C’est une jolie pépite que nous offrons ici à nos lecteurs. Jean Rabaté a découvert Grenoble il y a cinquante ans. Et c’était pour les JO, qu’il « couvrait » pour l’Humanité. Quelques années plus tard, il est revenu dans la capitale des Alpes : il écrit aujourd’hui dans nos colonnes. Il nous livre ici quelques-uns de ses souvenirs, dans cette belle langue du reportage qui nous transporte dans les coulisses de l’événement… et de sa couverture médiatique.
Nous étions cinq « envoyés spéciaux » de l’Humanité et de l’Humanité-Dimanche (1) qui nous étions répartis les disciplines pour en rendre compte. Parmi celles qui m’étaient échues, le hockey sur glace. Impossible bien sûr de manquer la rencontre, qui opposerait les deux grands favoris : le titre olympique allait se jouer. Le jour venu, l’équipe d’URSS rencontre donc celle de Tchécoslovaquie. Si la première l’emporte elle sera sacrée avant même la fin du tournoi. Si c’est la seconde, les deux équipes compteront cinq victoires chacune. La médaille d’or dépendra de leur ultime match respectif.
Dans le Stade de glace devenu depuis Palais des sport, l’atmosphère est tendue. Moins en raison de l’enjeu sportif, qu’en raison du… contexte politique. Un mois plus tôt, l’amorce du « printemps de Prague » avec l’arrivée de Dubcek au pouvoir en Tchécoslovaquie est fort peu apprécié côté soviétique. Les relations sont devenues fraîches entre les deux pays. Nombre de commentateurs n’hésitent pas à placer la rencontre sous le signe d’un véritable défi, voire d’un règlement de comptes.
Quelques minutes seulement avant l’entrée des équipes sur la piste un incident vient renforcer cette idée. L’entraîneur tchèque signale que l’extrémité des patins de plusieurs joueurs russes est dépourvue de protection en plastique. Il exige qu’il soit remédié à cette situation. Suivent une discussion, un retard d’une demi-heure du coup d’envoi et, affirmera plus tard le goal russe sa perte de concentration. De fait, impeccable lors des rencontres précédentes, il se montre décevant ce soir-là.
L’URSS est battue (5/4), pour la première fois après 59 victoires consécutives en matchs internationaux ! Le gardien retrouva son talent à l’heure des rencontres décisives. La Tchécoslovaquie concédait le nul à la Suède, L’URSS écrasait le Canada (5/0). Elle s’adjugeait le titre olympique.
Sacré Léon !
Côté anecdotique, ce match me permit de découvrir le savoir faire du « monstre » de la télé d’alors, Léon Zitrone. A l’aise partout : mariages princiers, courses hippiques ou Inter-villes, il s’était vu confier par l’ORTF le soin de faire découvrir et apprécier aux téléspectateurs le hockey sur glace, sport alors quasi-inconnu en France.
Ni plus ni moins connaisseur que moi en la matière, il avait dû – moi aussi ! – découvrir les règles du jeu et quelques renseignements sur les joueurs et les équipes. Expérience et bagou aidant, il rendait compte en direct avec maestria du déroulement des rencontres. Mais il devait aussi « meubler » les périodes de repos entre les tiers-temps.
A la fin du premier, à ma grande surprise, l’imposante silhouette de ce maître commentateur s’imposa à mes côtés. Nous ne nous étions jamais rencontrés, mais peu lui importait : « ce soir, c’est mon excellent confrère et ami de l’Humanité qui va nous donner son avis sur cette première période … ». Pris de court, je restai muet quelques secondes avant de bafouiller je ne sais quelles platitudes. Suivirent deux ou trois questions qui me permirent de mieux (?) alimenter la conversation. Le tiers-temps me sembla interminable ! Léon, lui, était satisfait : « Eh bien merci mon cher ami ! A très bientôt (ce ne fut jamais le cas…) nous verrons si votre pronostic était le bon » (ce fut non : j’avais misé sur un nul).
Le second tiers-temps pouvait commencer. Un autre « excellent confrère et ami » serait appelé à alléger le travail de ce sacré Léon.
Prise de conscience
Paul Zilbertin, chargé de « couvrir » les épreuves de ski alpin, n’avait pratiquement jamais chaussé les planches. Je m’étais donc proposé pour participer la veille de l’épreuve de descente à la découverte proposée aux journalistes de la piste Casserousse – devenue Olympique hommes, après avoir été plusieurs fois modelée, nivelée, terrassée…
Parvenu au sommet, je compris vite que… je n’irai guère plus loin ! Quelques mètres après le départ, le tracé très technique était insurmontable pour un skieur de mon niveau. Je ne découvris ce jour-là ni le virage du couloir, ni les devers de pente, la cascade de bosses, ni les goulets entre les arbres, ni l’impressionnant op-traken annonçant la fin de parcours.
Par contre, je pris pleinement conscience des qualités physiques, de la force morale, de la maitrise technique et du courage indispensables aux champions et championnes pour s’élancer sans retenue sur de telles pistes (2). Les trois kilomètres de celle-ci, furent la pente royale sur laquelle en l’emportant de 9 centièmes sur Guy Périllat, Jean-Claude Killy entama en moins de deux minutes la formidable chevauchée qui en fit le héros des J.O.
Triple vainqueur !
Les conditions dans lesquelles se termina la dernière étape de son extraordinaire parcours méritent d’être rappelées.
Les jeux se terminent le lendemain. Deux médailles d’or brillent déjà au cou du champion français vainqueur de la descente (de justesse) et du géant (aisément). Reste le slalom. S’il l’emporte il égalera l’exploit réalisé en 1956 par Tony Sailer à Cortina d‘Ampezzo. Il s’élance avec la même fougue que pour sa descente victorieuse. Il virevolte de piquet en piquet, plus vite que tous, semble-t-il.
Hélas ! Le chronomètre est impitoyable. A l’heure du classement Killy, est devancé par le Norvégien Akon Mjoen. Il doit se satisfaire de la médaille d’argent. Ce que conteste un autre champion, l’Autrichien Karl Schranz. Gêné, affirme-t-il, par une personne ayant traversé la piste il n’a pas terminé son parcours. Après avoir porté réclamation il est autorisé à repartir. Il bat le temps de Killy, ainsi repoussé à la troisième place.
Mais, surprise ! après examen attentif des enregistrements du parcours des skieurs, les commissaires disqualifient le Norvégien qui avait manqué deux portes. Killy retrouve la médaille d’argent. Et quelques instants plus tard, coup de théâtre ! Schranz est également disqualifié. Lui aussi avait manqué deux portes lors de son premier parcours avant d’avoir été gêné. Rien de justifiait son second essai.
Début d’une double polémique, contestation des Norvégiens, protestation des Autrichiens, explosion de joie côté tricolore. Vainqueur du slalom, Killy devient bel et bien triple champion olympique !
Jean Rabaté
(1) Bernard Clavel, écrivain futur prix Goncourt, collaborateur occasionnel de l’Humanité-Dimanche ; Abel Michéa, grande plume du journal, auteur de billets inoubliables ; Roland Passevant, enquêteur hors-pair, chef de la rubrique des sports ; Paul Zilbertin, le plus jeune, bon connaisseur des sports d’hiver ; et moi. Cinquante ans après, c’est vers eux – tous trop tôt disparus – que vont mes premières pensées.
(2) Seize ans après celle de Régine Cavagnoud, la terrible chute qui au Canada en novembre dernier a coûté la vie à David Poisson rappelle cruellement que, pas plus que la peur, ces qualités n’évitent le danger.
Photos de Jacques Marie – Mémoires d’Humanité / Archives départementales de la Seine-Saint-Denis