde) mais en outre l’armée se balade dans les couloirs, jusqu’aux bureaux de vote, sans que personne ne s’en étonne. Pris à partie plusieurs fois, et après avoir visité cinq des huit bureaux du lieu, nous décidons de rebrousser chemin pour ne pas déclencher de réaction hostile (ou plus hostile encore), laissant là les rares représentant-es du HDP local, épuisé-es et désespéré-es », témoigne Maryvonne Mathéoud.
La délégation de trois femmes note : « Les forces de police ont reçu consigne d’interdire l’accès aux bureaux de vote à toute personne non inscrite n’étant pas habilitée par l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Une décision surprise du préfet, non votée par le parlement, non promulguée par le gouvernement, et pourtant appliquée par la force dans tout le Sud-Est de la Turquie. Si les délégations ne prennent connaissance de cette information que dans l’après-midi, c’est entre 10h et 11h ce dimanche matin de vote que les forces “de l’ordre” reçoivent cette consigne, soit bien après l’ouverture du vote ».
La mission d’observation s’est arrêtée là avec quelques moments chauds, dont celui d’un contrôle policier. La tension a été très forte après la fermeture des bureaux de vote.
Puis soudain, alors qu’était annoncé le seuil de 10% dépassé par le HDP et donc la perspective d’élection d’un groupe parlementaire, des centaines d’habitants se sont rassemblés devant le siège du HDP pour fêter un taux de 80% pour le HDP à Diyarbakir, malgré les fraudes. Après l’appel à la dispersion dans le calme du rassemblement festif, le climat est redevenu très lourd.
Qu’en sera-t-il du lendemain de la victoire du dictateur Erdogan ?
La délégation Aiak sera présente à la fête du Travailleur Alpin, au stand d’Aiak, au débat du vendredi pour rendre compte de sa mission et organiser la solidarité. Le débat aura lieu notamment en présence de Pascal Torre, responsable national du PCF, retenu pendant plusieurs heures avec la délégation du PCF elle aussi venue, à la demande du HDP, assister au déroulement des élections turques.
Vous pouvez solliciter des informations, compte rendus en écrivant à aiak.contact@gmail.com.